Bien souvent, on n'a que ça... Qu'en faire ?
Giotto, Stigmatisation de Saint François, Assise, basilique saint François (photo Wikipedia) |
L'un des problèmes du costume médiéval, c'est qu'on est un peu dans la panade (pour rester polie) en ce qui concerne les sources matérielles.
On a principalement deux sortes de sources : religieuses (reliques, vêtements sacerdotaux, incluant les tenues de couronnement) et funéraires. Après, on peut avoir du bol : le monsieur un peu bourré ou celui qui se fait assassiner et qui se retrouve dans la tourbe, par exemple. On a des poubelles et assimilées (château de Lendberg). On peut aussi citer les vêtements trouvés lors de campagnes de fouilles dans des grandes villes (genre Londres et Prague). Les dernières catégories amènent des informations généralement différentes de ce qui est religieux. Mais, on se retrouve avec des bouts de tissu. Et on en revient aux reliques qui sont souvent les mieux conservées...
Comment aborder une source religieuse ?
Déjà, il faut trier... Les manteaux de couronnement et les chapes d'évêques, on les met à part. Ca ne sert que dans des circonstances très précises. Et pour les manteaux de couronnement... Ils servent rarement deux fois pour la même personne. Bref, on ne s'en occupe pas ici. (Je ferai peut être un truc sur les manteaux conservés un jour... A voir... Mais faudra que je demande une autorisation à quelqu'un ;) )
Il faut vraiment agir de manière très raisonnée. On peut récolter des infos primordiales sur les vêtements religieux, mais il faut croiser. On peut en apprendre sur les coutures, sur les matières... Et voir quelques petites évolutions.
Ce qu'il faut se demander est : qu'est ce que je peux prendre là dessus ? Qu'est-ce que j'apprends d'une source religieuse ? Puis-je l'utiliser dans son ensemble ou pas ? C'est de la vraie relique d'époque ou de la relique plus tardive -un faux, quoi ?
On va donc décortiquer deux vêtements religieux, et voir ce qui dérange, et ce qui peut être utilisé pour un vêtement civil.
Travaux pratiques !
En route pour Assise !
On va prendre comme exemple un modèle homme et un modèle femme... Une tunique de saint François (la première) et la robe de sainte Claire.
Problème : ce sont des tenues de religieux (moine et nonne). On va partir du principe que ce n'est pas valable pour faire un costume civil.
Merci d'être venus. Au revoir.
Plus sérieusement, il faut savoir si, justement, ces vêtements peuvent malgré tout être utilisables en civil. On est donc vers 1206 pour François et en première moitié 13e pour Claire. (Ces reliques sont traçables depuis le Moyen Âge, et leur authenticité ne semble pas être remise en cause. Ca, c'est fait. Ce n'est pas le cas pour toutes les tenues de François)
Protomonastère de Sainte Claire vu de l'arrière |
Les dames d'abord
La robe de Claire est souvent utilisée en reconstitution. Il reste peu de tenues féminines 13e. On a les tenues royales et princières espagnoles, qui sont très typées, et quelques toutes petites choses de sainte Elisabeth, d'Isabelle de France... Pas grand chose, quoi. En outre, la robe de sainte Claire est bien mieux conservée que le surcot d'Elisabeth, auquel il manque la partie inférieure (on n'a aucune idée de la longueur totale) et une partie de la partie supérieure.
Que faire devant une telle robe ? Quels sont les problèmes ?
Problème, déjà évoqué : robe de religieuse.
Il faut alors voir si la coupe de la robe correspond à ce qui se porte en civil à l'époque (cette vérification pouvant aussi confirmer ou infirmer la datation).
La comparaison avec les sources iconographiques s'impose.
On retrouve la longueur (ça traîne), l'ampleur. Je précise que la taille de sainte Claire est connue (160 cm). On peut ainsi contextualiser par rapport à la propriétaire.
Autre point qui semble pertinent : le resserrement sur l'avant-bras, qu'on note sur les autres sources iconographiques, mais aussi sur la manche restante de la chemise dite de saint Louis. Ce détail étant une caractéristique de la mode 13e. Pour la période on est bon. Et pour le passage au laïc, aussi, on dirait.
