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mardi 20 décembre 2016

BOUQUINERIE

TIME REMEMBERED

Frances Horner




Un vieux livre... A trouver chez les bouquinistes... Si vous partagez mon amour de Burne-Jones.
Frances Horner était la fille d'un de ses mécènes, Mr Graham, homme politique écossais. Et Burne-Jones était un peu (euphémisme) amoureux d'elle. Elle était beaucoup plus jeune, évidemment. Elle adorait la compagnie de Ned. Et sa culture, et tout et tout. Mais... Il était peut-être un peu collant.
Du coup, elle lui a habilement présenté une amie à elle, mal mariée, Helen Mary Gaskell, avec laquelle Burne-Jones entretint une correspondance... Mais ceci est une autre histoire.
Time remembered, ce sont les mémoires de Frances Horner. 


Un chapitre entier est consacré à Burne-Jones, à ce qu'il disait, à ce qu'il pensait. 
Et c'est pour ce genre de petites phrases, de formules, de petits dessins, de traits d'humour, qu'on aime aussi Burne-Jones. C'est ce qui rend le bonhomme attachant. Très attachant. 
Ce chapitre est peut-être plus utile que bon nombre de bouquins entiers sur le peintre. 
J'aime ce chapitre, j'aime le bonhomme... J'aime le peintre.

Ah oui. Il parait qu'il y a d'autres chapitres dans cette autobiographie. Ils sont bien (elle a connu beaucoup de monde, la Dame). Mais si vous devez, un jour, acheter un vieux livre rien que pour un seul chapitre, c'est celui-ci. A moins d'être Burnejonesphobique. Et encore, ça pourrait vous faire changer d'avis ! 
Frances Graham par Rossetti, en 1869
 Est-il besoin de préciser qu'on retrouve régulièrement son visage dans les peintures de Ned ?

Lady Frances Horner
Time Remembered
Heinemann Ltd, Londres, 1933. 

Prix : variable selon les vendeurs. On peut le trouver à des prix abordables. 

INDISPENSABLE SI VOUS ETES NEDMANIAC !

jeudi 15 décembre 2016

Venise sur Alzette aux Pays Bas.

La jeune fille à la perle

Girl with a Pearl Earring en VO
de Peter Webber ; 2003




La quasi totalité des films sur la peinture... Comment dire... ? Euh... ? Y a pas un Emmerich à regarder plutôt ?
Je les trouve généralement pénibles. Pas intéressants. Limite soporifiques. Et... il manque la petite lumière qui fait qu'on aime la Peinture et qu'on a le sentiment de mieux la comprendre après.

vers 1665
46.5 × 40 cm, huile sur toile
La Haye, Royal Picture Gallery Mauritshuis



Et il y a la Jeune Fille à la Perle.
Basé sur le roman de Tracy Chevalier.
Basé sur Vermeer.
Avec Colin Firth.
J'ai toujours pas eu le temps de lire le roman. Mais les arguments 2 et 3 sont déjà suffisants (pour les messieurs, remplacer les mots « Colin Firth » par « Scarlett Johansson », et ça fera pareil). 

Y a de l'idée dans le casting.

Mais on va laisser Colin de côté. (Parfois, c'est dur l'abstraction!)


On commence par le négatif.
Alors voilà...
Ca se passe à Delft. Ainsi, on reconnaît très bien... Venise !
Si. Venise.
Enfin non...
Cadeau de l'office du tourisme du Grand Duché.

Esch sur Alzette !
Deuxième grande ville du vénérable Grand Duché de Luxembourg. Ville au charme fou où je me rends régulièrement... Parce que la station service est à 3 km de chez moi.
(Ce qui veut donc dire que Colin Firth était à quelques km de moiiiiiiiiiiiiiiiiiiiii !!! Et je ne savais paaaaaaaaaaaaaaaaas. Scusez, je vais pleurer et je reviens)



Donc, on reconnaît Venise. Récupération des décors de La Courtisane, avec Rufus Sewell (Ce qui veut donc dire que... * retourne pleurer * * A très chaudes larmes parce que quand même quoi...* * Repense au Marchand de Venise et Jo Fiennes * * va acheter tout le stock de mouchoir du carrefour market d'Audun *)
Mais je m'égare.
On reconnaît donc clairement par endroits les décors vénitiens construits à Esch à peine transformés en ville du nord. Parfois, ça dérange un peu quand même.

