lundi 27 décembre 2021

La teinture y est

INDIGO, UNE TEINTURE A USAGE SPECIFIQUE ?

Ca va être tout bleu !


Pour les bleus des textiles méd, au Moyen Âge, il y avait surtout deux plantes utilisées pour faire du bleu. 

La guède, ou pastel (woad in English, Isatis tinctoria, pour les intimes)

 L'indigo, ou indigo (indigo in English, Indigofera, pour les intimes et le nom de famille)

Au fond à gauche de l'indigo, à côté de la guède (teintures sur laine, soie, coton et lin, palais Mocenigo, Venise, 2016, voir là)
Pour plus de détails techniques, géographiques, chimiques et toutiquantiques, je vous renvoie au livre de Dominique Cardon, le Monde des Teintures Naturelles, chez Belin. Y a plein de pages dessus... Voir  chapitre 8. 

(Pssst : NdT, ça veut dire Note de Tina, pas Note de la Traductrice... Et quand c'est écrit en majuscule, c'est moi qui ai pris l'initiative. C'est pas dans les textes d'origine...)

De l'indigo dans le paonacé ?

Dans mon bouquin sur le costume 13e (en particulier vers les pages 110-112), j'évoque, à partir de l'article de Benjamin L. Wild sur le Roll of Cloths d'Isabelle d'Angleterre (article ô combien précieux, qu'on trouve dans Medieval Clothing and Textiles 7, 1-31) l'indigo comme base éventuelle du bleu paonacé. 

Ce qui est dit dans l'article original est ceci : "If the dye came from indigo, which was imported from India, the cloth would have been considerably more expensive than if the dye had been extracted from the woad plant" (10) "Si la teinture vient de l'indigo, qui était importé d'Inde, l'étoffe aurait été bien plus considérablement chère que si la teinture avait été extraite de la guède". Wild se réfère ici à l'édition anglaise du livre de Piponnier et Mane Se Vêtir au Moyen Âge. Livre qui commence à dater et à utiliser avec prudence, surtout pour tout ce qui est avant le 14e siècle (toujours la même histoire). Et donc, là, y a un gros "Gnééé ????" 

parce que ces dames ne causent à aucun moment de l'indigo, mais uniquement de la guède, qui, effectivement, coûte moins cher que le kermès. C'est la fiesta, là. Bref, ça confuse un chouïa. Et du coup, j'ai envisagé, pour le paonacé en question, une teinture vraisemblablement à l'indigo. Connaissances d'il y a 8 ans. Depuis, ça a bougé. C'est que la copine Prudence était partie faire un tour, la coquine.

Si on se réfère au seul fragment de paonacé connu, venant de Prato (archives Datini) et datant d'autour 1400, étudié par Dominique Cardon (Cardon Dominique. "Échantillons de draps de laine des Archives Datini (fin XIVe siècle, début XVe siècle). Analyses techniques, importance historique". In: Mélanges de l'Ecole française de Rome. Moyen-Age, Temps modernes T. 103, N°1. 1991. pp. 359-372.
doi : 10.3406/mefr.1991.3158
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/mefr_1123-9883_1991_num_103_1_3158) c'est une autre histoire. 

On tombe là sur un tissu dont le bleu est obtenu au pastel. Le pastel, en prime, ce serait anti-mite. Voilà, je pose ça là en passant, vous en faites ce que vous voulez. 

Exit l'indigo pour le paonacé. Dans la mesure des connaissances actuelles, c'est plus sûr.

ON A DIT "BLEU" !
De l'indigo dans la laine ?

Et c'est là qu'on va se poser des questions rigolotes...

On a de l'indigo pour le lin, quelques exemples chez les Nordiques, par exemple... Mais... Des traces d'indigo sur la laine, ça donne quoi ?

Et on va donc se balader du côté de Medieval Clothing and Textiles. Encore. Mais cette fois... le 10 ! Paru en 2014. Soit après mon bouquin, et là, c'est ballot. 