Robe -cotte- et manteau de sainte Claire |
Mais... On fait face à un caractère qu'on ne retrouve pas trop sur les enlus et sculptures : absence d'amigaut, le vêtement étant fermé sur l'épaule, vraisemblablement par un lacet (le système de fermeture exact a disparu).
L'explication qui m'avait été donnée à Assise, justifiant le lacet, est la suivante : cela permettait de mettre d'autres couches en dessous et de fermer la robe malgré tout. Bref, un aménagement pour l'hiver. Les soeurs ne disposant pas d'une garde-robe étendue, cela se comprend. Et c'est un détail que l'on peut envisager de reprendre pour un vêtement pauvre, par exemple, mais qui est plutôt déconseillé pour une personne qui peut se permettre de porter des bijoux genre fermail.
Je passe sur les infos que la robe nous donne sur les points de couture...
La comparaison de la relique avec les autres sources dont on dispose fait de cette robe un modèle de robe 13e parfaitement acceptable pour une bonne partie de l'Europe (ça marche avec l'Angleterre, le Saint Empire, la France... On est sur un modèle assez courant). Il suffit juste d'adapter en fonction des statuts : changer de type de lainage, couleur, fermeture, longueur, ampleur... On peut faire de multiples variations, en utilisant la robe comme base et en y ajoutant des sources iconographiques.
Assise, Basilique supérieure de saint François |
Ces messieurs maintenant...
Il y a trois tuniques de saint François à Assise (deux au protomonastère de sainte Claire et la dernière à la basilique saint François). Je prends surtout la première parce qu'elle me semble très intéressante et peut être datée. Ce serait en effet sa première tunique quand il décida de vivre dans la pauvreté. On est vers 1206.
Première tunique de saint François, Protomonastère de sainte Claire |
Le contexte est ici plus complexe que pour Claire.
François est le fils d'un marchand de soie. Il y a un rejet de l'héritage familial, et aussi d'un avenir dans la noblesse. Ce qui peut avoir des conséquences sur le vêtement (il y a une symbolique très forte dans cette tunique, mais ce n'est pas à moi de raconter cette belle histoire).
La tunique est la marque d'une rupture et d'une nouvelle vie. Le jeune homme qui pouvait bénéficier des meilleures étoffes peut montrer son changement en jouant avec les tissus. Ce qui pourrait expliquer les différentes laines utilisées pour la tunique. Ce préambule me paraît nécessaire car on a un vêtement particulier, et il faut en replacer le contexte pour bien comprendre que des manches bicolores, c'est peut-être pas à imiter... Attention, à cette date, il n'est pas encore officiellement religieux.
Autre tunique de saint François, Protomonastère de sainte Claire |
Là encore, on remarque, comme sur les autres tuniques de saint François, l'absence d'amigaut. Mais, contrairement à la robe de Claire, la (les) tunique (s) de François peut (vent) passer par la tête. Et là, on est en total désaccord avec tout ce qui se voit en mode masculine au 13e. Pour voir un tel phénomène, il faut attendre un bon siècle. On aurait là une spécificité du vêtement religieux, pénitent, moine, ermite, que-sais-je... Ou, à cette date dans la vie de François, de quelqu'un de très pauvre... L'encolure un peu large et ronde est donc hors mode et réservée aux moines et aux très pauvres. Ce qui se confirme sur les autres tuniques de François. Mais, si on reste toujours sur la tunique bicolore (je me comprends), c'est peut-être un peu long pour du pauvre. Parce que c'est du très ample et du très long. On est sur du 133 sur la 1ère tunique (pour une taille de 155 cm).
Tout ceci pour dire que là, avec les tuniques de François, on a un gros problème qui empêche déjà de les considérer comme sources pour l'ensemble... Parce qu'en prime on ne retrouve pas le rétrécissement caractéristique (mais on est en début de siècle aussi... et un pauvre se soucie-t-il de la dernière mode ? Je vais y revenir, aux manches) J'ajoute en passant que ces tuniques se portaient avec un chaperon non attaché, selon la volonté de François, ce qui cachait l'effet "(léger) décolleté"...
