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jeudi 18 février 2021

RECONSTITUTION

LADY CASTEL, soyez histo sur vous

Le sac de Rome

Des pèlerins se réveillant d'un long dodo. Autun

Et me revoilà, ravie de vous retrouver. Et donc, je vais m'occuper de ce qui vous chiffonne en ce moment, et on va parler sac. Acheté à Rome (en réalité à Tivoli, ce qui est encore plus classe, mais c'est à côté). Rome est quand même la meilleure ville pour les sacs. D'ailleurs, Chastel lui-même a consacré un ouvrage entier au modèle 1527, que Benvenuto Cellini trouvait canon. 

Attente de l'ouverture des magasins à Rome, jour des soldes, en 1527, Johannes Lingelbach, 17e siècle. Ce fut une telle ruée sur les sacs qu'un siècle après, on en parlait encore, et que 450 ans plus tard, Chastel en a fait un bouquin, c'est vous dire l'ampleur de l'événement !

 

Notre sujet fashion du jour concerne un accessoire indispensable : l'écharpe... 

Non, pas celle tricotée avec amour par maman, celle qu'on utilise pour partir en pèlerinage. 

Le sac qui se porte en écharpe. 

La besace du pèlerin, quoi, comme on l'appelle maintenant.

Alors, c'est très simple... Vous n'avez pas le choix du modèle. Déjà, ça craint.

C'est donné à l'église quand on décide de partir en vadrouille pour expier quelques petites broutilles. (je vous renvoie à l'excellent livre d'Adeline Rucquoi, Mille Fois à Compostelle, 2014, qui explique tout ce qu'il faut savoir sur les accessoires du pèlerin).

Oui, parce que, bon, hein, faut avoir envie de se les faire, les kilomètres. Les vrais pèlerinages, c'est pas de la balade genre Chaucer. Où on raconte des histoires rigolotes. C'est sérieux, là. Il en va du Salut de l'Âme.

Les pèlerins version Chaucer, Manuscrit d'Ellesmere, début 15e, bibal d'Huntington (montage des différents personnages). Les pèlerins pour aller pas trop loin, c'est pas toujours de la tenue humble. Pas besoin de la panoplie habituelle
 

Pour la matière, c'est pas compliqué non plus. Cuir. Y a des raisons. Je vous renvoie à l'article paru dans Moyen Age 123, et au bouquin susnommé. 

Tout ceci est bien clair, et ça correspond à une symbolique très précise. 

Il reste une question qui semble poser problème. La forme de ladite besace. 

Sur certaines oeuvres il est clair qu'il s'agit d'un rectangle. Sur d'autres, on a un trapèze. Ca se voit entre autres particulièrement sur la Bible de Maciejowski. Image intéressante d'ailleurs, qui pourrait induire en erreur. On trouve sur ces figures bibliques des objets appartenant aux pèlerins chrétiens. Encore une fois, le but est de mettre en avant l'aspect "long et périlleux voyage aller-retour" du Lévite et de sa petite compagnie. 

Maciejowski. As usual.Costumes XIIIe, costumes antiquisants, surtout pour le personnage le plus "sacré" de l'histoire, bref, un beau foutoir, mais bon, c'est l'Ancien Testament, donc on est au courant que ça va être du tout mélangé. Avec des indications de besaces, qu'on peut pas mettre grand chose dedans (à la limite un pain au chocolat ou une chocolatine, ou un croissant au chocolat, selon les envies et les régions, mais en fait on s'en fiche, le débat fratricide n'a pas lieu d'être au Moyen Âge. Na !)
 

Dans un contexte biblique, avec le décalage géographique et temporel, reprendre l'image du pèlerin ne crée aucune confusion. De tels accessoires sont-ils envisageables dans la représentation de vrais voyageurs du Moyen Age ? C'est une autre histoire. Déjà qu'on ne les a pas sur ceux qui font de petits pèlerinages locaux...

Livre des Merveilles. Vers 1410-1412 (texte de Marco 1299), BnF, Manuscrits, Français 2810, f. 4. Marco Polo part en vacances avec sa famille. Ils ont tous leur attestation. On reconnaît bien Venise, quand même.
Alors, si on se base sur le plus célèbre, c'est à dire Marco Polo, ben, non... Il n'a pas le même attirail du tout. Du coup, à partir du moment où les pèlerinages se développent dans l'Occident chrétien, les attributs des pèlerins semblent réservés aux pèlerins (et encore pas tous, voir chez Chaucer) et non aux voyageurs lambda, ou zeta, ou upsilon.