La Ruelle, vers 1657–1658, huile sur toile
54.3 × 44 cm
Amsterdam, Rijksmuseum Amsterdam, qui fut utilisée comme source d'inspiration pour la maison de Vermeer.


On a fini les points négatifs.

Petite vidéo making of en fair use.

Je ne connais pas suffisamment la vie de Vermeer pour noter les éventuelles incohérences. Mais ce que j'en sais colle au film. Le catholicisme, le nombre important de filles... Et aussi tous les clins d'oeil à la peinture. Avec les rapports entre les costumes qui sortent tout droit des tableaux (en particulier sur la femme de Vermeer).
Ce jeu perpétuel entre le film et la peinture est très plaisant. On en oublie Venise sur Alzette. 
Jeune fille lisant une lettre à la fenêtre, vers 1657–1659, huile sur toile,
83 × 64.5 cm
Dresden, Gemäldegalerie Alte Meister

Les décors sortent directement des tableaux. On retrouve le riche tapis sur la table, les fenêtres, le mobilier.
Le travail sur la lumière et la couleur est impeccable. Ce qu'on demande forcément à un film sur Vermeer. Parce que sinon, cela veut tout simplement dire que le film a raté son but. 

Jeune fille au verre de vin, vers 1659–1660, huile sur toile,
78 × 67 cm
Braunschweig, Herzog Anton Ulrich-Museum


Cela veut dire tout simplement que le réalisateur, et le responsable de la photo n'ont rien pigé à leur sujet. Vermeer c'est une utilisation magnifique de la lumière, des reflets, des couleurs. Et c'est dans le film. Que demander de plus ? 

La lettre d'amour, vers 1669–1670, huile sur toile
44 × 38.5 cm
Amsterdam, Rijksmuseum Amsterdam

En outre, on ne peut qu'apprécier le travail sur les plans, les ouvertures, qui renvoie directement à la peinture hollandaise. Bel hommage à ces compositions. 



En plus du très beau travail de lumière et de couleur, l'amatrice de Vermeer que je suis prend plaisir aux rappels permanents des œuvres. J'ai déjà parlé du décor, qui nous fait entrer dans les tableaux. Les personnages sont issus des créations de Vermeer, et prennent vie. C'est magique. Bref, on entre, on sort... On voyage parmi les peintures.

 
Au niveau rapports humains, le film met surtout en avant le rapport entre un peintre et son modèle. Griet, la servante, paraît bien plus sensible à l'art que la femme de Vermeer, ou sa belle-mère, qui voit surtout le côté business. On fait aussi la connaissance du principal acheteur de Vermeer. Un peu le gros balourd antipathique du coin. Mais il a le pognon, pour le plus grand bonheur de belle-maman.

Belle maman

Tout le film montre l'attraction de Vermeer pour une jeune fille qui sait percevoir les choses, qui comprend l'importance de la lumière. 
Lavage de carreaux

Jeune femme au pichet d'eau, vers 1662–1665, huile sur toile
45.7 × 40.6 cm
New York, The Metropolitan Museum of Art
Marquand Collection

La femme de Vermeer, elle, passe à côté de tout. Elle ne voit dans le rapport entre son mari et la servante qu'une hypothétique attirance physique. Le côté "amour de l'art", spirituel, beauté des choses, de la nature, observation, lui échappe totalement.
Maîtresse et servante,vers 1666–1667, huile sur toile
90.2 × 78.4 cm
New York, The Frick Collection
Henry Clay Frick Bequest

Elle paraît insensible à l'art de Vermeer. Et c'est certainement là que ça bloque sérieusement. Elle est juste jalouse du lien entre Griet et son mari, et la grossesse n'arrange rien. Ce sont des femmes de sensibilités différentes. (Mais, elle n'a rien à craindre... Griet a un chéri de son âge, voyons !)

Le gros lourd de service (mais qui a les sous), et madame Vermeer.


Le rapport peintre/modèle fait du film un très beau travail sur le processus créatif, sur l'inspiration. Ce petit truc qu'on ne sait expliquer mais qui fait souvent la différence entre le grand peintre et le génie. Et c'est dans la catégorie génie que je mets évidemment Vermeer. 