Il y a dedans un article très intéressant de Lisa Monnas, qui sait de quoi elle cause quand il s'agit de soie. Et qui là parle de couleurs. "Some Medieval Colour Terms for Textiles", 25-57. 

A partir de la page 28, ça cause bleu. Et c'est la cata...

Teintures indigo sur laine, à Magdebourg (Kulturhistorisches Museum), 2020. Derrière, on voit un cube. L'indigo était importé en carreau, ce qui fait qu'en Europe, on l'a souvent considéré comme teinture d'origine minérale.

Pour Lisa Monnas, l'indigo, p. 29, c'est pour la soie au Moyen Âge. Que pour la soie... Et d'ailleurs, si on se réfère à Joinville... Notre cher Saint Louis portait "une cotte de samit ynde" à Saumur en 1241 (Joinville, §94, assorti à un surcot et un mantel de samit vermeil, si ça vous intéresse. Dans mon bouquin, p. 111, je parle de satin, mais... vous connaissez l'histoire. Samit mal traduit en satin, entre autre par VLD. Je vous renvoie Ici, ça en cause en scrollant un peu.)

De l'ynde pour de la laine... J'ai pô trouvé. Ni en texte ni en archéo. 

Reprenons notre bible, le Cardon, voir ce qu'elle en dit, de cet indigo qui n'aime pas la laine...

En route pour la page 357 !

Et aussi la 358... 

Pendant ce temps (avant le 17e-18e, en gros, NdT), l'indigo reste très marginal en Europe, mais non pas inconnu. Importé d'Orient par une chaîne d'intermédiaires au bout de laquelle prospèrent les marchands, surtout vénitiens et génois, on le trouve mentionné à plusieurs reprises dans les registres de comptes du Moyen Âge : à Gênes en 1140, à Marseille en 1228, à Londres en 1276. Il est utilisé comme peinture mais aussi comme teinture, d'abord adoptée pour la soie et les futaines (tissus mixtes de lin et coton ou lin et laine) : c'est dès 1250, peu de temps après la reconquête de Valence sur les Maures, que le roi d'Aragon Jacques Ier accorde aux teinturiers de futaines de la ville un règlement sur la teinture à l'indigo. L'indigo est cité également dans le plus ancien règlement à l'usage des teinturiers vénitiens (...) en 1305. En revanche, il va rester LONGTEMPS INTERDIT EN EUROPE POUR LA TEINTURE DE LA LAINE. C'est le cas en 1317, à Florence, dans les plus anciens statuts de l'Art de la laine (...). L'ajout d'indigo à la cuve de pastel est bien autorisé en 1416 à Barcelone, mais il va de nouveau y être interdit au cours du XVe siècle, alors qu'à la même époque, des recettes de cuve d'indigo pour la soie se retrouvent dans deux traités de teinture, l'un florentin, l'autre vénitien.

Premier point : On est un peu mal pour le Haut Moyen Âge, avec des sources écrites commençant en 1140... 

Deuxième point : On est très mal pour la laine, en général...

Troisième point : En gros, c'est mort quoi... 

Quatrième point : Un nouvel espoir... 


Une nouvelle thèse

Usages de l'indigo dans la thèse d'Obi Wan Kenobi de Mathieu Harsch, "La teinture et les matières tinctoriales à la fin du Moyen Âge : Florence, Toscane, Méditerranée"

Soutenue en 2020. Ca roule. Consultable en passant par là

Euh... Comment dire... ?

