Quatrième partie : C'est Vieux, C'est Mystérieux
Attention aux vieux ! (Calt/M6/A. Astier. Créateur du gif inconnu) |
Alors, on résume...
Déjà, les bases indispensables pour ceux qui seraient plus branchés reconstitution sont ici : Rappel gma
On a vu qu'il fallait
- se méfier des couleurs
- tenir compte des tailles d'origines et de la taille des images dans les oeuvres d'origine
- faire gaffe aux manuscrits copiés les uns sur les autres (je n'en ai cité que deux séries, mais y en a une floppée... Tacuinum Sanitatis, ça vous cause ?)
Y en a des choses à dire... Et notre grand jeu : trouvez le manuscrit ! |
- ne pas oublier que c'est symbolique, décoratif, et que le réalisme en s'en fiche un peu (sauf sur la fin)
- que pinterest, c'est parfait pour se planter (et pour un tas de raisons)
Eh bien, on va aborder un aspect valable aussi pour les autres supports : les archaïsmes, anachronismes et tutti quantismes.
On en a déjà un peu parlé au sujet de la survivance du muldenfaltenstil dans les pleines pages, et aussi dans les copies... Mais il n'y a pas que là.
Il ne faut pas oublier que l'oeuvre doit être compréhensible. Introduire des éléments de costumes anciens était un moyen de préciser qu'on était dans le passé. Logique. Mais les gens du Moyen Âge n'avaient pas notre connaissance actuelle du passé et la rigueur archéologique n'était pas trop envisageable (sauf certains cas). On représentait du "avant" ou du "qui fait comme avant". Avec toutes les erreurs que cela peut impliquer.
Et, surtout... On ne se gênait pas pour mélanger les époques... Pas besoin de mettre tout le monde en costumes à l'ancienne. Quelques points de repère suffisent.
Rappelons ce que dit Wirth au sujet du costume (Jean Wirth, L'Image
du corps au Moyen Âge, Sismel, Edizioni del
Galluzzo, Florence, 2013, 7.) :
Il arrive que des images reproduisent avec exactitude
les objets en usage, mais c'est loin d'être toujours le cas. Le
piège est particulièrement dangereux pour l'historien du costume,
entre autres parce que le goût de l'exotisme multiplie les vêtements
de fantaisie, tandis que les personnages principaux de l'iconographie
religieuse, le Christ et les apôtres, n'ont guère changé de tenue
depuis la basse Antiquité.
Quand on étudie le costume médiéval, cette citation est à ne jamais oublier.
Les personnages sacrés à l'antique
Evangéliaires d'Ebbon, St Mathieu, Reims, IXe siècle, Bibliothèque d'Epernay. Non, ce n'est pas une tenue carolingienne. |
On n'y coupe pas... Si vous voyez une bande de 12 bonhommes, souvent avec un 13e qui est barbu -ou pas- avec une longue robe et une couverture dans laquelle ils se sont enroulés... Cherchez pas. Ce sont les apôtres et le Christ, et ils sont habillés à la romaine : tunique longue et toge. Tenue traditionnelle, qui leur confère une certaine aura. Ca, c'est relativement facile, et ça ne change pas trop. On pourra cependant voir, à la fin du Moyen Âge, des petites fantaisies comme des boutons, ou une coupe un peu plus fashion (sans être histo), surtout sur saint Jean l'Evangéliste.
C'est facile, il y a énormément de représentations des apôtres, du Christ, qui sont soumises à des conventions.
La sécularisation
Les choses sont moins claires pour la Vierge qui a tendance à suivre la mode. Au début, on a une dominante de la tradition byzantine, mais à partir du Moyen Âge classique, on verra l'arrivée de costumes suivant la mode, parfois partiellement, parfois totalement... Mais souvent avec une exagération de la richesse du vêtement.
Même chose aussi, et même plus, sur Marie Madeleine.
Ce sont des jeunes femmes séduisantes (Madeleine prendra le relai de Marie quand le Christ devient adulte), les archaïsmes les épargnent un peu (en revanche, on aura souvent de l'exotisme).
