dimanche 14 mars 2021

ACCESSOIRE

UNE JOLIE AUMONIERE 

Un petit tour au XIVe 

T 518. I'll be back. (Toutes les photos sont personnelles. Merci de ne pas les utiliser sans autorisation préalable)

Il était une fois... Il y a un an... Une petite balade en Allemagne. 

Première étape Nuremberg. Qui rime avec Dürer (y a une autre rime aussi, mais elle est bien moins jolie. A vrai dire, elle pue carrément).

Ca, ça rime bien.
Et à Nuremberg, y a un joli musée, où il n'y a pas que des Dürer. Il y a plein d'objets.

C'est le Germanisches Nationalmuseum.

C'est là, mais c'est l'ancienne entrée. Qui est plus jolie que la moderne...
Pour le médiéval, y a de la matière. 

Plein de trucs, je vous dis !
Pour les textiles aussi. 


Pour tous les goûts.
Et il y a également des textiles médiévaux (tant qu'à faire !).

Et donc, je vais vous causer d'une aumônière au nom ravissant : T 518. (Limite un nom à faire tête d'affiche dans un Terminator.)

C'est pas du gros article. Un petit truc rapide, mais ça peut servir de voir un objet de manière un peu détaillée. Avec un gros merci aux copines Séverine Watiez (Perline) et Laurette Estève (La Louvette), pour leur aide précieuse quand on a brainstormé sur les photos que j'avais ramenées.

Aumônière brodée avec armoiries françaises et anglaises, 1ère moitié du XIVe siècle, lin, soie et fils métalliques, Germanisches Landesmuseum, Nuremberg.


D'où ça sort ?

D'une vitrine du Germanisches Nationalmuseum de Nuremberg, tiens !  

 
Ce petit bijou en tissu et fils métalliques date de la première moitié du XIVe siècle. Elle est considérée comme étant de fabrication anglaise ou française, à cause des armoiries la décorant. Les armoiries se trouvent dans seize rectangles, disposés sur quatre rangées et quatre colonnes. Bref, du bon objet bien européen (continent, hein...) : elle est en Allemagne, et elle vient d'Angleterre ou de France. 

Aspect général

On a une jolie aumônière brodée de soie et fils métalliques sur lin. Son état de conservation est bon. Ceci dit, elle a quelques traces d'usure qui ont l'air assez intéressantes. On y reviendra. Le décor est très majoritairement vert et jaune, jouant sur les alternances de couleur, pour les rectangles et les armoiries. Bref, on met en avant un certain aspect décoratif, qui devait bien péter quand les couleurs étaient encore toutes fraîches. 

Des cordons 

Gros plan sur le fingerloop !
Chouette, on a toujours le cordon permettant de l’accrocher, réalisé grâce à la technique du fingerloop plat. Et comme on est en veine, nous avons aussi un lacet permettant de fermer l’aumônière, fait à la lucette ou au fingerloop rond (tissage tubulaire), donc, soit avec un petit outil, soit avec les doigts.

Gros plan sur le cordon de fermeture
Et on rejoue avec les couleurs et l'alternance. Le cordon, de couleur dominante verte, se termine par un gland, orné de ce que l’on désignerait maintenant comme un "bonnet turc", ou "Turk's head knot" en anglais, "noeud de tête de Turc", qu'on va simplifier, par pure flemme assumée, en "noeud turc". Ce nœud reprenant le jaune. Toute la décoration de la bourse joue avec cette alternance.  

Bonnet turc
Au rendez-vous des glands

3/5
La partie inférieure est ornée de cinq glands eux aussi à nœuds turcs, où, là encore, les couleurs sont... devinez... alternées ! Ca alors. Du jaune, du vert, de l'écru, du jaune, du vert . Peut-on supposer que si un autre cordon de fermeture a existé (ce qui n’est pas une certitude, des aumônières fermées par un seul lacet pouvant se trouver), celui-ci était à dominante jaune et nœud turc vert ? L'intérêt de cette hypothèse c'est que cela équilibrerait l’ensemble.

2/5, mais avec un bonnet en moins.
L’un des glands verts a perdu son nœud turc. Et hop, une info supplémentaire : très probable utilisation de fils n’appartenant pas au gland pour la réalisation du détail ornemental, comme le cordon de fermeture le laissait deviner. 

Des tresses

Tresse du haut
Histoire de continuer à jouer avec les fils, on remarque, sur les côtés de l'aumônière et sur ses bords supérieurs que des tresses assez fines, toutes simples, ont été cousues. 

Tresse latérale.

L'intérêt de l'usure

Mine de rien, les parties abîmées nous apprennent pas mal de petites choses bien utiles. Parce que ce sont les parties usées de l’objet qui retiennent principalement l’attention. 

Une première remarque c'est que, comme dans de très nombreux cas du Moyen Âge central, il n’y a pas d’œillets pour laisser passer les cordons. Pas la peine de se préparer à l'épreuve du point de boutonnière. Ca sert à rien. Les cordons se contentent de passer sous et sur le tissu, en écartant simplement les fils de la toile de base, et ceux des broderies. Ca peut se faire en utilisant une aiguille à bout rond. Tout simple, quoi.  

L’usure de la broderie, visible au dessus du cordon, semble indiquer l’existence d’un autre lacet. Mais surtout, on peut voir la trame de lin sur laquelle les écussons ont été brodés. C'est une trame très lâche (oui, elle est limite en train de se barrer), un peu comme une toile de canevas ou une toile de tire-fil actuel[1]

C'est encore une info qui n'est pas piquée des hannetons. Parce que d'un point de vue technique, cette particularité est passionnante. Et si les brodeurs utilisaient des toiles spécifiques pour les aumônières, toiles qui simplifiaient le travail des artisans ? 

Quant au point des broderies, ce serait un petit point ou un point natté espagnol[2], selon les appellations actuelles de ces deux possibilités. Et c’est avec une trame aussi lâche que ces points sont travaillés. Quel hasard. 

Voilà, voilà... Cet article est en stock depuis un peu plus d'un an... Je trouve qu'il est temps que ça sorte...
Ding dong, c'est l'heure !

[1]     Une bonne astuce pour broder. Le tire-fil est une toile permettant de broder un motif en le dessinant sur ladite toile, fixée sur un tissu. Et quand l’ouvrage est terminé, on peut retirer les fils, la broderie restant sur le tissu de base. Magie !

[2]     Merci à Séverine Watiez pour l’identification de ces points, et pour d’autres termes techniques de cette partie.