 Ben en citant (49-50)

En revanche, l'indigo n'est cité ni dans les Statuts ni dans les registres de Délibérations des consuls de l'Art de la Laine au XIVe siècle. Cela ne signifie pas forcément qu'il était interdit, mais simplement qu'il n'était pas d'usage de l'utiliser en draperie (Petite rectification de l'interdiction évoquée par Dominique Cardon en note, 78, p. 50, NdT). L'INDIGO ETAIT EN EFFET UN COLORANT DE LA SOIE. Le Trattato dell'Arte della Seta florentin en fait même l'élément de base de sa recette de bleu. (...) En réalité, l'indigo ne concurrençait pas la guède, QUI RESTAIT, AU MOYEN AGE, LA SEULE OPTION VALABLE POUR TEINDRE LA LAINE EN BLEU. (...) La teinture à l'indigo nécessitait d'autres procédés e cuve, plus drastiques, mais corrosifs pour la laine. (...) L'indigo était donc indiqué pour teindre la soie ou le coton (ou le lin lorsque c'était autorisé), mais dans des cuves plus "chimiques" que la cuve d'agranat utilisée en draperie. Son coût représentait également un obstacle, surtout pour l'industrie des fibres végétales, SI BIEN QU'EN DEFINITIVE ON NE L'UTILISAIT REELLEMENT QU'EN SOIERIE."

La lecture des pages 368 à 375 est aussi conseillée à ceux qui veulent en savoir plus sur l'indigo au Moyen Âge.


Oui, je sais, ça concerne le domaine méditerranéen.

Mais voilà... L'indigo a été étudié par d'autres (voir, par exemple, les travaux de Jenny Balfour-Paul, en anglais), et... On retombe toujours sur les mêmes résultats. 

La soie, c'est bon, la laine, c'est pas bon. Question, déjà, de réactions chimiques avec les moyens de teinture de l'époque.

Ceci dit, pas d'panique !

Qu'en est-il des autres secteurs géographiques et des périodes précédentes ? Alors... Déjà, il paraît que les techniques de teinture ont progressé, grâce aux croisades, à partir du XIIe siècle. Ce qui est un tantinet en contradiction avec l'idée de problème technique à la fin du Moyen Âge. Enfin, je crois, quoi... 

Après, j'suis pas trop dans les questions techniques. Cependant, il semble y avoir un réel consensus quant à l'usage de l'indigo en teinture. 


Mais... Comme me l'a souligné Grégoire le Guesderon : "l'analyse est donc impossible pour différencier le bleu obtenu à partir de plantes non européennes comme l’indigotier ou celui tiré du pastel de guède, la plante européenne, sur des textiles anciens pour le moment et donc un bleu saturé obtenu à l'indigo est bien le même qu'un bleu saturé (pers) obtenu à la cuve de pastel... et qu'en évocation, on ne pourra pas faire mieux. Pour une véritable tentative de reconstitution, il faudrait monter toute une cuve d'agranat de pastel... personne ne le fait de façon courante, cela a déjà été fait par quelques fous (dont moi en 2000...on ne rajeunit pas...) mais c'est titanesque à mener..." (la cuve à agranat est expliquée en 338-340 du Cardon, pour ceux et celles qui seraient tentés).

 

Au final, je profite bien de cet article pour rectifier et préciser la page 111 du costume médiéval au XIIIe siècle, suite à la parution d'un article postérieur, qui m'a mis le doute et m'a fait me replonger dans la cuve à teinture.

 

Je tiens à adresser un énorme merci à ce grand connaisseur des teintures médiévales qu'est mon compatriote lorrain Grégoire le Guesderon, qui m'a été d'une aide précieuse pour dénouer tout ça. 


On ne peut pas faire la différence sur les textiles anciens pour l'instant. Du coup, ben si on veut utiliser du tissu (laine) teint à l'indigo, pourquoi pas ? Ce n'est a priori pas histo, mais... Si, visuellement, ça permet d'obtenir un bleu semblable à ce qui pouvait se faire au Moyen Âge avec du pastel... Vive l'indigo !

Et puis, ça pourrait aussi être génial de faire une cuve à agranat ! (Y a un défi, là !)





samedi 11 septembre 2021

RECONSTITUTION

 LADY CASTEL, soyez histo sur vous

Quand porter votre chaperon ?

