jeudi 18 février 2021

RECONSTITUTION

LADY CASTEL, soyez histo sur vous

Le sac de Rome

Des pèlerins se réveillant d'un long dodo. Autun

Et me revoilà, ravie de vous retrouver. Et donc, je vais m'occuper de ce qui vous chiffonne en ce moment, et on va parler sac. Acheté à Rome (en réalité à Tivoli, ce qui est encore plus classe, mais c'est à côté). Rome est quand même la meilleure ville pour les sacs. D'ailleurs, Chastel lui-même a consacré un ouvrage entier au modèle 1527, que Benvenuto Cellini trouvait canon. 

Attente de l'ouverture des magasins à Rome, jour des soldes, en 1527, Johannes Lingelbach, 17e siècle. Ce fut une telle ruée sur les sacs qu'un siècle après, on en parlait encore, et que 450 ans plus tard, Chastel en a fait un bouquin, c'est vous dire l'ampleur de l'événement !

 

Notre sujet fashion du jour concerne un accessoire indispensable : l'écharpe... 

Non, pas celle tricotée avec amour par maman, celle qu'on utilise pour partir en pèlerinage. 

Le sac qui se porte en écharpe. 

La besace du pèlerin, quoi, comme on l'appelle maintenant.

Alors, c'est très simple... Vous n'avez pas le choix du modèle. Déjà, ça craint.

C'est donné à l'église quand on décide de partir en vadrouille pour expier quelques petites broutilles. (je vous renvoie à l'excellent livre d'Adeline Rucquoi, Mille Fois à Compostelle, 2014, qui explique tout ce qu'il faut savoir sur les accessoires du pèlerin).

Oui, parce que, bon, hein, faut avoir envie de se les faire, les kilomètres. Les vrais pèlerinages, c'est pas de la balade genre Chaucer. Où on raconte des histoires rigolotes. C'est sérieux, là. Il en va du Salut de l'Âme.

Les pèlerins version Chaucer, Manuscrit d'Ellesmere, début 15e, bibal d'Huntington (montage des différents personnages). Les pèlerins pour aller pas trop loin, c'est pas toujours de la tenue humble. Pas besoin de la panoplie habituelle
 

Pour la matière, c'est pas compliqué non plus. Cuir. Y a des raisons. Je vous renvoie à l'article paru dans Moyen Age 123, et au bouquin susnommé. 

Tout ceci est bien clair, et ça correspond à une symbolique très précise. 

Il reste une question qui semble poser problème. La forme de ladite besace. 

Sur certaines oeuvres il est clair qu'il s'agit d'un rectangle. Sur d'autres, on a un trapèze. Ca se voit entre autres particulièrement sur la Bible de Maciejowski. Image intéressante d'ailleurs, qui pourrait induire en erreur. On trouve sur ces figures bibliques des objets appartenant aux pèlerins chrétiens. Encore une fois, le but est de mettre en avant l'aspect "long et périlleux voyage aller-retour" du Lévite et de sa petite compagnie. 

Maciejowski. As usual.Costumes XIIIe, costumes antiquisants, surtout pour le personnage le plus "sacré" de l'histoire, bref, un beau foutoir, mais bon, c'est l'Ancien Testament, donc on est au courant que ça va être du tout mélangé. Avec des indications de besaces, qu'on peut pas mettre grand chose dedans (à la limite un pain au chocolat ou une chocolatine, ou un croissant au chocolat, selon les envies et les régions, mais en fait on s'en fiche, le débat fratricide n'a pas lieu d'être au Moyen Âge. Na !)
 

Dans un contexte biblique, avec le décalage géographique et temporel, reprendre l'image du pèlerin ne crée aucune confusion. De tels accessoires sont-ils envisageables dans la représentation de vrais voyageurs du Moyen Age ? C'est une autre histoire. Déjà qu'on ne les a pas sur ceux qui font de petits pèlerinages locaux...

Livre des Merveilles. Vers 1410-1412 (texte de Marco 1299), BnF, Manuscrits, Français 2810, f. 4. Marco Polo part en vacances avec sa famille. Ils ont tous leur attestation. On reconnaît bien Venise, quand même.
Alors, si on se base sur le plus célèbre, c'est à dire Marco Polo, ben, non... Il n'a pas le même attirail du tout. Du coup, à partir du moment où les pèlerinages se développent dans l'Occident chrétien, les attributs des pèlerins semblent réservés aux pèlerins (et encore pas tous, voir chez Chaucer) et non aux voyageurs lambda, ou zeta, ou upsilon.