Psautier de St Alban, 1ère moit. 12e. Avec le Christ qui s'est déguisé en pèlerin. Hop, une besace, ni vu ni connu... Le tout avec des tenues à l'antique qui évitent toute confusion. Bibal de la cathé d'Hildesheim, HS St. Godehard 1, 69
 On peut aussi citer les pèlerins d'Emmaüs. Qui ont parfois la panoplie complète, anachronique, ou pas, avec des bizarreries, ou pas (le "ou pas", c'est parce que sans "ou pas", ce serait pas drôle, et y aurait aussi moins de boulot pour les spécialistes de l'image médiévale). 

Les pèlerins d'Emmaüs, XIVe restaurés VLD. Photo Gerd Eichmann (Wiki) Eugène étant passé par là, c'est dur de savoir ce qui tient des couleurs d'origine (on avait des traces) et ce qui relève de l'invention. Parce que là, on a un gros portnawak niveau tissus. Mais dans le contexte, ça peut coller, richesse, exotisme, tout ça. Sinon, les tenues sont raccords début 14e. Sauf le Christ, évidemment.

Et qui sont des pèlerins. Identifiés en tant que tels. La représentation des pèlerins d'Emmaüs (Christ compris) est souvent hyper intéressante. Puisque niveau mode, ce ne sont pas les tendances qui manquent.

Celle là, elle est belle... On a un beau rappel contextuel, costumes antiques avec des chapeaux juifs. Oui. Jésus, avec un chapeau juif (il est déguisé, incognito. Dans le quartier, ça passe nickel). Ca, c'est pas banal. On ne peut pas les confondre avec du pèlerin lambda. (Photo Sotheby, acheté très cher par quelqu'un qui a plein de sous)

Et comme on est dans les histoires de vadrouilles autour du Christ, on peut signaler le cas de Joseph, durant la Fuite en Egypte. Il porte régulièrement un bâton (il est plus tout jeune, et la route est dangereuse) et du bagage. 

Fuite en Egypte, Additional 17868 f. 19 BL Londres. Long voyage. On peut pas confondre avec un pèlerin. Joseph a un bâton et fait sécher son linge tout en marchant. (Parfois, les légendes sont un peu fantaisistes, des fois que tout soit pris au 1er degré)

Rien de comparable avec l'attirail du pèlerin (même si certains documents ne sont par forcément clairs). 

Encore une Fuite en Egypte, yates thompson 31 221v, toujours BL Londres (en fait, c'est moins la prise de tête pour trouver des images à Londres que sur un certain site que je ne citerai pas, où il n'y a pas grand chose sur les Scythes). Un bâton, avec un sac en filet. Toujours pas possible de confondre. Nimbe octogonal. Pas banal.

Lorsque l'on est passé dans l'ère chrétienne, le bourdon et la besace, l'écharpe, sont réservés aux pèlerins et ne passent plus vraiment aux voyageurs, comme on l'a constaté avec le touriste vénitien préféré. 

Le Livre des Merveilles, f. 10. En visite chez le Calife de Bagdad. On remarque l'aumônière suspendue par une lanière. On va y revenir. Evidemment, Haroun El Poussah, Iznogoud et Dilat Laraht, sont vêtus de manière fantaisiste.

(Rien à voir, mais voilà les vrais. Les enlus, c'est vraiment pas fiable. On note que le calife s'est mis en retrait...)
Il n'y a pas trop d'ambiguïté sur les identités des différents personnages, selon les époques. Mais, dans le cas des allégories, on peut aussi se lâcher. 

Fortune se fait maraver la tronche par Pauvreté, Harley 621 f. 71, BL, Londres (on va pas revenir là dessus). Intéressant de choisir une pèlerine comme allégorie de la pauvreté (on note les fringues rapiécées) Et la lanière ne semble ne faire qu'un avec le rabat. Après, c'est une enlu, on connaît la musique. On est loin des pèlerines classes de Chaucer.

Du coup, la besace peut-elle avoir la forme que l'on observe sur Maciejowski ?

Euh... Ben... Je sais qu'il y a, par la suite, de très belles aumônières trapézoïdales, avec un rabat de fermeture (voir chez Marco, et les pièces archéos aussi). Ces aumônières sont suspendues, semble-t-il, par une lanière unique, centrale. Mais on est dans un objet totalement différent.Plus dans la longueur.

Daniel, Puits de Moïse, Chartreuse de Champmol, Dijon. 1396-1415.