Et me revoilà, ravie de vous retrouver. Et donc, je vais m'occuper de ce qui vous chiffonne en ce moment, et on va parler d'un objet qui prend la tête. 


 

Le chaperon.

Non, pas vous mademoiselle. Il n'est pas question de mère-grand ici.

 

  Pas forcément rouge. 

Evidemment, nous n'allons pas nous intéresser à l'objet tel qu'il est porté par le commun des pégus. Marins, paysans, et autres. Là, c'est du vêtement utile, pratique pour les travailleurs. La capuche avec une collerette plus ou moins longue, ça existe depuis trèèèèèèèèèèèèès longtemps, ça porte plein de noms... On est au courant.

 

 

 

Mais à partir de quand voit-on les gens de bonne famille le porter ? 

En voilà une question qui est certes bien bonne. 

Le chaperon chez les pas pécores

Les sources iconographiques (vous savez, celles dont il faut le plus se méfier. Qui jouent avec la fantaisie, les anachronismes, les copies, les images idéalisées, etc.) semblent indiquer que le chaperon, appelons le ainsi (puisque c'est le nom sous lequel il est le plus connu) est un accessoire prisé de la noblesse à partir de la fin du XIIIe siècle. On va le trouver, par exemple, doublé de vair dans les représentations du Dit des Trois Morts et des Trois Vifs. Auparavant, le chaperon brille quand même par son absence dans les représentations, très stéréotypées, de la noblesse.

Une fresque quand même bien utile, cette petite merveille de Melfi, fin XIIIe, sur laquelle on a écrit tant de bêtises... (photo office du tourisme de Melfi)
Déjà, le chaperon est plutôt un vêtement d'extérieur. Même si les périodes suivantes vont montrer que cela peut être très chic de le porter de diverses manières en intérieur, même quand on est duc de Bourgogne. On pourrait aussi considérer, si l'on se base sur le Dit des Trois Morts et des Trois Vifs (pouvaient pas faire encore plus long comme titre ?), qu'il s'agit d'un vêtement de chasse. Le vêtement d'extérieur, avec capuche intégrée, par excellence au XIIIe siècle, c'est la chape. Une tenue plutôt encombrante, vu la masse de tissu qu'elle implique avec ses manches, et une capuche attachée, on va dire que, pour la chasse, ça peut devenir plutôt gênant (effet KWay garanti, si vous voyez le genre...).

Le chaperon, finalement, il suit quand même les mouvements de la tête, et du coup, l'effet KWay se fait moins sentir. 

Y a quand même des problèmes de vision latérale, parfois... Un peu... A peine... (Claus de Werve, un des pleurants du tombeau de Philippe le Hardi, 1404-1410 Cleveland Museum of Art)


 Si on remonte le temps et que l'on cherche du côté des sources écrites, on a, finalement, rarement mention d'un truc pouvant être considéré en tant que tel avant le XIVe. On en a pas mal, après cette date, chez la copine Mahaut d'Artois, par exemple. Mais avant... Du coup, on aurait tendance à se dire que chez les naaaantiiiiiis, l'accessoire apparaît vers la fin du XIIIe siècle. Avant, c'est bon pour le pécore. 

Les objets divers avec capuche, chez les pécores, on connait... (Cathé de Chartres, 1er quart du XIIIe)


 

 Mais... Quand même... Y a des fois... 

Henry III le sauveur ?