Femme au collier de perles, vers 1660–1665, huile sur toile
55 × 45 cm
Berlin, Gemäldegalerie

La peinture du XVIIe siècle n'est pas celle qui m'attire le plus, mais, quand c'est le cas, c'est surtout le travail lumière/couleur qui m'appelle. Et là, c'est parfaitement compris (je me répète, j'ai l'impression). 
On a trouvé pire comme habilleuse


En dehors des costumes issus des tableaux (et de Venise sur Alzette délocalisée aux Provinces Unies), je ne peux pas trop juger les tenues. A mon humble avis, ça passe très bien. Les spécialistes y trouveront certainement à redire. Il n'y a, en tout cas, rien qui soit venu gâcher mon plaisir. J'ai cru au film du début à la fin. J'y crois toujours. On est transporté dans les tableaux, et c'est beau... Voilà. (et Colin est un plus. Mais chut!)

Toi aussi, apprends l'huile avec Colin !

Crédits photos :
film : IMDB / The Wallpaper.org, etc.
tableaux : Wikimedia Commons

Evidemment très hautement recommandé, à voir, à revoir, et à revoir encore. On ne s'en lasse pas ! C'est comme le tableau : un chef-d'oeuvre.

mercredi 14 décembre 2016

Hommes femmes, emploi de modes

Pour faire genre...


Savoir reconnaître les hommes des femmes dans les oeuvres d'art, ça aide (pourquoi, tout d'un coup, est-ce que je pense à Dan Brown ?). Et quel meilleur moyen pour les repérer que les coiffures et les costumes ?
Bref, vous l'avez deviné. Un autre épisode de la saga "Connaître le costume médiéval, ça aide". 

Nous allons nous intéresser cette fois ci à deux oeuvres où il est question de problèmes de genre. Dans un cas, j'aurais tendance à me dire "mais c'est pas possible de sortir ça !" et dans l'autre "mais c'est pas possible de pas l'avoir vu avant !" (et je m'auto-baffe).

Allez ! Direction l'Italie !

Une petite chasse au faucon.
Nous allons d'abord dans la région de la Basilicate. C'est au sud de Rome, à gauche de Naples (en venant de Rome... Donc à droite sur la carte...)

Et plus précisément dans la jolie petite ville de Melfi. 

Melfi, son château qui remonte aux Normands (photo Michele Perillo/Wikimedia Commons)

Non contente d'avoir un joli château, elle compte aussi des églises rupestres. Celles de Ste Marguerite et Ste Lucie. 
Jusque là, tout va bien.
La ville est liée à Frédéric II Ohen Hoenstof Hohenstaufeune au célèbre empereur qui fit tant pour la Sicile et le sud de l'Italie, grand amateur d'art, et passionné par la civilisation orientale. Vous voyez de qui je cause, hein. (Je m'en sors bien sur ce coup là ! Personne n'aura remarqué que je ne sais pas écrire Ohenstau son nom.)
Et du coup, ben, son château ne suffit pas. Faut le voir partout. Mais vraiment partout. 
Peut-être un peu trop partout. 

Revenons à l'église rupestre de Ste Marguerite. Elle compte quelques petites fresques pas piquées des hannetons. 

L'une d'entre elles est une très belle peinture fin XIIIe représentant le Dit des Trois Morts et des Trois Vifs.
Résumé express de l'histoire :
Trois jeunes nobles vont à la chasse et tombent sur trois cadavres, à différents stades de décomposition. Forcément, ils ont un peu la pétoche, surtout le plus jeune. Les  trois morts leur expliquent qu'ils ont été comme eux et qu'eux (les vivants) seront aussi comme eux (les morts). Une réflexion sur la Vanité, et sur la nécessité de mener une bonne vie. 

Oui... Mais non...
Et voilà t-y pas que lors de la réouverture des églises rupestres, en 2012, est apparue cette théorie. 
Les personnages (vivants) sur la fresque sont des portraits posthumes de... Frédéric II, sa femme Isabelle d'Angleterre et son fils Conrad. 
Pourquoi pas, après tout. 
L'hypothèse fut faite par un critique napolitain. 
Mais... Sur quelles bases ? 

L'amour, avéré, de Frédéric II pour la fauconnerie paraît être une bonne raison. Et effectivement, le personnage le plus âgé porte un faucon. Mais est-ce suffisant ? 