Encore une tunique de saint François, Basilique Saint François (dite tunique méga-patchée) (photo Wikipedia) |
Pour le reste, on a quand même de la longueur et de l'ampleur, même pour du moine pas très grand (pour la tunique méga patchée de la basilique saint François, qui est plus courte, 1.265m, on est à plus de 3.30m de circonférence), donc, là, ça peut donner une indication de proportion pour du pauvre. Mais il n'y a pas de fentes centrales. Là aussi, ça change de ce qu'on a l'habitude de voir.
Même un vêtement religieux, ou de quelqu'un ayant décidé de porter du pauvre, nous aide. A condition de piocher ce qu'il faut. Revenons aux manches... j'ai donc annoncé de manière totalement péremptoire que ce n'était pas fashion... Il y a cependant une information primordiale sur toutes les tuniques de François : les emmanchures. On a des emmanchures qui tendent à s'arrondir en bas, ce qui implique une coupe trapézoïdale (très visible), et une carrure assez réduite. Ce qui laisse entendre que les emmanchures rondes étaient déjà la norme, même en pauvre, en début 13e. Ce qui n'est pas si étonnant, vu que l'on sort d'une mode serrée sur le torse, qui a forcément entraîné des changements au niveau de la manière dont on coupait les vêtements. Et, de la noblesse, cette nouvelle conception des emmanchures semble avoir gagné toutes les couches de la société. Comme quoi, c'est parfois utile de savoir ce qu'il se passe avant...
En conclusion, certaines sources religieuses peuvent être utilisables, après comparaison avec les autres sources, et analyse des contextes.
La source la plus fiable est sainte Claire, qui garde l'encolure étroite (mais en version nonne) et a les avants-bras typiques. Les deux choses qui manquent à saint François. On peut donc envisager l'hypothèse selon laquelle ce type de robe serait portable sur toutes au 13e, avec aménagements selon le statut, la taille et le tour de poitrine de la porteuse, etc.
Les tuniques de saint François peuvent cependant servir de modèle pour du pauvre, en resserrant peut-être l'encolure, fermée soit par amigaut + fermail, soit par laçage.
Vie de Sainte Claire, Protomonastère de sainte Claire (photo wikipedia) |
Et en épilogue... (Soyons fous)
Quelques infos en prime, qui nous aident sur les datations et d'autres petites choses.
Il semble que l'un des patches de la tunique de la basilique saint François soit du même tissu que celui de la robe et le manteau de sainte Claire. Ce qui met bien les reliques de Claire en début 13e.
Sur le fameux dilemme des doublures... La tunique méga-patchée est l'un des rares exemples qui fait mentir les inventaires et livres de comptes qui nous balancent de la soie et de la fourrure ou encore du blanchet... On a enfin un exemple de doublure en lin. Mais, on va réserver ça pour du très pauvre... (comme quoi, s'intéresser à ce vêtement, ça fait revoir ce qu'on croyait).
On a du point de grébiche en bordure de la tunique de Claire... Et pas très régulier. Et les coutures sont en lin naturel. Pour François, on a un peu de tout, et c'est mal cousu... (Sauf si les retouches ont été faites par Claire).
Vraie fin pour de bon après j'ajoute rien c'est promis
Les vêtements religieux nous donnent en général des infos sur les points de broderies, les points de couture, les plissés, les tissus, etc. Mais tout n'est pas utilisable en laïc. J'ai pris ici des exemples qui sont utiles. Quand on va du côté des évêques ou des tenues de couronnement, c'est très beau, mais ça ne nous emmène pas très loin pour le costume civil. D'où la nécessité d'un tri et de multiples croisements de sources. Et ça vaut pour toutes les époques, naturellement. Néanmoins, le 13e est une période privilégiée avec des ordres nouveaux (franciscains et clarisses, dominicains) qui, à leurs débuts, restent encore un peu ancrés dans leur siècle pour certains éléments du costume. Les choses changeront très très vite. Les vêtements de saint Bernardin de Sienne (1380-1444) sont bien moins utiles pour les formes générales. En revanche, on pourra encore trouver quelques tenues utiles chez les tertiaires, comme Osanna Andreasi (1449-1505). En ce cas précis, étudier par Elisa Tosi Brandi, il faut tenir compte aussi de l'origine géographique du personnage, l'Italie du 15e siècle présentant une multitude de modèles variant selon les villes.
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