On trouve un modèle du même genre, en grand, porté par un prophète du Puits de Moïse, par Claus Sluter, à la chartreuse de Champmol. Et, là aussi, c'est accroché par une lanière centrale.

Toujours Daniel à Dijon
La besace du pèlerin, c'est certainement un objet plus standardisé. Et c'est surtout un objet qui contient pas mal de trucs. De la paperasse, et de quoi manger. Entre autres. Bref, si on met une miche de pain là dedans, ça peut en modifier la forme, surtout si la besace est de cuir souple. 

Miche de pain d'époque XIIe, Vézelay (l'artiste peut avoir exagéré la taille, quoique...)
N'ayant pas une authentique réplique de besace de pèlerin sous la main (je ne sais pas qui en a, puisque de toute manière, on en est au stade des expérimentations et hypothèses, et vice et versa, et que va savoir la taille réelle du machin puisque même sur les sculptures, ils sont pas d'accord), je vais donc me munir d'un sac en cuir souple de forme rectangulaire, qui a comme particularité d'avoir des anses un peu longues dans la continuité de l'épaisseur. 

Je ne fais que passer par là...
Voui, c'est vraiment fait avec les moyens du bord. Déjà, la fermeture éclair, hein... Et la couleur... Et les anses accrochées par des anneaux en métal... Je sais. J'ai deux sacs qui auraient pu mieux convenir en ce qui concerne le système de suspension (ça fait classe dit comme ça), mais l'un est en toile, et l'autre en cuir bien plus rigide. Du coup, ça va pas. Alors que le cuir souple... Le résultat final aurait pu coller avec le sac en toile, mais avec du cuir, c'est mieux. Avec le sac en cuir rigide, ça aurait surtout montré qu'un sac en cuir souple, c'était plus probable, un cuir plus rigide aurait été plus fortement déformé par l'ajout d'un truc type miche de pain.

Bref, expérience qu'il serait bien de refaire avec un sac du même type de cuir, mais avec un système de suspension et un rabat plus conformes. Pour la taille, vaudrait évidemment mieux se fier aux sculptures qu'aux enlus qui se fichent de l'échelle. Mais même sur certaines sculptures, l'échelle, c'est pas toujours la priorité. 

Après, c'est pas compliqué. 

Le Sac de Rome, 2014. Moins violent que 1527.

Le sac, vide, il a bien quatre côtés parallèles deux par deux. En théorie. Il a vécu, le petit.

On met du truc dedans (un bouquin pour mettre un peu de poids, et un machin roulé en boule), on le suspend un peu. Hop. Magie ! Un numéro de trapèze ! 

Suspendu, ça fait trapèze (Oui, j'ai le coussin chat de chez les Suédois. Et, oui, je dois laver mes carreaux, je suis au courant, merci). Le haut est, forcément, déformé, mais un rabat stylisé pourrait cacher tout ça. Et est-ce que les plis méritent d'être représentés alors que ce qui importe, c'est l'objet lui même ?

Comme par hasard, le sac prend une forme approchant des besaces trapézoïdales. Qu'on ne voit que sur de rares enluminures ou fresques. Bref, en deux dimensions. La forme trapézoïdale paraît être liée à la déformation d'une besace rectangulaire, pleine, et suspendue. On trouve un effet semblable au sac de Rome sur certaines sculptures, avec là un léger volume. Il reste la déformation de la partie supérieure, qui, dans un sac de pèlerin, est sous le rabat. Cet objet pose quand même pas mal de questions. Encore. Ne serait-ce que la forme du rabat, qui semble varier selon des oeuvres (on a du rabat rectangulaire, triangulaire ou en demi-cercle, par exemple).

 

Aumônière vers le 14e, Nuremberg, vue il y a tout juste un an au moment où j'écris cette légende.
Finalement, c'est comme avec les aumônières. Les rectangulaires. Vide et en musée, elles sont plates et rectangulaires. Portées... Ce sont souvent des trapèzes. 

Salomé a fermé son aumônière, cathédrale d'Auxerre

Et parfois, l'artiste tient compte du volume. Parfois. Ca va dépendre des artistes, et des périodes. La besace trapézoïdale, c'est avant tout un essai de représentation de volume en deux dimensions. Ca fait plat. Mais ça ne l'était pas. Et c'était certainement compris comme tel par les contemporains : un machin rectangulaire avec du bazar dedans que ça déforme tout. Un sac, quoi...Avec un rabat en plus. A un moment où le réalisme n'est pas la priorité absolue.