Car le problème est évidemment que les trois personnages sont des hommes. 
Cela se devine aisément à leurs coiffures respectives. La mode féminine de l'époque veut que les femmes aient les cheveux séparés par une raie médiane, pendant que les hommes ont une petite frange, le dorelot. Or, c'est bien un dorelot que l'on voit sur les deux hommes derrière celui au faucon. 
En outre, il est difficile d'imaginer qu'Isabelle d'Angleterre, femme mariée, soit présentée sans voile. Ceci serait contraire aux règles de l'époque. 
Le personnage en vert, prétendu être Isabelle, porte en outre un surcot fendu sur l'avant. Une tenue masculine. 
Voir dans cette fresque des membres de la famille impériale est une idée séduisante. Mais cette hypothèse paraît peu crédible quand on analyse la manière dont ils sont vêtus et coiffés. 
En revanche, nous sommes devant ce qui est peut-être la plus ancienne représentation connue du Dit des Trois Morts et des Trois Vifs, et c'est cela qui fait de cette fresque de Melfi une oeuvre exceptionnelle !  

Psautier De Lisle, Les Trois Morts et les Trois Vifs, vers
1310-1320, Ms Arundel 83, British Library, Londres, f. 127.
Là encore, l'un des protagonistes tente de rassurer le plus jeune. (Photo British Library.)


De si jolies danseuses.

Après la Basilicate, allons en Toscane. A Sienne. 
Au Palazzo Pubblico. Et on change de siècle !
Allégorie du Bon Gouvernement

Là où l'on trouve, entre autres, de très belles fresques d'Ambrogio Lorenzetti... Allégories du Bon et du Mauvais Gouvernement. 
Les Effets du Bon Gouvernement sur la Ville (vers 1338-1340) est célèbre pour sa très belle représentation d'une cité médiévale, avec boutiques, cavalières, et danseuses...
Les Effets du Bon Gouvernement sur la Ville.
 De charmantes jeunes filles, aux robes colorées, avec des motifs impressionnants. 
L'identification des personnages dansant en tant que demoiselles remonte à... Pffffffffffffuit ! Au moins le XVIIIe siècle ! C'est vous dire !
Et, en 1991... Patatra ! 
Jane Bridgeman remet tout cela en cause dans un passionnant article paru dans Apollo. 
Plusieurs éléments, selon elle, semblent indiquer qu'il y a erreur sur les personnes. Ou plutôt sur les genres. 
Hommes ? Femmes ?
 Elle pointe les cheveux courts, et on doit reconnaître que la quasi totalité des personnages a effectivement des cheveux courts. Déjà, là, on a un petit problème par rapport aux représentations féminines. Néanmoins, "une danseuse" semble avoir une couronne de tresses, comme on peut en voir sur des figures allégoriques. Peut-être madame Bridgeman a t-elle négligé une possible présence féminine.
On voit les chevilles. C'est un fait. Mais, là encore, il y a un personnage qui semble avoir une robe un peu plus longue. La personne en rouge. Celle qui a une couronne de tresses. Ceci dit, si on compare les longueurs de vêtements avec des personnages assurément féminins, on ne peut qu'aller dans le sens de Jane Bridgeman (à l'exception de "la danseuse" en rouge) : ici, on retrouve des longueurs masculines.
Poitrines plates. On ne peut pas la contredire. Mais il faut reconnaître que les figures allégoriques d'Ambrogio n'ont pas de fortes poitrines non plus. On peut cependant noter que sur certaines de ses autres oeuvres, les femmes ont un peu plus de poitrine. 
Détail de la Circoncision. Il y a un peu plus de volume...
Couronnes de fleurs. Ceci était porté par les hommes au XIVe siècle. 
Encolures bateau. Cela peut se voir sur hommes. 

Bref... Jane Bridgeman voit 10 hommes dans ce groupe (9 danseurs et le joueur de tambourin). Je pense que, peut-être, il y a malgré tout une femme. 


Les tenues, trop courtes, sont aussi très extravagantes. Qu'on les compare aux tenues masculines ou féminines. Leur forme même est différente. Elles sont bien plus serrées sur le torse que d'ordinaire, et ceintes à la taille par des ceintures. La mode avait changé quelques temps auparavant et était devenue plus près du torse. Pour les deux sexes. Mais pas pour les notables, qui préfèrent garder des vêtements amples. 

