jeudi 4 mars 2021

RECONSTITUTION

L'IMPOSSIBLE RECONSTITUTION

Fallait bien que ça arrive un jour

Où l'on va causer chevaliérisation
Les joies de la reconstitution, encore et toujours. 

Autant parler d'évocation, ça fait moins mal. 

Il y a plein de choses qui coincent. Et qui rendent la reconstitution d'une époque impossible. 

On connait la blague "oui euh, de toute manière euh, la laine euh, c'est pas la même euh."
C'est vrai. Rien à redire là dessus. On a des sortes de laines qui existaient déjà au Moyen Âge, et qu'on trouve toujours, comme le mérinos. Mais...

Ca ne peut pas être la même laine parce que les moutons ne mangent pas la même herbe. Est-ce qu'on leur réserve encore le meilleur pré, comme au temps où l'industrie reine était la textile ? Et puis... Pollution. C'est plus la même herbe. Effectivement. 

Après... Les métiers à tisser... C'est pas les mêmes. Quand quelqu'un arrive, en 13e, 14e, 15e, fièrement avec un drap de laine tissé main... Euh... Mais... Révolution industrielle au 13e. Dans le textile. On passe à des métiers qui sont immenses. Ca tient pas dans la maison. Les métiers, ils fournissaient, par exemple, des draps, finis, de plus de 2m. Or, le traitement subit par les draps les faisait rétrécir. Ce qui induit qu'en tombant du métier, avant de se faire traiter, les draps faisaient bien plus de 2m de large. (je précise, comme Perline me l'a signalé... C'est pas si clair... L'esprit de Perceval est avec moi... : il y a des lés plus étroits. On en a même de 90 ou en dessous, mais, il faut toujours tenir compte de la perte occasionnée par les traitement. Donc, même pour un lé de 90, il faut un métier beaucoup plus large. Et il semble que certains lés soient réservés à des tissus avec usages précis, comme les vêtements de pluie... C'est très compliqué, quand on commence à entrer dans les détails. Le musée de Prato va bientôt sortir des choses très très intéressantes...) Je parle toujours de ce qui vient du mouton, cet animal à poil laineux (les initiés comprendront et sont priés de le crier à tue-tête)

Traités à l'eau. On retombe sur la pollution. Est-ce la même qualité ? 

Teinture. Qualité de l'eau ? Calcaire ? On a des villes qui fournissaient certaines couleurs. Comment savoir les recettes exactes ? Le rôle de la qualité de l'eau là dedans ? Et on retombe sur les questions actuelles de pollution. Notre pollution est-elle la même que celle du Moyen Âge et a-t-elle les mêmes effets sur tout ce qui a trait aux textiles ? On a des restes textiles. Mais on a une seule source fiable d'association échantillons couleurs/noms. Et ce qui vaut pour Prato vaut-il pour les autres centres textiles européens ? Bêêêê.

Ca commence à se compliquer, la reconstitution, non ?

Et, en passant, quand on a un tissu de plus de 2m de large, on ne conçoit pas ses vêtements comme avec un lé de 1.50m. 

Vous l'aurez compris, il faut absolument avoir conscience des limites de ce qu'on nomme reconstitution. Il y a une quantité de choses qu'on ne saura jamais refaire. On peut s'approcher. Aussi près que possible. Mais, se croire comme à le Moyenache, c'est plus que douteux. 

Et je garde les histoires de pilosité de côté. 

Ce serait pas mal de prendre tout ça en compte, parfois. Et aussi de réfléchir aux utilisations réelles des objets qu'on fait reproduire. Un reliquaire peut-il servir de boîte à bijou ? Un linge liturgique (comme les toiles ombriennes) peut-il servir comme serviette à s'essuyer la figure (vu dans une des innombrables vidéos qui prétendent illustrer la vie médiévale qui circulent sur youtube. J'en frémis encore. Déjà qu'on n'est pas sûr que ça servait, sous cette forme, de nappe pour les grandes occasions sur les tables seigneuriales, alors... Serviette de toilette ! Bonjour la vidéo didactique !). Après, on a bien des parements d'autel qui servent, en version méga cheap, pour faire des mantels, alors... Pourquoi pas la lingette démaquillante en nappe d'autel. C'est raccord.

Non, mais, ça va, je suis de bonne humeur en fait. Vraiment. Juste que... A un moment... il faut absolument se poser les bonnes questions. 

Allez, soyons fou. On va étudier un cas passionnant. Pour voir vraiment les limites. Un cas où on a quelques sources écrites. Mais pas de sources iconographiques ou de sources archéologiques qui peuvent aider. 

La chevaliérisation

Pas évident d'avoir des infos fiables à ce sujet. Et sur des périodes précises, et des lieux précis. 

Prudence de mise, en gros. 