Le Christ et les pèlerins d'Emmaüs, début 16e,  Peniarth MS 482D, 137r (recadré) Bibal nationale du Pays de Galles (ça rime pas mal). Encore une fois, on a du costume antique qui évite la confusion, pour le Christ,ce qui va devenir la norme : costumes plus ou moins contemporains pour les pèlerins, antiquisant pour Jésus. On note que le peintre a essayé de représenter un volume à la besace.
 

Bon, ben, voilà... Finalement, le parallélépipède, c'est peut-être la solution la plus simple.

Salut les reconsts !



jeudi 13 août 2020

COSTUME MEDIEVAL

LES CALENDRIERS

Sources fiables pour la connaissance des costumes médiévaux ?

Psautier Percy, à l'usage d'York, 4e quart du XIIIe siècle, BL, add. 70000 4v, mars.

Puisqu'on a une année plutôt bizarre, on va s'intéresser aux calendriers (oui, je sais, c'est capillotracté. Et alors ?) Sujet bien courant dans l'art médiéval, directement hérité de l'art antique et vaguement christianisé. On va donc y trouver en vrac des divinités, des signes astrologiques, des travaux des mois, des saisons (y en a plus ma bonne dame)... Et une chatte qui cherche ses petits, parce que c'est vraiment le bazar là dedans. Y aurait des aiguilles dans les bottes de foin que ce serait même pas surprenant...

Et vas-y que je te mets ça en sculpture sur les cathédrales, en mosaïque, dans les pages des livres d'heures, des psautiers... Ouh la ! Je sens qu'on va encore avoir besoin de saint Asprault, et d'un verre d'eau pour faire passer ça

Influence antique ? Où ça ? Psautier Oscott, 1r.

 Du coup, comme y a de la source antique et paléochrétienne dedans, la question de la fiabilité des calendriers en ce qui concerne le costume médiéval est sérieusement d'actualité. Et en prime... On dira ce qu'on voudra, mais, on a en fait de la personnification des mois, de l'allégorie, de la personnification des signes astrologiques, des saisons, et des activités liées à ces différents mois, saisons, et tutti quanti.

 Ne pas oublier aussi que le calendrier est basé sur celui qu'on doit à Jules, et utilise un système qui remonte aux Romains. (Je vais pas détailler, mais la Pierpont Morgan Library a sorti récemment un petit bouquin sympa sur la question, The Medieval Calendar. Ca peut servir de l'avoir dans la bibliothèque.)

Pour savoir un peu comment ça fonctionne

On attend 1582 pour avoir un calendrier plus moderne et adapté (oui, Pâques en été, ça commençait à faire désordre... Il était nécessaire de remettre un peu d'ordre là dedans, et tant pis pour Jules).

On est, paradoxalement ou pas, dans l'intemporel. Si vous commencez à piger les principes de l'art médiéval, vous devez avoir des sonnettes d'alarme qui sonnent un peu partout.

Allez, je spoile

Des fois, ça va, on peut s'en servir, des fois ça va pas du tout, des fois ça va un peu, des fois ça va beaucoup... 

Des fois ça va, des fois ça va pas, sur une image. Je vous laisse jouer. (Aula Gotica, octobre)

Souvent, c'est un gros mélange et si on n'a pas déjà les connaissances du costume ET de l'image médiévale, et des costumes précédents, ben... On peut prendre des vessies pour des lanternes.
On est dans les cas particuliers, et chaque élément de chaque image doit être analysé.
Et si vous ne trouvez la représentation d'un phénomène que sur des personnages qu'on va surnommer "hors du temps" : mode "fly, you fools".

Ou ça, c'est au choix



Et pourquoi donc ?

Vous trouvez que c'est antique ? C'est XIIe.


C'est dit plus haut. Ces images remontent à l'antiquité. L'astrologie, c'est un truc mésopotamien. Récupéré par Grecs, récupéré par les Romains, récupéré par les Chrétiens. On mélange de l'antique, du paléochrétien, du byzantin. On est dans le Miroir de la Nature. L'apparition des occupations des mois est une façon de démocratiser, on va dire ça, un sujet plutôt hermétique. Les signes du capricorne, du sagittaire, pour le commun des mortels du Moyen Âge, ça cause pas des masses, et comme la rubrique horoscope avait pas encore été inventée, on savait pas trop où situer ça dans l'année. On y ajoute ou on les remplace par les occupations (plutôt que les travaux, parce que le pote Janus en train de bâfrer en janvier, on peut pas dire qu'il bosse...) des mois, et hop. Magie. 