Mais, surtout, ce qui choque, ce sont les motifs de ces tenues, l'aspect bariolé. Pour Jane Bridgeman, il s'agit certainement de musiciens itinérants, des giullari. Et il est indéniable que nous avons là un contraste très fort avec les tenues de personnages identifiés avec certitude comme respectables. De telles extravagances en ce qui concerne les motifs se retrouvent d'ailleurs, au XIVe siècle, sur des musiciens de Giotto ou du Codex Manesse. 
Giotto, le Mariage de la Vierge, Chapelle des Scrovegni de Padoue.

Par ailleurs, les découpes, fentes, broderies, et les parfums forts (non visibles ici, on s'en doute) sont des signes caractéristiques des saltimbanques. L'ornementation excessive, hors circonstances bien précise, est toujours mal perçue à cette période.  Pour Bridgeman, Lorenzetti a bien représenté ces danseurs professionnels, fort mal vus de la bonne société siennoise, et non des danseuses amateur. Mais elle précise bien qu'il n'y a pas de preuve formelle de ce possible choix de l'artiste.

Pourquoi les aurait-on pris à tort pour des femmes ? Jane Bridgeman trouve quelques clés, souvent plus tardives. L'abus d'ornementation ferait ressembler les hommes aux femmes. Et certains textes indiqueraient que les musiciens/danseurs sont vêtus de manière efféminée. Ce qui pourrait expliquer la confusion qui eut lieu pendant plusieurs siècles. Elle rejette la possibilité d'innocentes jeunes danseuses en se basant sur la mentalité de l'époque : il n'est pas bon pour les femmes de se donner ainsi en spectacle, publiquement, même pour des jeunes filles. 
Les changements de mentalité, de modes, ont joué un grand rôle dans cette confusion des genres.

La lecture de cette fresque par Jane Bridgeman est séduisante. Et elle nous paraît plus que plausible pour huit des personnages... Un léger doute subsistant pour le personnage tout de rouge vêtu. Le côté exubérant des matières est flagrant. 

Depuis l'article de Jane Bridgeman, cette nouvelle lecture a évidemment entraîné d'autres interprétations de la fresque, et du groupe de giullari. Pour cela, le lecteur peut se référer aux articles et livres cités en fin de ce billet. 

Ces deux peintures montrent, parmi tant d'autres exemples, que la connaissance des costumes et coiffures médiévales n'est vraiment pas à négliger. Elle peut conduire à rectifier une erreur d'interprétation de plusieurs siècles, et par là donner lieu à de nouvelles interprétations. Quant à la méconnaissance des modes du passé, elle pourrait bien laisser libre court à tous les fantasmes, rarement corrects...

Biblio express
Jane Bridgeman, Ambrogio Lorenzetti's dancing "maidens", A case of mistaken identity, in Apollo 133, 1991, 245-251 
Quentin Skinner, L’artiste en philosophe politique. Ambrogio Lorenzetti et le Bon Gouvernement, Paris, Raisons d’agir, 2003.
Patrick Boucheron, « Tournez les yeux pour admirer, vous qui exercez le pouvoir,
celle qui est peinte ici ». La fresque du Bon Gouvernement d'Ambrogio Lorenzetti,
Annales. Histoire, Sciences Sociales 2005/6 (60e année), p. 1137-1199.


Merci à Magali de la Reina, pour m'avoir déniché l'article de J. Bridgeman. Et à Jean Wirth pour m'en avoir parlé.



samedi 3 décembre 2016

Amours, Gloire et Peintures

DESPERATE ROMANTICS

 
Millais, Ophelia, 1852, Tate Gallery, Londres. Détail. (Photo TA)

C'est Lizzie qu'on assassine.

Millais, étude pour Ophelia, 1852, Birmingham City Museum and Art Gallery

Rossetti, détail de la deuxième version de Beata Beatrix, 1873, Birmingham City Museum and Art Gallery (Photo TA)

 


Une série qui date un peu (2009), BBC... Qui cause des... Préraphaélites ! Elle est pas belle la vie ? 

Une bande de jeunes peintres qui cherchent le modèle parfait. Et la trouvent... Et se l'arrachent. Ou pas. 

