mercredi 30 décembre 2020

ICONOGRAPHIE MEDIEVALE

PARLONS D'IMAGES MEDIEVALES

Hommage à Christian Heck



Mieux vaut tard que jamais.

Oui, ce livre est paru il y a quatre ans, et j'avais oublié d'en parler. Ce n'est pas bien. Surtout qu'il s'agit d'un très bon ouvrage.

Les livres dédiés à un spécialiste sont souvent l'occasion de découvrir le champ couvert par les recherches du spécialiste en question, et ainsi de lire divers articles, sur des sujets variés. "La pensée du regard" ne fait pas exception. 

Christian Heck est l'ancien conservateur du musée d'Unterlinden à Colmar, et l'un des grands spécialistes de l'iconographie médiévale. Il a par ailleurs enseigné à Strasbourg (tiens donc) et à Lille. 

Il fait partie de ces spécialistes de l'art médiéval qui savent faire comprendre l'importance de la contextualisation et de l'interdisciplinarité. Certains articles de ce précieux ouvrage savent insister sur cet aspect majeur de son enseignement. Un enseignement où on ne fait pas qu'apprendre. Un enseignement qui sait montrer l'importance d'une méthodologie appropriée si l'on veut pouvoir aborder l'image médiévale de manière pertinente. Et Dieu sait si l'absence d'une méthodologie adéquate rend caduques de nombreuses recherches utilisant les images... Bref, avant de regarder les images, il faut chercher à les comprendre. C'est ce qui transparaît de l'enseignement de Heck (et de celui qui enseigna avant lui à Strasbourg... *clin d'oeil complice*). L'un de ses anciens étudiants citant d'ailleurs Heck : 

C'est la pensée et non l'oeil qui comprend l'oeuvre, 

on ne peut pas chercher ce que l'on ne connaît pas déjà.

Rémy Cordonnier (puisque c'est de lui qu'il s'agit) continue ainsi, et cette fois, ce sont ses propres termes : 

Toute composition picturale s'inscrit dans une pensée dont elle est l'un des produits.

Je ne peux que souscrire... En ajoutant que cela vaut pour tous les arts. 

Que dire de cet ouvrage qui couvre une grande partie de la période médiévale, et empiète sur le XVIe siècle ?

Les articles sont nombreux, plus ou moins longs, et abordent aussi bien des aspects théoriques (comme celui de Cordonnier, tournant autour de l'exégèse) que des études d'oeuvres particulières. Il y est évidemment question d'iconographie, en particulier du lien entre image et texte. On y revoit des attributions, on y développe des thèmes précis. Les articles ne concernent pas que l'image en deux dimensions. La sculpture, l'architecture, entre autres, font aussi l'objet d'études.

Un aspect qui est abordé par quelques auteurs a particulièrement retenu mon attention : l'influence de l'antiquité. Ces articles présentent cette influence dans toute sa diversité, sachant mettre en lumière son importance, si souvent sous-estimée. 

Et bien sûr... Cerise sur le gâteau... Un article de Wirth. Il y est question d'influences entre des sculptures de Reims et Paris. En passant par différents chantiers. Un article court, mais riches, qui remet à plat certaines anciennes idées (y compris les siennes, puisque c'est un auteur qui sait se remettre en question). Cet article fait partie de ceux qui se penchent sur les influences antiques, en s'interrogeant aussi sur les sources disponibles, et mettant, volontairement ou non, en avant l'actualité, ou non, des costumes militaires. Il est alors tentant pour le lecteur d'élargir la question aux costumes en général.

En conclusion, il s'agit d'un très beau livre. Bien illustré. Avec des articles de qualité. Qui s'adresse à tout ceux qui sont curieux d'iconographie médiévale. 