Psautier anglais, 1170-75, Les Rois Mages, |
Le Moyen Âge classique est le moment où les choses se compliquent allègrement, histoire de bien nous embrouiller quand on essaie de démêler le vieux du neuf et de la fantaisie... Ca vaut pour hommes et femmes.
On va aussi reprendre la représentation paléochrétienne des vierges chrétiennes (une tunique courte portée sur une tunique longue) pour la mettre au goût du jour. Avec une tunique XIIe plus longue et des manches longues, ou une cotte qui laisse allègrement voir la tunique inférieure au point qu'on puisse la prendre pour une chemise, parce qu'en plus c'est blanc. Signe de pureté. Ca se retrouve sur les Vierges diverses et variées et sur tout ce qui est allégorique.
La tendance s'était déjà amorcée au XIe siècle. Là encore, c'est dans les siècles précédents qu'on doit aller chercher l'explication du phénomène pour pouvoir poser une hypothèse sur ces tenues.
Des objets démodés, mais pas pour les images
Les images médiévales usent fréquemment de détails (souvent des accessoires, mais pas que) démodés pour signifier le passé. Pris au premier degré, ces détails sont donc d'importantes sources d'erreur, car on aurait tendance à juger qu'un phénomène se prolonge alors que ce n'est pas le cas. Deux exemples : les tourets et les rouelles.
Danièle Sansy a très bien démontré que, selon les souverains, la forme et le décor des rouelles que les juifs devaient porter changeaient. Or, elle a aussi démontré que les images avaient, pour dire les choses clairement, une rame de retard. C'est à dire qu'elles présentaient la rouelle précédente... L'intérêt, c'est qu'au moins le message était clair pour tout le monde. Car il n'est pas dit que l'application de la nouvelle loi se faisait immédiatement, surtout dans des coins reculés du royaume.
En outre, la rouelle "démodée" (j'ai du mal avec ce terme dans ces circonstances) pouvait aussi signifier que c'étaient des juifs (ou assimilés, car on la voit aussi sur Ponce Pilate...) d'un passé plus ou moins lointain.
Le touret est aussi montré dans la seconde moitié du XIVe siècle. Avec en prime un voile qu'il n'avait pas avant. Or, si on analyse le contexte, on se rend compte que c'est porté par des juives, qui plus est du passé. Dans le Miroir du Salut, des scènes de l'Ancien Testament sont mises en rapport avec le Nouveau, et, comme par hasard, le touret bizarre est sur les femmes de l'AT. On savait, à l'époque, que c'était un objet du passé, et il est associé à l'ancienne loi.
Heilsspiegel, Cène et Pâque des juifs, ULB Darmstadt, Hs 2505, fol.
28v |
Je radote, mais... Pour se rendre compte du problème éventuel, il faut disposer du sujet et avoir une vue d'ensemble du manuscrit et connaître la question iconographiquement parlant, et avoir une idée de la mode en général, c'est à dire savoir qu'en fait on ne trouve ces tourets qu'en situations similaires.
La date des manuscrits ne signifie pas que l'objet était encore en usage à cette période, et sous cette forme précise.
Les joies de l'archéologie
Eh oui, en plus des personnages sacrés vêtus régulièrement à l'antique, on trouve, ça et là, des détails archéologiquement corrects... mais souvent mal compris et/ou intégrés à des éléments médiévaux. Sinon, c'est pas drôle.
Jeanne de montbaston, Saint Paul prêchant, 2e quart 14Français 185, fol. 34 (Photo ©Bibliothèque Nationale de France) |
Les équipements militaires, surtout au XVe, seront les plus susceptibles d'avoir des détails corrects. Cela permet, comme toujours, de situer la scène dans le passé... Mais en prime, on a une réelle mode antiquisante pour des tenues d'apparat, ou de fête. Histoire de nous embrouiller encore plus. Mais ceci ne concerne pas le personnage lambda.
Bref, encore un élément à prendre en compte.
Ceci manque quand même de fantaisie et d'exotisme...
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