Psautier de La Charité (sur Loire), 4e quart du XIIe siècle, BL, Harley 2895, 3r, mai. Tenue antique... Mais l'un des jumeaux a un bouclier qui colle avec la date. Joie. Et confusion.

Ca cause à tout le monde. Mais c'est pas pour ça que les différentes étapes du passage de l'un à l'autre vont disparaître. Déjà, parce que bien souvent les signes et les occupations cohabitent, mais surtout parce qu'on va  régulièrement trouver des traces de ces étapes sur une même image. Ou, parfois une transformation radicale où toute mention de l'antiquité a disparu, comme Janus devenu duc de Berry.

Le duc de Berry se prend pour un dieu antique...
 

La compo d'un calendrier 

(pour les plus courants, parce que sans les exceptions, l'art médiéval, c'est pas drôle). 

Lansdowne 420, vers 1220, BL, 5v, octobre
 

On a les signes du zodiaque et/ou les travaux/occupations (en fait, on préfère vraiment le terme d'occupations, c'est plus représentatif).

janvier         verseau        festin avec Janus/se réchauffer

février         poisson        se réchauffer/couper du bois/ taille/faire la fête, etc. (on a le choix)

mars           bélier           taille/labourage

avril            taureau        cueillir des fleurs/arbres en fleurs/chasse au faucon

mai             gémeaux      chasse au faucon/chevaucher/faire la cour/faire de la musique

juin             cancer          tondre les moutons/faucher

juillet         lion                faucher/récolter

août            vierge (zebest) battre/récolter/vanner

septembre (zebest) balance   cueillir du raisin/ semer/tasser des glands

octobre        scorpion       semer/cueillir du raisin/tasser des glands

novembre    sagittaire      tasser des glands/égorger le cochon/préparer le lin/faire du pain

décembre     capricorne  égorger le cochon/faire du pain/festoyer

 

Psautier de Lambert le Bègue. Fermier et des cochons en mauvaise posture, 1255-65, BL, add. 21114, 6r, novembre. On note la tenue riche du fermier.

Calendrier et christianisation

Histoire de bien nous enquiquiner, la christianisation est relative. On n'a pas de moralisation du thème. On voit quand même des gens qui glandouillent, des oisifs à côté des travailleurs. Et les glandeurs se trouvent aussi du côté des paysans... C'est pour ça que le terme "travaux" n'est pas très opportun. C'est un héritage direct du paganisme, donc, exit la Morale, la glorification du travail... C'est un almanach.
Une autre couche ? Ben, ça va changer d'une région à l'autre, d'un ouvrage à l'autre, d'un édifice à l'autre, en fonction des sources qui circulent et sont copiées, et de l'inspiration des artistes. Tant que c'est compréhensible par tous, c'est bon. Et on laisse souvent des éléments du passé histoire de signifier qu'on est dans un Miroir, et pas la réalité. Parce que c'est de là que vient le gloubi-boulga. Ces scènes, que ce soient des signes astrologiques ou des occupations, ne sont pas la réalité. Ce sont des miroirs de la réalité. Une réalité plutôt campagnarde. Pour les artisans, faut voir ailleurs. Ce n'est plus là le Miroir de la Nature, mais le Miroir des Métiers. Ils arrivent, oh ben ça alors, quelle coïncidence, avec le développement des villes, et ça va exploser au XIVe siècle. 

Atelier d'Andrea Pisano, invention de la médecine, 1343-48, Musée de l'Oeuvre, Florence. (Provient du campanile)
Avec, parmi les plus remarquables, ceux qui sont faits dans les villes italiennes (oh ben ça alors, quelle coïncidence... Oui, c'est un développement plus énorme qu'en France, par exemple). On verra ça sur le campanile de Florence. En attendant, les Italiens sont dans la mouvance européenne, genre ce qui se trouve sur le baptistère de Parme (et pas que là...)

Benedetto Antelami (vers 1150-1230), Septembre, baptistère de Parme, vers 1210-20. Où l'on va s'éloigner des modèles byzantins en s'inspirant des modèles romains. Et on garde un détail qui fait XIIIe.
 