Sommaire :

Bibliographie de Christian Heck  

La Fille Dansante au prisme de l’interdisciplinarité (avec un détour par la Capella Marciana à Venise) — Barbara Baert

La mise en page de l’illustration dans un manuscrit de l’Epistre Othea du début du XVe siècle : Fonctions et signification — Anne-Marie Barbier

La Bibbia ms. 11 della Médiathèque di Poitiers: un nuovo testimone della miniatura a Roma nella seconda metà del Duecento — Maria Alessandra Bilotta

Le secret de Dieu, selon Bellegambe (sur la Trinité du Polyptyque d’Anchin) — François Bœspflug

Some Remarks on Drawings by Van Eyck, his Workshop and his Followers — Till-Holger Borchert

The Mural Painting Port Town in the Chapel of the Holy Trinity in Saint-Antoine-l’Abbaye — Noriko Chinone

Approcher l’Un par le multiple : exégèse et pensée sérielle au Moyen Âge — Rémy Cordonnier

Mythe et récit dans l’exégèse médiévale de la Genèse les fils de Noé (Gn 9, 20‑27) — Gilbert Dahan

Iconographie du retable de sainte Anne d’Alquézar (Espagne) — Alfonso de Salas

Influences antiques et culture populaire à Saint-Germain-des-Prés au XIe siècle : à propos du décor d’un manuscrit du Livre de la sainte croix de Raban Maur (Paris, BnF latin 11685) — Charlotte Denoël

De chairs, d’ors et de bois : réflexions sur les polychromies partielles dans les retables d’autel du début du XVIe siècle — Brigitte D’Hainaut-Zveny

Le Maître de Guînes et l’enluminure gothique des années 1230‑1250 entre Flandre et Artois — Marc Gil

Les chaussures de Joseph. Une image de la Sainte Famille en Souabe méridionale vers 1510‑1520 — Sophie Guillot de Suduiraut

Le bris des armes : l’iconoclasme héraldique dans la société médiévale — Laurent Hablot

Ad infernum detraheris: The Fall of the Rebel Angels in the Speculum humanae salvationis and the Prayer Book of Ursula Begerin — Jeffrey F. Hamburger

‘Figurer et portraire pour passer le temps’ : dessin, homicide et rémission sur le chantier des stalles de Saint-Lucien de Beauvais — Étienne Hamon

Le Livre v du Speculum Virginum : sa place dans le traité et ses liens avec le programme figuré — Guylène Hidrio

Personal Observations on Digitization and the Arts — Colum Hourihane

‘Histoire mythique et archéologique’ in the Eton College Old St Peter’s — Herbert L. Kessler

La représentation des dieux du panthéon romain, du Carolingien au Roman: une focalisation nécessaire — Jacqueline Leclercq-Marx

Les esperiteus demoustranches de l’Arche dans le manuscrit français 344 de la Bibliothèque nationale de France : Représentation du Graal et figuration des mystères chrétiens dans l’Estoire del Saint Graal — Catherine Nicolas

Visitatio sepulchri et donatio pro anima dans l’illustration de l’évangéliaire de Saint-Mihiel — Eric Palazzo

La chapelle Sainte-Catherine de la cathédrale de Strasbourg et sa place dans l’histoire de l’art — Marc Carel Schurr

L’arbre vif et l’arbre sec sur le sarcophage de la via della Lungara — Piotr Skubiszewski

A Note on some Images of the Ascension of St Dominic — Alison Stones

The Enigmatic Carrand Diptych — Cyriel Stroo

Krieg und Frieden im Spiegel der Tapisserie —Monica Stucky-Schürer

Max J. Friedländer betrachtet Geertgen tot Sint Jan’s Bild ‚Johannes der Täufer’ — Robert Suckale

À propos de quatre représentations particulières de la Fuite en Égypte autour de 1210 dans les diocèses de Laon, Noyon et Troyes — Laurence Terrier

« L’énigme de l’art des frères van Eyck » ou la question du naturalisme autour de 1900 : Courajod, Schlosser, Dvořák, Mâle — Michele Tomasi

« All, Emblems, which thy Darling doth improve » : la résolution anglicane de la Querelle des Images dans The Temple de George Herbert (1633) — Jean-Christophe Van Thienen

« Ein wertvolles Erzeugnis klösterlichen Kunstfleißes » : la Règle de saint Benoît enluminée à l’abbaye de Maredret pour Guillaume II, empereur d’Allemagne (1899‑1900) — Dominique Vanwijnsberghe