Millais (Samuel Barnett), Rossetti (Aidan Turner), Hunt (Rafe Spall) et le personnage inventé, qui fait Deverell et William Michael Rossetti à la fois pour le même prix, Fred Walters (Sam Crane) (Photo BBC)

Bref, l'histoire commence par la découverte de Liz Siddal (Amy Manson), qui s'esquintait les doigts à faire des chapeaux qu'elle ne pouvait pas se payer. Elle va d'abord poser pour Hunt, puis Rossetti, et Millais.
Lizzie Siddal (Photo BBC)

Rossetti (Aidan Turner), charmeur, roublard, baratineur, égocentrique, limite opportuniste (euphémisme)... Rossetti, quoi. Loin d'être parfait, mais fascinant, et attirant. Qui passe de plus en plus pour le raté de la bande, comparé à Millais, Hunt et Liz Siddall. Millais, adorable, le petit jeune. Innocent, naïf, gentil, timide... Et Hunt. Je ne suis pas fan du bonhomme, mais il devient presque sympa, parfois, tant qu'il ne part pas dans son obsession religieuse/sauveur de filles perdues. Ruskin, montré en coincé (pas faux) tendance malsain, et Effie, un peu trop au courant de certaines choses qu'elle va découvrir avec Millais. 
Lucky (photo BBC)

Lizzie... séduisante par sa répartie, et qui ne se laisse pas impressionner par le baratin de Rossetti. Au début. Après, elle se laisse avoir, et, évidemment, ce n'est pas un happy end.
Unlucky (photo BBC)

Annie Miller. Vulgaire, pas très futée, transformée en prostituée. Bref, "légère" exagération de ce qu'elle était (même si elle a vraiment eu besoin de pas mal de leçons pour épouser un monsieur de la Haute). 

Rossetti, Helène de Troie, 1863, Kunsthalle, Hambourg, modèle : Annie Miller (photo ©Bildarchiv Preussischer Kulturbesitz, Berlin, 2003, Hamburger Kunsthalle)

Justement. Parlons respect de l'histoire des préraphaélites. Exit Deverell, le peintre qui découvrit Lizzie et la peignit en premier, fut certainement le premier à l'aimer et mourut prématurément. Il est remplacé par un jeune journaliste, personnage fictif, ami du trio. 
Walter Deverell, dessin pour La Nuit des Rois. Première apparition de Lizzie, à gauche. vers 1850, Tate Gallery, Londres

Euh. Juste en passant. Les préraphaélites étaient sept dans leur confraternité. Où sont les quatre autres ? Même William Michael Rossetti, le frère de, a disparu du paysage. 
William Michael Rossetti, le petit frère de l'autre. Sacrifié sur l'autel du "on peut pas mettre tout le monde ça va être trop compliqué"
 Exit aussi Christina Rossetti, la soeur de, en tant que modèle de la Vierge dans Ecce Ancilla Domini. 

Etude pour Ecce Ancilla Domini. Christina, pas Lizzie. (Tate Gallery, Londres)

Remplacée direct par Liz. C'est un peu dur à avaler quand même, d'un point de vue historique. La famille Rossetti, si passionnante, brille par son absence. Il ne reste que Gabriel. 

Christina et Frances Rossetti, née Polidori. Aux abonnés absents. (Rossetti, National Portrait Gallery, Londres)

Ford Madox Brown n'est pas là non plus, malgré l'influence qu'il eut sur ses jeunes confrères. Ceci dit, on peut comprendre le désir de mettre un peu moins de personnages. 
Rossetti n'était certainement pas un ange, mais, le trait est peut-être un peu noirci.  
Rossetti, autoportrait en 1847 (National Portrait Gallery, Londres)

Autre problème : la chronologie des oeuvres. Ca se mélange pas mal. Il est même très choquant de voir Jane, future madame Morris, sur un tableau avant que Rossetti ne rencontre William Morris et Burne-Jones... 