La diffusion massive des calendriers par les livres, psautiers, missels, livres d'heure, etc., remonte au XIIIe siècle. Et, comme c'est "pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué ?", les fêtes (on cause pas des images) changent selon les villes. Certaines sont liées à un événement concernant un saint local, qui n'est pas forcément lié à la ville d'à côté. C'est pratique, ça permet d'envisager que tel livre a été fait à tel endroit. Sauf si c'est une commande à un atelier spécifique. Mais ceci explique les mentions "à l'usage de -insérez le nom de la ville de votre choix". 

Mais les exemples sculptés dans les édifices religieux sont plus anciens (et dans certains manuscrits aussi, faut pas croire). Ceci dit, avant le XIIe, ça court pas trop les rues.
Du coup, dans les objets, les vêtements, c'est la brocante du village. On va trouver des ensembles cohérents sur une page, et la fête des braies sur une autre. Autrement dit, ce sont souvent des objets magnifiques qu'on peut utiliser. Mais quand on maîtrise déjà la chose.

Dans la pratique

Alors, dans la pratique, comme Prudence est mère de sûreté, on manipule les calendriers un peu comme si on manipulait de l'uranium. Juste que l'uranium, finalement, c'est moins dangereux (enfin, selon les contextes). 

Si on n'observe un phénomène que sur des calendriers et des oeuvres appelant naturellement à la prudence, on passe son chemin, en attendant de trouver des preuves fiables sur des sources plus fiables. Par exemple, la fameuse histoire des braies drapées... 

Coucou, c'est encore moi !
 

 

Euh ? Comment dire ? Des sources écrites qui parlent de braies cousues, ou qui sous-entendent que les braies sont cousues (genre, un texte qui évoque un bonhomme qui enfile ses braies), on en a des flopées. Des sources écrites qui laissent supposer l'existence de braies drapées. Jusqu'à présent, on n'a pas. Tout ce qu'on a, ce sont des sources de type "occupations des mois", ou autres sujets dont l'origine remonte à l'antiquité, en passant par les prismes paléochrétiens et byzantins. Parce que pour ce qui est de cacher les parties intimes, on va plutôt chercher chez les Chrétiens, à commencer par le Christ lui-même, et divers martyrs, qui ont souvent un bout de tissu plié qui fait jupette ou slip. 

 

C'est plus rare dans l'art romain, mais ça se trouve (surtout sur des personnages exotiques, après tout, c'était très fashion en Egypte). 

Bonjour, je vous dépose ? Gizeh ? Louxor ? Abou Simbel ? Mosaïque nilotique de Palestrina, vers -100 avant J.-C.

Et n'oublions pas l'habitude de remonter le bas du vêtement et de le coincer dans la ceinture, qu'on voit finalement beaucoup, dans l'art chrétien, et jusque dans la broderie de Bayeux (c'est mieux pour travailler ou chevaucher ou traverser des rivières). Sinon, on en parle de l'influence antique relevée dans les sculptures de Chartres, ou pas ? 

On va trouver des représentations de paysans habillés de couleurs méga saturées dans les champs, la célèbre robe bleue des Très Riches Heures du Duc de Berry. Des paysans habillés de soieries, avec même des bandes d'orfroi. 

Un vrai défilé de mode. Que des beaux tissus pour aller bosser.

On a aussi des nobles qui vont à la chasse avec un faucon gentiment posé sur un gant tout fin (oui, là, c'est pas lié à l'antiquité), c'est juste que, un gant, c'est un gant. Le spectateur se doute bien que s'il y a un faucon dessus, c'est un type de gant. Enfin, le spectateur de l'époque, hein. 

Psautier York, vers 1260, BL, Add. 54179, 3r, mai. Sans les gants ! (Et sans les doigts, aussi, à la fin.)

Et quand le noble se la joue "même pas de gant" on devine que ce n'est pas très réaliste. On est dans un univers décalé, qui renvoie, parfois au monde connu, et parfois à des choses totalement passées, fantaisistes, voire impossibles. Pour le passé, on a pas mal de jolis accessoires bien pas de chez nous.

Psautier Oscott, 1265-70, BL add. 50000, 1v, février. C'est peut-être de la soupe, après tout... Qui se verse dans l'oreille.
 

C'est ainsi qu'on va croiser de temps en temps des paysans qui boivent tranquillement leur vinasse dans une kylix même pas cassée, à part les anses, tout en se réchauffant les pieds au coin du feu.

Une Kylix de Tarante, et une de la Villa Giulia.

ce qui n'est pas trop le contenant à boisson typique de l'Europe médiévale.

Psautier, 1er quart du XIIIe siècle, BL add. 18144, 2r, janvier. Avec un gobelet en bois. Et des trucs pour boire qui sont d'époque, dont un gobelet en bois...