Si on prend les comptes d'Henry III d'Angleterre, on trouve mention, pour la noblesse, de la présence assez courante du terme "penula" (oui, c'est en latin). Ce mot est du genre casse-pied. Certains vont le traduire comme "doublure". Mais les mêmes comptes contiennent souvent des variantes de mots correspondant à "fourré", soit doublé (par exemple, sur une même ligne, on a un "furura de scurrelis" (surcot) et un "furratam de scurellis" (chape). C'est à dire "fourré d'écureuil". Pour penula, c'est associé régulièrement à du byssus. Soit de la soie de mer, soit un lin très fin. Bonjour le casse-tête (en même temps, on cause chaperon, hein...). Le gag, c'est que le pénule, chez les potes romains, c'était un vêtement rond, fermé de toute part, sauf une ouverture pour passer la tête (merci le littré). Ca ressemble drôlement à un chaperon. 

Ah... Et ces mentions chez Riton sont antérieures à 1250. 

Si on revient à nos pénules, c'est généralement associé à un pallium, bref à un mantel... Qui n'a pas de capuche. Mais voilà... Il reste la possibilité qu'il s'agisse de vêtements doublés de byssus. Attention au biais de confirmation. Il se peut que penula soit pour les doublures de tissu (comme la soie) et furura et dérivés pour les doublures à poil. Mais, si l'on remonte au Roll of Cloth, de ce même Riton, le terme "lineata" (et variantes) est utilisé pour les doublures de soie. Et penula revient aussi, associé à biss... Et là, il s'agirait plutôt de l'écureuil. Mais, dans les comptes postérieurs, on a de la furrura de bissis, et de la penula de byssis et de la furrura de byssis et de la penula de bissis. Et ils faisaient n'importe quoi avec l'orthographe. Finalement, on fait quoi ?

Ben, je crois que la sagesse voudrait que penula soit considéré comme un autre terme en rapport avec les doublures de fourrure, et non de byssus. 

Dommage. On aurait pu voir des riches avec des chaperons sur la tête avant 1250. 


Creusons, creusons...

Mais, évidemment, vous vous doutez bien que Tata Lady Castel, elle a grattouillé un peu dans ses sources. Dans sa bibliothèque, quoi.
La littérature nous offre aussi, parfois des mentions de capuchon. Mais... Associé à une chape. Ca sent la chape avec capuchon, surtout quand il s'agit d'une demoiselle en promenade à cheval (et là, vlan, nous voilà vers 1200). 

Ou une reine avec des enfants (un peu plus tard, mais en réalité c'est avant).
Mais, ça va pas non plus. Ce qu'on cherche, c'est du noble, ou du riche, ou du bourgeois, avec un chaperon, indépendant, sur la tête. Pas un vêtement à capuche. M'enfin !

Le mot "chaperon", ou "caperon", il pourrait pas avoir la gentillesse d'apparaître quelque part ? 

Juste comme ça. Pour faire plaiz à Tata Lady Castel.

Oh ! Tiens donc ! 

Une histoire de couverture (et pas que...)

Un texte du tout début XIVe... Mais qui parle d'un petit épisode inconnu du milieu XIIIe, par un auteur tout aussi confidentiel. 

Clint Joinville... Et ses (més)aventures égyptiennes. Ca se date, là. 

Joinville présente son ouvrage Vie de Saint Louis au roi Louis le Hutin (vers 1330-1340). BNF. Français 13568, 1.

il geterent sur moy un mien couvertour
de escarlate fourrei de menu vair, que ma dame ma mère m'avoit
donnei-, et li autres m'aporta une courroie blanche, et je me ceingny
sur mon couvertour, ouquel je avoie fait un pertuis, et Tavoie vestu;
et li autres m'aporta un chaperon, que je mis en ma teste.

ils jetèrent sur moi une mienne couverture de fin drap doublée de menu vair, que madame ma mère m'avait donnée-, et l'autre m'apporta une ceinture blanche, et je me ceignis par-dessus ma couverture, à laquelle j'avais fait un trou , et que j'avais passée comme un vêtement ; et l'autre m'apporta un chaperon que je mis sur ma tête.

Joinville 323. (C'est la traduc la plus courante, celle qu'on trouve, par ex. chez Lettres Gothiques, de Jacques Monfrin, celle avec de belles boulettes niveaux tissus, merci Viollet-Le-Duc, mais bon, on a la version originale).