Néanmoins, on a quelques infos. 

Et purée, ça fait mal ! Très mal ! 

Déjà, les bases. Ca devient sérieux à partir du XIIe. Et souvent, il faut piocher dans la littérature courtoise. Ce qui justifie l'usage d'un certain instrument.

En plus petit modèle. C'est mieux.

On le sait, l'utilisation du vêtement est extrêmement symbolique au Moyen Âge. Je renvoie à l'étymologie d'investiture pour une prise de fonction. Ca peut vous donner une idée du pourquoi du comment que je m'énerfff souvent devant des costumes d'évocation (surtout ceux présentés comme reconstitution). On est souvent à côté de la plaque (oui, encore). 

Quand un bonhomme passe du statut princier au statut royal, il a droit à un déshabillage/rhabillage quasi total en public. 

Forcément, ça se passe comme ça aussi quand on devient chevalier. Ce qui explique que ça coûte bonbon. C'est au delà de la simple distribution d'armes, une baffe, et tutti quanti. Y a de la cérémonie, de la fête, du religieux. 

D'accord, pour le religieux, faut le chercher.

Déjà, on a la veillée. 

Le jeune et fringuant jeune homme se retrouve en chemise, après avoir fait trempette. Un beau symbole de pureté, même si au départ (12e), c'est surtout pour qu'il soit propre (la trempette, hein). La symbolique religieuse, à ce sujet, elle arrive après (l'Eglise. Toujours là quand il faut récupérer un truc), début 13e, environ. Là dessus, on lui met une tunique rouge, qui rappelle le sang (c'est un peu son boulot, faut dire, de faire couler le sang si le devoir l'exige). Chausses brunes, pour la terre d'où on vient. Et aussi une coiffe, bien blanche et bien propre.

Et maintenant qu'il est tout beau, il n'a plus qu'à jeûner, pendant 24 heures et à passer la nuit à prier. 

Ensuite, cérémonie, il a droit à la panoplie de chevalier.

C'est quand même vachement noble raconté comme ça. On comprend l'émotion de Perceval.  

En tout cas, pour en revenir à Perceval, version Chrétien de Troyes, on a du don de tissu. Et pas du tissu de gnognotte. Mais, on est dans du roman de chevalerie. Exagération, tout ça...

Vraiment ?

VRAIMENT ?

Après, on habille la famille. On peut être généreux. La famille ?

Vraiment ?

VRAIMENT ? 

Allez, on passe aux sources non littéraires. Ca permet de remettre l'église au centre du village. Et on va faire un saut dans le temps. 

Je récapitule : on a de la source en 12e, de la littéraire en 13e, qui nous donne de jolies infos, d'ailleurs. Et des petites courses faites par des rois d'Angleterre, en 14e. Et on a des images d'époque.

Comparaison entre ce que nous donnent les images et ce que donnent les textes ? C'est toujours rigolo cette histoire. 

Très belle nuance de rouge, au centre.
Spoiler alert : les infos montrent des évolutions en quelques années. 

Et ces infos sont valables pour l'Angleterre. Pour le reste du monde connu, je vous laisse faire vos recherches vous même.

Quelques infos textiles sur des adoubements en Angleterre au début du XIVe siècle. 

Alors, il s'agit de ce qui est donné d'abord par Edward I en 1301-02 puis par Edward III en 1327-28, pour des cérémonies de chevaliérisation. C'est pas forcément de la famille. On est dans différents rangs de noblesse (et c'est là que c'est rigolo.)

Ed1. Je ne vais pas entrer dans les détails, mais selon les rangs, on a différents types de soieries. Entre les bannerets et les simples chevaliers, qui tous reçoivent du drap d'or (servant aux vêtements et au couvre-lit -culcitra- servant après la veillée), on a une énorme différence. Les bannerets reçoivent des draps d'or dits "de soie", les chevaliers des draps d'or dits "de chanvre". En gros, on a du fil d'or avec une âme de soie et un avec une âme de chanvre. Les spécialistes faisaient la différence facilement, à l'oeil nu. La hiérarchie est là. Les barons ont encore un autre type de tissu (tarse), soie certainement multicolore, avec des motifs, qui pouvait éventuellement être brodé. Des fois que... 

Alors là, y a Fifi le bel, avec Fifi le long et Chacha le bel, et Ed2. C'est parce qu'il y a Ed2 que je la mets là. C'est bien placé. Ou alors, ils répètent la choré de YMCA et ce sont les Royal People. Pas encore au point.  