Jane Morris, née Burden.
 Mais bon, vu que Ruskin apprécie un tableau de Millais pour lequel Lizzie a posé avant même que Millais ne sache que Lizzie existe (compliqué avec toutes ces incohérences temporelles). Le ton était donné dès le début. Quant à la transposition de la peinture de l'Oxford Union dans une église, à un moment où Rossetti considère un peu Ned et Topsy comme ses boulets (ce qui ne fut pas le cas en réalité, car il fut immédiatement séduit par la personnalité de Burne-Jones), ça passe très mal. 
Rossetti, Guenièvre, étude pour la peinture de l'Oxford Union. (Ashmolean Museum, Oxford, photo TA) A comparer avec le truc très moche qu'on voit dans la série.
 D'autant plus que Ned est très certainement à l'origine du choix de la légende arthurienne. Monumentale incohérence à tous les niveaux, là. Et alors le miracle qu'ils réalisent... bon, c'est un peu gros... Avec en prime une Jane Morris qui sort d'on ne sait pas trop où (vu l'élimination d'Oxford). La chronologie et l'histoire partent sacrément en vrille sur la fin. Lizzie qui meurt avant que Ned et Topsy ne soient l'un et l'autre mariés, par exemple. Il serait trop long de lister tout ce qui ne va pas niveau historique. Juste par gourmandise... Bubbles de Millais date de 1886. On en voit le croquis avant la mort de Lizzie (en 1862). Euh ? 
Millais, Bubbles, 1886. Lady Lever Art Gallery, Port Sunlight. Rossetti étant mort en 1882, il aurait eu du mal à en dire "c'est de la m...."




Et... disons que ça ne manque pas de sexe. Annie Miller est un bon prétexte. Mais pas qu'elle... Un peu trop, quoi... L'histoire entre Millais et Effie... 
Millais, le vrai
 Ruskin, en gros, la refile à Millais pour s'en débarrasser, et divorcer d'elle pour adultère (Suspense ! Les tourtereaux vont-ils le réaliser à temps ?). Et quand Millais se rend compte qu'Effie lui fait des avances grosses comme une maison, et qu'il veut tout arrêter (et donc renoncer au mécénat de Ruskin), Rossetti le pousse à continuer. Et le voyage à trois en Ecosse, où tout a vraiment commencé, est escamoté. Ruskin part seul. 
Ruskin, vu par Rossetti (Ashmolean Museum, Oxford. Photo : Ashmolean Museum)

On se demande comment Millais a pu faire son portrait sur place !
La fin est évidemment dramatique, et comporte peut-être l'incohérence la plus énorme... L'élément le plus tragique de l'histoire de Lizzie, les poèmes laissés par Rossetti, est totalement aseptisé, et transformé. Sans parler de la distorsion temporelle... Les 7 ans qui se transforment en quelques jours.

Plus positif... De beaux moments, comme la création d'Ophelia. 
Millais, Ophelia, 1852, Tate Gallery, Londres.
Millais, Ophelia, 1852, Tate Gallery, Londres. Détail. (Photo TA)
 
Amy Manson en Liz en Ophélie (Photo BBC)

Et aussi de Bocca Baciata, avec Fanny.
Bocca Baciata, 1859, Mueum of Fine Arts, Boston.


Millais et Effie sont mignons tous les deux. Et rafraichissants. Et c'est agréable, comparé au drame Lizzie, d'avoir une histoire avec happy end. 
Millais et Effie (Zoe Tapper) (photo BBC)

Liz Siddal version fiction est presque aussi fascinante que l'historique. 
Liz Siddal, autoportrait

C'est vraiment elle l'héroïne de la série. En tant que modèle, en tant qu'artiste et en tant que femme tombée sur un Pygmalion trop beau pour être vrai. 

Liz Siddal, Before the Battle, Tate Gallery, Londres.

Le personnage de Fanny Cornforth apparaît immédiatement comme très sympathique, et on devine que sa relation avec Rossetti va être longue, chaotique, sans relever de la passion, mais solide. 
Fanny Cornforth, par Rossetti, Tate Gallery, Londres (Photo TA)

Seulement... Fanny passe très vite.Regrettable car, au final, c'est l'histoire d'amour la plus "saine" de Rossetti.
Rossetti, détail de Fair Rosamund, avec Fanny Cornforth. 1861, National Gallery of Wales, Cardiff (Photo TA)

La mise en scène est parfois inventive. Le choix de la musique, un peu rock'n'roll, colle bien aux personnages. Rossetti aurait certainement fait une sacrée rock star, avec sa cour. Du coup, la musique ne choque pas dans cette atmosphère victorienne.


Millais, The Order of Release, 1853, Tate Gallery, Londres. Avec Effie en vedette. (Photo T. A.)

Le feuilleton est aussi une bonne introduction aux préraphaélites, qui étaient vraiment de sacrés personnages. Le scénario, même très romancé, reste assez intéressant. Mais... C'est nettement en dessous de la vraie histoire. Le comble.