Je sais. Il est habillé un peu comme l'as de pique, dans cette histoire. 

Descendant de Joinville dans un film italien, tourné en Espagne, supposé se passer en Amérique. Porter la couverture avec un truc sur la tête. Une tradition familiale.
 

 Il y a une sacrée insistance sur l'incongruité de la couverture offerte avec amour par Môman Joinville pour que Jeannot ne prenne pas froid lors de la croisade. C'est là qu'on tient peut-être un truc. Puisque Joinville mentionne quand même assez souvent les vêtements, et les manquements aux règles en vigueur dans la société de son temps... Si le chaperon était un vêtement anormal pour quelqu'un qui déjà se balade avec une couverture d'écarlate (cher !) doublée de menu vair (cher !) sur le dos, si ç'avait été un vêtement de pécore, de marin (le contexte pourrait d'ailleurs le justifier)... On peut supposer que Joinville s'en serait ému, et en remette une couche pour signifier la mauvaise posture dans laquelle il se trouve. Déjà qu'il a dû trouer la couverture de Môman (elle va le gronder quand il va rentrer, c'est sûr !).

Elle est où ta couverture que je t'avais donnée Jean ? C'est quoi ce trou ? Tu en veux un autre ?
Ben non. Rien. Il met le chaperon, et il n'en remet pas une couche. Ce qui laisse fortement supposer (comparé aux nombreuses autres indications vestimentaires qu'on trouve dans la Vie de Saint Louis) que ce n'est pas plus surprenant que cela qu'il se coiffe d'un chaperon. 

Si la présence du chaperon justifiée par le terme penula et son sens antique est très très très légitimement discutable, et relève certainement d'un biais de confirmation (on prend le terme latin, on s'y accroche, et on ne le laisse pas tomber, et tant pis pour tous les problèmes qui se posent quand on compare avec le reste du texte), Joinville paraît, à mon humble avis, une source bien plus fiable quand à la présence du chaperon dans la garde-robe de la noblesse avant 1250 (oui, parce qu'il y a peu de chance que Joinjoin ait acheté ça au marché de Damiette en tant que dernier accessoire de mode qui vient juste de sortir... On peut penser qu'il l'a ramené avec la couverture...)

La routine...
Mais il reste un point important. Ce chaperon est-il comparable à celui porté, par exemple, chez des gens de qualité moindre que celle de Joinville dans la bible de Maciejowski ? A-t-il une collerette aussi courte ? Ou est-il le prétexte à une consommation de fourrure en doublure plus importante, et donc une collerette plus large, comme on la voit vers la fin du siècle ? 

On aimerait bien avoir des images du chaperon de noble. 

 Cette absence d'images anciennes d'un accessoire qui paraît avoir été adopté plus tôt, que ce qu'elles laisseraient penser, par la noblesse se justifie-t-il par une association aux couches plus humbles ou vulgaires ? Même si, dans les faits, la noblesse finit par se laisser tenter. 

Une mention plus ancienne du chaperon dans la littérature, dans Gaydon, chanson de geste, qui daterait de vers 1230, associe cet accessoire à un personnage négatif, qualifié de "mauvais garson". Au moins, c'est clair. Le chaperon semble même renforcer le côté sournois du méchant. 

Il ne lui manque que le chaperon !
Gaydon chanson de geste :

Car cil Thiebaus , qui sire iert d'Aspremont,
Ot en sa cort .1. moult mauvais garson,
Qui ot espic et escharpe et bordon.
Si se musa es grans tentes Gaydon;
N'i ot parole ne contée raison
Li gars n'ait mise desoz son chaperon. (v. 913)

Le mot chaperon est devenu "bonnet" dans la traduction de Jean Subrenat (p. 85). Voilà pourquoi il est toujours préférable d'utiliser le texte d'origine. 