Psautier de St Alban, 1ère moit. 12e. Avec le Christ qui s'est déguisé en pèlerin. Hop, une besace, ni vu ni connu... Le tout avec des tenues à l'antique qui évitent toute confusion. Bibal de la cathé d'Hildesheim, HS St. Godehard 1, 69
 On peut aussi citer les pèlerins d'Emmaüs. Qui ont parfois la panoplie complète, anachronique, ou pas, avec des bizarreries, ou pas (le "ou pas", c'est parce que sans "ou pas", ce serait pas drôle, et y aurait aussi moins de boulot pour les spécialistes de l'image médiévale). 

Les pèlerins d'Emmaüs, XIVe restaurés VLD. Photo Gerd Eichmann (Wiki) Eugène étant passé par là, c'est dur de savoir ce qui tient des couleurs d'origine (on avait des traces) et ce qui relève de l'invention. Parce que là, on a un gros portnawak niveau tissus. Mais dans le contexte, ça peut coller, richesse, exotisme, tout ça. Sinon, les tenues sont raccords début 14e. Sauf le Christ, évidemment.

Et qui sont des pèlerins. Identifiés en tant que tels. La représentation des pèlerins d'Emmaüs (Christ compris) est souvent hyper intéressante. Puisque niveau mode, ce ne sont pas les tendances qui manquent.

Celle là, elle est belle... On a un beau rappel contextuel, costumes antiques avec des chapeaux juifs. Oui. Jésus, avec un chapeau juif (il est déguisé, incognito. Dans le quartier, ça passe nickel). Ca, c'est pas banal. On ne peut pas les confondre avec du pèlerin lambda. (Photo Sotheby, acheté très cher par quelqu'un qui a plein de sous)

Et comme on est dans les histoires de vadrouilles autour du Christ, on peut signaler le cas de Joseph, durant la Fuite en Egypte. Il porte régulièrement un bâton (il est plus tout jeune, et la route est dangereuse) et du bagage. 

Fuite en Egypte, Additional 17868 f. 19 BL Londres. Long voyage. On peut pas confondre avec un pèlerin. Joseph a un bâton et fait sécher son linge tout en marchant. (Parfois, les légendes sont un peu fantaisistes, des fois que tout soit pris au 1er degré)

Rien de comparable avec l'attirail du pèlerin (même si certains documents ne sont par forcément clairs). 

Encore une Fuite en Egypte, yates thompson 31 221v, toujours BL Londres (en fait, c'est moins la prise de tête pour trouver des images à Londres que sur un certain site que je ne citerai pas, où il n'y a pas grand chose sur les Scythes). Un bâton, avec un sac en filet. Toujours pas possible de confondre. Nimbe octogonal. Pas banal.

Lorsque l'on est passé dans l'ère chrétienne, le bourdon et la besace, l'écharpe, sont réservés aux pèlerins et ne passent plus vraiment aux voyageurs, comme on l'a constaté avec le touriste vénitien préféré. 

Le Livre des Merveilles, f. 10. En visite chez le Calife de Bagdad. On remarque l'aumônière suspendue par une lanière. On va y revenir. Evidemment, Haroun El Poussah, Iznogoud et Dilat Laraht, sont vêtus de manière fantaisiste.

(Rien à voir, mais voilà les vrais. Les enlus, c'est vraiment pas fiable. On note que le calife s'est mis en retrait...)
Il n'y a pas trop d'ambiguïté sur les identités des différents personnages, selon les époques. Mais, dans le cas des allégories, on peut aussi se lâcher. 

Fortune se fait maraver la tronche par Pauvreté, Harley 621 f. 71, BL, Londres (on va pas revenir là dessus). Intéressant de choisir une pèlerine comme allégorie de la pauvreté (on note les fringues rapiécées) Et la lanière ne semble ne faire qu'un avec le rabat. Après, c'est une enlu, on connaît la musique. On est loin des pèlerines classes de Chaucer.

Du coup, la besace peut-elle avoir la forme que l'on observe sur Maciejowski ?

Euh... Ben... Je sais qu'il y a, par la suite, de très belles aumônières trapézoïdales, avec un rabat de fermeture (voir chez Marco, et les pièces archéos aussi). Ces aumônières sont suspendues, semble-t-il, par une lanière unique, centrale. Mais on est dans un objet totalement différent.Plus dans la longueur.

Daniel, Puits de Moïse, Chartreuse de Champmol, Dijon. 1396-1415.

On trouve un modèle du même genre, en grand, porté par un prophète du Puits de Moïse, par Claus Sluter, à la chartreuse de Champmol. Et, là aussi, c'est accroché par une lanière centrale.

Toujours Daniel à Dijon
La besace du pèlerin, c'est certainement un objet plus standardisé. Et c'est surtout un objet qui contient pas mal de trucs. De la paperasse, et de quoi manger. Entre autres. Bref, si on met une miche de pain là dedans, ça peut en modifier la forme, surtout si la besace est de cuir souple. 