On pourrait se dire que le paysan avale sa soupe depuis son écuelle. Hypothèse tout à fait acceptable. Mais... Les pièces archéos XIIIe correspondant à ce que certains paysans des calendriers portent à leur bouche sont un peu petites pour une soupe (après, pourquoi pas ?), et on voit la kylix dans les mains de Janus aussi. Sur une table plus prestigieuse... On peut envisager que, selon les cas, notre paysan boit du vin ou de la soupe ? C'est compliqué. Et Janus, dans tout ça ?

Elle est quand même bizarre, sa façon de boire... Psautier Oscott, 1r. Janus
Même les calices n'ont pas cette forme (Oui, le calice, c'est une forme empruntée à l'Egypte antique. Sérieux).

Dans un autre genre, comme top de la mode pour travailler la terre... 

Psautier Percy, à l'usage d'York, 4e quart du XIIIe siècle, BL, add. 70000 7r. juin. Jardinons en tenue bourgeoise. C'est agricole.
 

Le touret, porté avec la cotte hyper longue qui traine par terre. Là encore, le rapport est incongru. On a d'autres exemples de "tourets pécores", dans le Bodley 764, 41v, d'Oxford, un Bestiaire (donc, encore un type d'ouvrage à risque), ou dans quelques rares enluminures provenant toujours de calendriers divers. Pour le reste, le touret, c'est très citadin.

Aula Gotica, juin. Aucune influence antique dans cette fresque voyons, c'est l'évidence même. Même pas le petit Cupidon dans le coin. Les chapeaux vont bien avec Cupidon, en prime.
 On va aussi, évidemment, trouver des sources de tuniques sans manche, ou de l'utilisation de luxueux sièges antiques, que même l'évêque il en a pas un pareil.

Déjà, la tunique longue du paysan, c'est très antique...

Parmi les calendriers les plus intéressants, on a celui, en grand format, trouvé il y a quelques années dans une salle gothique du couvent des Quatre Saints Couronnés, à Rome, bien planqué sous de l'enduit. Forcément, y a de la perte (le zodiaque, par exemple). Mais il y a de beaux restes, dans l'Aula Gotica. Et purée, on le sent qu'on est à Rome. Ca fourmille de références à l'antiquité dans chaque image. Et mélangé avec du contemporain. C'est daté plutôt XIIIe, mais dans le genre archaïsant pour la plupart des peintures. Avec, néanmoins, le bel indice qui fait bien XIIIe, pour le mois de mai (ceci dit, ce genre de vêtement correspond aussi à des descriptions qu'on peut trouver dans la littérature autour de 1200, donc, ça peut être apparu avant cette date aproximative). 

Pour une fois, le mois de mai ne va pas à la chasse avec son faucon. Mais il porte une ravissante tenue de voyage chicos de son époque. C'est l'une des petites touches vraiment XIIIe de l'Aula Gotica.
Les costumes antiquisants et archaïsants dominent largement. Le fait est que ces peintures pourraient difficilement exister sans l'héritage antique.

Janus, en janvier, porte une tenue classe, c'est normal. Mais le brave monsieur de février, avec ses bandes d'orfroi... C'est un peu bizarre quand même...   
Et puis, ces gambettes nues sur certains. Pas très médiéval.

Les vêtements sont surdécorés, et certains ont reconnu des clins-d'oeil directs à l'art antique.

Ca, dès qu'il y a une épine et un pied, on pense à une certaine sculpture antique. C'est marrant, celle-ci est l'une des citations les plus éloignées de l'original (alors que géographiquement...). On note que les hanches sont couvertes, ce qui crée souvent une distance avec les sources antiques.

On est à Rome, c'est pas étonnant. Mais des références au Spinario, on en a déjà trouvées bien plus au nord. 

Par ailleurs, les peintures de Berzé-la-Ville, près de Cluny, XIIe siècle, sont considérées comme ayant été réalisées par un artiste qui a traîné du côté de Rome. 

Donc, ça, c'est près de Cluny...
                                               Et on a quand même pas mal de points communs avec ce qui peut se voir à Rome ou dans les environs. 

Et ça, c'est dans les environs de Rome, même période, même vêtement bizarre au niveau du ventre (courant dans les représentations de gens du passé, ou exotiques), même gamme chromatique. (C'est dans un tout petit village paumé, perché, où il y a aussi de bons restos. Chut, c'est un secret local.)
 