Gaydon, chanson de geste du XIIIe siècle, présentée, éditée et annotée par Jean Subrenat, traduite en collaboration avec Andrée Subrenat. Peeters Publishers, Louvain, Paris, 2007

Merci Joinville !

Ceci dit, Joinville, et sa neutralité devant cette pièce de vêtement qu'il enfile, comme si cela était, au final, naturel, et respectable, reste une source intéressante quant à la possible banalité du chaperon parmi la noblesse française du milieu du XIIIe siècle. Même si la source paraît isolée (mais, rien n'indique qu'il n'y en a pas d'autres bien planquées quelque part), la manière d'en parler paraît révélatrice. Le terme choisi et la façon de le porter qui est précisée sont des informations hautement précieuses qui permettent d'éliminer tout ambiguïté par rapport à des textes plus anciens mentionnant, voire décrivant avec plein de détails, des capuchons, mais qui renvoient clairement à des chapes (on peut trouver cela, par exemple, dans L'Escoufle, au tout début du XIIIe).

Bref, milieu XIIIe, voire un peu avant, le chaperon, ça semble acceptable pour les nobles en goguette.


Salut les reconsts !



dimanche 14 mars 2021

ACCESSOIRE

UNE JOLIE AUMONIERE 

Un petit tour au XIVe 

T 518. I'll be back. (Toutes les photos sont personnelles. Merci de ne pas les utiliser sans autorisation préalable)

Il était une fois... Il y a un an... Une petite balade en Allemagne. 

Première étape Nuremberg. Qui rime avec Dürer (y a une autre rime aussi, mais elle est bien moins jolie. A vrai dire, elle pue carrément).

Ca, ça rime bien.
Et à Nuremberg, y a un joli musée, où il n'y a pas que des Dürer. Il y a plein d'objets.

C'est le Germanisches Nationalmuseum.

C'est là, mais c'est l'ancienne entrée. Qui est plus jolie que la moderne...
Pour le médiéval, y a de la matière. 

Plein de trucs, je vous dis !
Pour les textiles aussi. 


Pour tous les goûts.
Et il y a également des textiles médiévaux (tant qu'à faire !).

Et donc, je vais vous causer d'une aumônière au nom ravissant : T 518. (Limite un nom à faire tête d'affiche dans un Terminator.)

C'est pas du gros article. Un petit truc rapide, mais ça peut servir de voir un objet de manière un peu détaillée. Avec un gros merci aux copines Séverine Watiez (Perline) et Laurette Estève (La Louvette), pour leur aide précieuse quand on a brainstormé sur les photos que j'avais ramenées.

Aumônière brodée avec armoiries françaises et anglaises, 1ère moitié du XIVe siècle, lin, soie et fils métalliques, Germanisches Landesmuseum, Nuremberg.


D'où ça sort ?

D'une vitrine du Germanisches Nationalmuseum de Nuremberg, tiens !  

 
Ce petit bijou en tissu et fils métalliques date de la première moitié du XIVe siècle. Elle est considérée comme étant de fabrication anglaise ou française, à cause des armoiries la décorant. Les armoiries se trouvent dans seize rectangles, disposés sur quatre rangées et quatre colonnes. Bref, du bon objet bien européen (continent, hein...) : elle est en Allemagne, et elle vient d'Angleterre ou de France. 

Aspect général

On a une jolie aumônière brodée de soie et fils métalliques sur lin. Son état de conservation est bon. Ceci dit, elle a quelques traces d'usure qui ont l'air assez intéressantes. On y reviendra. Le décor est très majoritairement vert et jaune, jouant sur les alternances de couleur, pour les rectangles et les armoiries. Bref, on met en avant un certain aspect décoratif, qui devait bien péter quand les couleurs étaient encore toutes fraîches. 