Ed3. Les comtes ont du drap d'or diapré avec fil d'or en soie plus de l'écarlate et du vert (pour faire des robes... faut prévoir pour la suite). Les bannerets, écarlate, vert, et soie avec des motifs, et, certainement du fil d'or. C'est du très cher, qui peut être importé du Proche-Orient ou d'Italie (là, c'est moins cher). Un banneret à droit à un tissu tarse avec des rayures en or (moins cher. Le plouc de la bande), en prime de l'écarlate et du vert. Les simples chevaliers, du tarse, différentes sortes de bleu, un peu de vert. Qualité moindre. 

Le tout donne, quand on les voit, des indications de rangs, clairement identifiables, et une certaine unité, accompagnée d'une démonstration de richesse de la part du roi. Ca pète !

Les tissus de soie ont des usages très précis, liés à la cérémonie. Après, est-ce qu'on pouvait les ressortir pour les grandes occasions ou est-ce que c'était juste comme les robes de mariée ? On pouvait les fondre pour récupérer l'or ? On les offrait à l'église du coin ? Le couvre-lit, on le réutilisait pour les visites importantes dans la chambre ? Pour la nuit de noce ?

Et c'est donc là que les problèmes commencent.

Ok, c'est chouette, on a des infos. Mais, plein de questions. 

Déjà, on a des termes très précis pour définir ces tissus, et des indications matérielles. Mais...

Drap d'or. L'or, ça représente quelle surface du tissu ? Quels motifs sont dessinés ? Et la soie, en dessous, elle est de quelle couleur ? C'est du brocart ? Des bandes ? Du tissu doré ? Y a du brodé ?

Les fils d'or... âme de soie ou âme de chanvre. Mais, il est comment l'or ? En fil ou en lamé ?

Et les motifs, pour le drap d'or comme pour les autres tissus ? C'est comment ? Qu'est-ce qui se portait dans la noblesse ? Est-ce que les tissus liturgiques (ceux qui restent) ont les mêmes motifs, ou c'est encore un autre truc ? 

Et puis, on n'a pas les mêmes infos selon les dates dans le même milieu... C'était comment avant ? Entre ? Après ?

Vous voyez le problème ? On a des descriptions dans les comptes royaux qui en fait n'amènent aucune réponse, mais tout un tas de questions. 

On ne sait même pas la dégaine de ces vêtements. Leur forme. A la mode, ou genre dalmatique ? Tout ce qu'on a, ce sont des noms de tissus, sur lesquels on n'a que des hypothèses.

Tant qu'on n'a pas retrouvé le fragment de tissu qui indique bien comment on l'appelait à l'époque, et qu'il a été utilisé pour telle ou telle occasion, on est totalement bloqué. Peut-être qu'on a déjà des fragments de ces tissus, mais qu'on ne le sait pas. Parce qu'on n'a rien pour les identifier formellement et les lier à ces usages.

Le chevalier qui n'a pas été adoubé par le roi, il a reçu tout ça aussi ? C'est papa qui fournit ? Le suzerain ? Mamy ?

Et... C'est pareil en France ? En Allemagne ? En Italie ? En Espagne ? Si ça se trouve, le pourpoint de Charles de Blois, c'est en fait une tenue liée à la chevaliérisation (faudrait que j'arrête d'utiliser ce terme, parce que... tout le monde n'a pas la référence... Et puis à force, ça va remplacer le vrai terme). Ca pourrait vraiment être ça...

On peut être tenté de commander un tel tissu. Mais... Ca en fait des incertitudes. Il y a une hiérarchie à suivre, et, certainement, la quantité d'or apparente sur les vêtements devait jouer. Tout comme le visuel lié à la qualité de l'âme du fil d'or. Et la soie qui va avec le fil d'or, la base du tissu... C'est quel type de tissage ? Est-ce qu'on peut se contenter de ce qui est proposé dans le commerce en ce moment et n'a rien de comparable avec les restes d'époque ? Nan. Ca coûterait combien ? Et si on se loupait ? Si on dépensait des sommes à 5 chiffres (au moins) pour un vêtement qui ne va pas ?

La seule chose sûre, c'est... Une tunique rouge pour l'adoubement. Pour du très noble, on peut y aller en soie. Genre samit. Mais pour le reste ? On fait comment ? 

C'est pour ça que, même avec la meilleure volonté du monde, avec tous les moyens possibles... On doit l'admettre, la reconstitution est impossible.

Evocation, c'est mieux. Donc, autant garder ce terme, qui est bien moins prétentieux, et plus juste, au final... Puisqu'on n'y arrivera pas (c'est pas du défaitisme, c'est la réalité ;) )



 

 


1 commentaire:

  1. J'aime bien cette approche, un peu négative et brouillonne mais plein de bon sens et juste, je suis le premier à faire "mon mea culpae" mais je tiens à dire que par opposition aux cosplayer il était nécessaire d'employer le terme de reconstitution pour l'esprit de la démarche, quoique je ne retire en rien la qualité et les heures de travail pour certains costumes de cosplay ! Mo

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