Même en ce qui concerne les couleurs. Les artistes, les motifs, voyageaient (c'est pas comme si on avait retracé l'itinéraire du sculpteur de Naumbourg depuis Reims, par exemple... Un vrai Petit Poucet qui a semé des jolis cailloux sculptés partout.) Trouver des influences antiques dans une bonne partie de l'Europe, ça n'a rien d'étonnant du tout. Il y a une tripotée d'explications.

Psautier de La Charité (sur Loire), 4e quart du XIIe siècle, BL, Harley 2895, 4v, août. Pagne antique (qui peut se mettre en braie si on veut) et signe de la Vierge, vêtue comme les vierges paléochrétiennes, avec une tunique plus courte sur une tunique longue. Je vous laisse réfléchir sur les dégâts que peut causer une image pareille...

En résumé, on a des paysans qui vont porter des trucs anachroniques, des vêtements destinés à une autre classe sociale (nobles, bourgeois), des couleurs qui montrent qu'on a du pognon (ça, pourquoi pas, mais on va peut-être pas aller aux champs avec. On garde pour le dimanche), des objets qui sont aussi anachroniques que certains vêtements, des nobles qui se promènent dans la campagne avec des tenues d'apparat, le tout, vous l'avez compris, mélangé avec des trucs qui collent au contexte et à l'époque de création. 

Psautier de Lambert le Bègue. Paysan buvant, 1255-65, BL, add. 21114, 1r, janvier. C'est un peu comme si on mélangeait Janus et le paysan. Beaucoup d'éléments antiquisants (encore une jolie kylix) et la fourche, pour contextualiser. 
 

Il faut ainsi tout recontextualiser (encore et toujours). Comparer avec d'autres oeuvres, avec des sources écrites, avec des oeuvres du passé. Il y a de la tradition derrière, qui peut remonter à plus de 1000 ans, donc, si, sous prétexte que vous travaillez sur 1180-1320, vous vous fichez comme de l'an 40 de ce qui se passe en l'an 40 av. J.-C., ça risque de ne pas le faire. On peut piocher des éléments ça et là. Le corset bleu foncé des Très Riches Heures peut très bien être récupéré comme couche inférieure par une bourgeoise ou une noble. Mais pas pour travailler dans les champs. 

Couleur trop riche dans le contexte repérée !!!
Pas pour de la paysanne pauvre. Idem pour la tunique de soie et d'autres vêtements qui se trouvent d'ordinaire sur des classes sociales plus élevées. (Mais léger sur l'orfroi si vous n'êtes pas en apparat, on reste dans les normes, c'est plus sûr). Et il y a les ovnis. Qu'il vaut mieux éviter.

On n'a pas encore trouvé d'usage pour la tunique sans manche au XIIIe. Et pourtant, il y en a plein les calendriers. Lansdowne 420, vers 1220, BL, 3r, mars.
 

Bref, le calendrier c'est bon, parfois (réveillon de Nouvel An). Et surtout si on a déjà plein d'objets du même type dans des contextes qui ont un héritage antique moins marqué. Si vous avez besoin d'exemples variés pour illustrer un propos, vous pouvez caser une source venant d'un calendrier, si cet exemple correspond à ce qui se trouve dans des contextes plus fiables. Si tous vos exemples (même si vous en avez mille) ne se trouvent que dans des calendriers, zodiaques, occupations des mois, scènes exotiques, etc., on pourrait envisager la possibilité qu'une odeur suspecte se dégage du fond des braies, et que péter dans la soie, c'est en réalité pas donné à tout le monde... 

Aula Gotica, août. Oui. Mais non. Ceci ne paraît pas représentatif de costumes XIIIe. Ni du mobilier. Mais c'est beau.

NB : les photos de l'Aula Gotica sont issues de cet ouvrage (magnifique au passage) : Draghi Andreina, Gli affreschi dell’Aula gotica nel Monastero dei Santi Quattro Coronati. Una storia ritrovata, Milano, Skira 2006. (Livre chaudement recommandé si vous aimez l'art médiéval. Si vous cherchez uniquement des sources sur le costume, c'est à vos risques et périls.)

Et si vous voulez en savoir un peu plus sur ces fresques sans acheter le bouquin : http://www.appasseggio.it/blog/i-racconti-degli-affreschi-dellaula-gotica-del-complesso-dei-santi-quattro-coronati/ 

http://www.appasseggio.it/blog/i-racconti-degli-affreschi-dellaula-gotica-del-complesso-dei-santi-quattro-coronati-luglio-dicembre/