Des cordons 

Gros plan sur le fingerloop !
Chouette, on a toujours le cordon permettant de l’accrocher, réalisé grâce à la technique du fingerloop plat. Et comme on est en veine, nous avons aussi un lacet permettant de fermer l’aumônière, fait à la lucette ou au fingerloop rond (tissage tubulaire), donc, soit avec un petit outil, soit avec les doigts.

Gros plan sur le cordon de fermeture
Et on rejoue avec les couleurs et l'alternance. Le cordon, de couleur dominante verte, se termine par un gland, orné de ce que l’on désignerait maintenant comme un "bonnet turc", ou "Turk's head knot" en anglais, "noeud de tête de Turc", qu'on va simplifier, par pure flemme assumée, en "noeud turc". Ce nœud reprenant le jaune. Toute la décoration de la bourse joue avec cette alternance.  

Bonnet turc
Au rendez-vous des glands

3/5
La partie inférieure est ornée de cinq glands eux aussi à nœuds turcs, où, là encore, les couleurs sont... devinez... alternées ! Ca alors. Du jaune, du vert, de l'écru, du jaune, du vert . Peut-on supposer que si un autre cordon de fermeture a existé (ce qui n’est pas une certitude, des aumônières fermées par un seul lacet pouvant se trouver), celui-ci était à dominante jaune et nœud turc vert ? L'intérêt de cette hypothèse c'est que cela équilibrerait l’ensemble.

2/5, mais avec un bonnet en moins.
L’un des glands verts a perdu son nœud turc. Et hop, une info supplémentaire : très probable utilisation de fils n’appartenant pas au gland pour la réalisation du détail ornemental, comme le cordon de fermeture le laissait deviner. 

Des tresses

Tresse du haut
Histoire de continuer à jouer avec les fils, on remarque, sur les côtés de l'aumônière et sur ses bords supérieurs que des tresses assez fines, toutes simples, ont été cousues. 

Tresse latérale.

L'intérêt de l'usure

Mine de rien, les parties abîmées nous apprennent pas mal de petites choses bien utiles. Parce que ce sont les parties usées de l’objet qui retiennent principalement l’attention. 

Une première remarque c'est que, comme dans de très nombreux cas du Moyen Âge central, il n’y a pas d’œillets pour laisser passer les cordons. Pas la peine de se préparer à l'épreuve du point de boutonnière. Ca sert à rien. Les cordons se contentent de passer sous et sur le tissu, en écartant simplement les fils de la toile de base, et ceux des broderies. Ca peut se faire en utilisant une aiguille à bout rond. Tout simple, quoi.  

L’usure de la broderie, visible au dessus du cordon, semble indiquer l’existence d’un autre lacet. Mais surtout, on peut voir la trame de lin sur laquelle les écussons ont été brodés. C'est une trame très lâche (oui, elle est limite en train de se barrer), un peu comme une toile de canevas ou une toile de tire-fil actuel[1]

C'est encore une info qui n'est pas piquée des hannetons. Parce que d'un point de vue technique, cette particularité est passionnante. Et si les brodeurs utilisaient des toiles spécifiques pour les aumônières, toiles qui simplifiaient le travail des artisans ? 

Quant au point des broderies, ce serait un petit point ou un point natté espagnol[2], selon les appellations actuelles de ces deux possibilités. Et c’est avec une trame aussi lâche que ces points sont travaillés. Quel hasard. 

Voilà, voilà... Cet article est en stock depuis un peu plus d'un an... Je trouve qu'il est temps que ça sorte...
Ding dong, c'est l'heure !

[1]     Une bonne astuce pour broder. Le tire-fil est une toile permettant de broder un motif en le dessinant sur ladite toile, fixée sur un tissu. Et quand l’ouvrage est terminé, on peut retirer les fils, la broderie restant sur le tissu de base. Magie !

[2]     Merci à Séverine Watiez pour l’identification de ces points, et pour d’autres termes techniques de cette partie.