L'histoire se situant durant la période victorienne, il y a évidemment du costume. J'aime bien les couleurs vives des costumes de Rossetti et Millais, qui traduisent assez l'excentricité et la jeunesse des personnages. Hunt est plus sobre, et plus sombre. Ce qui contraste plutôt avec sa peinture très lumineuse (même si je ne suis pas fan de son oeuvre, il faut quand même bien reconnaître ça !). Ceci dit, on sent l'impact de son séjour en Orient sur son apparence. 
W. B. Richmond : Hunt, 1900, National Portrait Gallery (oui, il a enterré tout le monde...)
Les costumes féminins manquent souvent un peu de volume au niveau des jupes... Y aurait-il eu parfois des économies de jupons, de corsets et de crinolines ? Sans être une spécialiste du costume XIXe, je crois qu'il y a quelques libertés prises à ce niveau. Dont l'espèce de tournure sur jupon portée par Effie quand elle tente d'apprivoiser Millais. Déjà, la tenue paraît sérieusement indécente. On est dans les années 1850. Et, franchement, le résultat n'est pas vraiment une réussite. Effie a l'air de nager dans son corsage. Mais on peut signaler le changement judicieux de costume d'Annie Miller, signifiant sa transformation. 
Annie Miller (Jenny Jacques) et Hunt, de retour de Terre Sainte (photo BBC)

La garde-robe de Liz l'artiste brille par son originalité. Un côté bohème qui lui va bien. Sinon... D'après ce que j'avais lu, la tenue de deuil était totalement noire. Du coup, le petit bout de col blanc de la mère de Lizzie avant l'enterrement, ça me paraît très bizarre (l'introduction d'un peu de blanc se faisait au bout d'un an, en théorie). Mais, après tout, on sait qu'il y a eu des exceptions.

Et, bien sûr, mes duettistes favoris. Ned et Topsy. 

Ned et Topsy, les vrais

Edward Burne-Jones et William Morris. Le fan club de Rossetti qui suit son idole, et a l'air un peu ridicule (euphémisme). Evidemment, Rossetti n'a pas idée, en voyant le duo, de l'importance qu'ils vont avoir. Et on est mis à la place de Gabriel. Ce qui me choque quand même, c'est la boulette casting. La différence de taille entre les deux n'est absolument pas prise en compte. Quitte à jouer sur le comique de Ned et Topsy, pourquoi ne pas avoir respecté leurs physiques jusqu'au bout ?  Morris est vraiment trop grand (ou Ned trop petit...). 
Topsy (Dyfrig Morris) et Ned (Peter Sandys-Clarke), version BBC. Y a comme un problème de taille. (Mais l'un s'appelle vraiment Morris et l'autre à un nom à rallonge, avec un vrai morceau de nom de peintre préraph très inspiré par Rossetti dedans, ce qui est marrant). Les comic reliefs, boulets, sauveurs.

Le caractère de Morris est assez bien rendu quand même. Leur rôle de sauveurs des préraphaélites est amené de manière pas très conforme à l'histoire. Carrément inventé, même. Mais, au final, l'idée est là... 

La série tourne autour de la relation de Gabriel et Lizzie. Une histoire qui a largement de quoi inspirer une série, c'est certain. Les raccourcis scénaristiques, les libertés prises peuvent passer au début. Mais à partir de l'arrivée de Ned et Topsy, cela devient tellement du gros n'importe quoi quand on est habitué à l'histoire des préraphaélites que c'est un soufflé qui retombe. La mort de Lizzie est émouvante, très émouvante. Mais... Rossetti qui peint Beata Beatrix en une nuit... Hum... 
Beata Beatrix, 1864-1870, Tate Gallery, Londres.

En prime, les "copies" des tableaux de Rossetti sont carrément ratées. Tout ce qui fait le charme de son oeuvre a disparu. Et la plus ratée est justement Beata Beatrix. Dommage. Le pire reste quand même la version bien plus soft de l'histoire des poèmes et cette espèce de nouvelle légende à partir de ce qui est déjà une légende (je vais pas spollier la fin de la série. Mais en tout cas, ça ne s'est absolument pas passé comme ça ! C'est le détail de la bio de Lizzie qui fait de son histoire l'une des plus tristes que je connaisse... et... patatra... C'est carrément saccagé par le scénario).
Touche pas à ma Lizzie !
Décevant, surtout à partir du 5e épisode (arrivée de Ned, Topsy, et Jane Morris, mort de Lizzie et post-mortem. Histoire trop maltraitée).

Dommage.