Miche de pain d'époque XIIe, Vézelay (l'artiste peut avoir exagéré la taille, quoique...)
N'ayant pas une authentique réplique de besace de pèlerin sous la main (je ne sais pas qui en a, puisque de toute manière, on en est au stade des expérimentations et hypothèses, et vice et versa, et que va savoir la taille réelle du machin puisque même sur les sculptures, ils sont pas d'accord), je vais donc me munir d'un sac en cuir souple de forme rectangulaire, qui a comme particularité d'avoir des anses un peu longues dans la continuité de l'épaisseur. 

Je ne fais que passer par là...
Voui, c'est vraiment fait avec les moyens du bord. Déjà, la fermeture éclair, hein... Et la couleur... Et les anses accrochées par des anneaux en métal... Je sais. J'ai deux sacs qui auraient pu mieux convenir en ce qui concerne le système de suspension (ça fait classe dit comme ça), mais l'un est en toile, et l'autre en cuir bien plus rigide. Du coup, ça va pas. Alors que le cuir souple... Le résultat final aurait pu coller avec le sac en toile, mais avec du cuir, c'est mieux. Avec le sac en cuir rigide, ça aurait surtout montré qu'un sac en cuir souple, c'était plus probable, un cuir plus rigide aurait été plus fortement déformé par l'ajout d'un truc type miche de pain.

Bref, expérience qu'il serait bien de refaire avec un sac du même type de cuir, mais avec un système de suspension et un rabat plus conformes. Pour la taille, vaudrait évidemment mieux se fier aux sculptures qu'aux enlus qui se fichent de l'échelle. Mais même sur certaines sculptures, l'échelle, c'est pas toujours la priorité. 

Après, c'est pas compliqué. 

Le Sac de Rome, 2014. Moins violent que 1527.

Le sac, vide, il a bien quatre côtés parallèles deux par deux. En théorie. Il a vécu, le petit.

On met du truc dedans (un bouquin pour mettre un peu de poids, et un machin roulé en boule), on le suspend un peu. Hop. Magie ! Un numéro de trapèze ! 

Suspendu, ça fait trapèze (Oui, j'ai le coussin chat de chez les Suédois. Et, oui, je dois laver mes carreaux, je suis au courant, merci). Le haut est, forcément, déformé, mais un rabat stylisé pourrait cacher tout ça. Et est-ce que les plis méritent d'être représentés alors que ce qui importe, c'est l'objet lui même ?

Comme par hasard, le sac prend une forme approchant des besaces trapézoïdales. Qu'on ne voit que sur de rares enluminures ou fresques. Bref, en deux dimensions. La forme trapézoïdale paraît être liée à la déformation d'une besace rectangulaire, pleine, et suspendue. On trouve un effet semblable au sac de Rome sur certaines sculptures, avec là un léger volume. Il reste la déformation de la partie supérieure, qui, dans un sac de pèlerin, est sous le rabat. Cet objet pose quand même pas mal de questions. Encore. Ne serait-ce que la forme du rabat, qui semble varier selon des oeuvres (on a du rabat rectangulaire, triangulaire ou en demi-cercle, par exemple).

 

Aumônière vers le 14e, Nuremberg, vue il y a tout juste un an au moment où j'écris cette légende.
Finalement, c'est comme avec les aumônières. Les rectangulaires. Vide et en musée, elles sont plates et rectangulaires. Portées... Ce sont souvent des trapèzes. 

Salomé a fermé son aumônière, cathédrale d'Auxerre

Et parfois, l'artiste tient compte du volume. Parfois. Ca va dépendre des artistes, et des périodes. La besace trapézoïdale, c'est avant tout un essai de représentation de volume en deux dimensions. Ca fait plat. Mais ça ne l'était pas. Et c'était certainement compris comme tel par les contemporains : un machin rectangulaire avec du bazar dedans que ça déforme tout. Un sac, quoi...Avec un rabat en plus. A un moment où le réalisme n'est pas la priorité absolue.

Le Christ et les pèlerins d'Emmaüs, début 16e,  Peniarth MS 482D, 137r (recadré) Bibal nationale du Pays de Galles (ça rime pas mal). Encore une fois, on a du costume antique qui évite la confusion, pour le Christ,ce qui va devenir la norme : costumes plus ou moins contemporains pour les pèlerins, antiquisant pour Jésus. On note que le peintre a essayé de représenter un volume à la besace.
 

Bon, ben, voilà... Finalement, le parallélépipède, c'est peut-être la solution la plus simple.

Salut les reconsts !



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