L’âme des martyrs et la prière des moines : nouvelles remarques sur l’iconographie de la tour-porche de Saint-Benoît-sur-Loire — Éliane Vergnolle

Une refondation symbolique par l’image sigillaire : l’exemple de la chartreuse de Miraflorès à la fin du XVe siècle — Ambre Vilain

Note sur la façade de la cathédrale de Reims et le portail Saint-Étienne à Notre-Dame de Paris — Jean Wirth

 

Plus d'information sur le site de Brepols

LA PENSEE DU REGARD

Etudes d'histoire de l'art du Moyen Âge, offertes à Christian Heck

Turnhout, Brepols, 2016

€ 150

 HAUTEMENT RECOMMANDE

A TOUTE PERSONNE S'INTERESSANT A

L'ICONOGRAPHIE MEDIEVALE

 

lundi 26 octobre 2020

COSTUME MEDIEVAL

UNE MAILLE A L'ENVERS, LA TETE A L'ENDROIT

METHODOLOGIE DE LA CHAUSSETTE

La chaussette 27.170.95 du Met, de l'autre côté, c'est pas mieux (photo Metropolitan Museum, NY)

Où on va essayer de gagner un niveau

Quand on fait un article sérieux, destiné à une publication académique, on est "invité" (euphémisme) à donner ses sources. La plus "première" possible. 

Dans le domaine du costume méd aller à la source permet de voir que le "satin" cité chez Joinville, c'est en fait un "samit" dans la version originale, mal traduit... Que la source de pomme d'ambre "laïque" de 1239  date d'un inventaire de reliques datant de 1329 (ah ben oui, les coquilles, ça existe)... Que les statues de Naumbourg ont été repeintes au XVIe siècle... Bref, on évite des boulettes désagréables et ça permet de remettre l'église au milieu du village. Et pour ça, faut pas avoir peur de traîner parmi les bouquins...

Ce n'est pas là pour faire du remplissage ou pour faire genre "j'ai trouvé cette info quelque part, je vous mets la référence, ça fait sérieux, mais surtout n'allez pas vérifier, vous risqueriez de remarquer que j'ai un peu triché. Merci."

Ca permet de voir s'il n'y a pas eu biais de confirmation, erreur de traduction, interprétation discutable (sans qu'il y ait un biais. Parfois, on peut juste pas trancher), restauration, etc.

Allez, on va s'attarder sur une petite étude de cas bien pratique, qui ne va pas aller jusqu'au bout (tout simplement parce que je n'ai pas accès aux archives concernées, et qu'aller à Oxford en ce moment, c'est pas si évident que ça...)

On peut pas aller à Oxford !!! Ouin ! (Coucou d'Exeter College)


Et on va partir de cette histoire de guêtres tricotées, mentionnées par Turnau 


voir ce génial article : https://parolesdarts.blogspot.com/2020/10/costume-medieval.html

 

 

 

 

 

Remontons aux sources, étape 1.

Rappel de l'épisode précédent

Les guêtres tricotées sont citées dans l'article suivant : 

"Knitting Craft in Europe from the Thirteenth to the Eighteenth Century", in The Bulletin of the Needle and Bobbin Club, Vol. 65 (1982), 20-42.

P. 1, Turnau parle des "hosiers" (les faiseurs de chausses), en ces termes :

""Hosiers" existed at least since 1328, they may have produced leggings sewn out of cloth, but knitted gaiters are mentioned in 1320." Et là, on a une note de bas de page.

(Les "hosiers" existaient depuis au moins 1328, ils devaient produire des chausses cousues à partir de drap, mais des guêtres tricotées sont mentionnées en 1320).

La note de bas de page renvoie à l'ouvrage suivant : C. Willet Cunnington, P. Cunnington et C. Beard, A Dictionnary of English Costume, Londres, 1960, pp. 260-261.


La publication originale datant de 1945. Bon, là, déjà, faut aller dans un autre bouquin. Normal, c'est le jeu avec les notes de bas de page. Mais... Vu l'avancée des recherches en costume médiéval, un ouvrage datant de 1945, même si on peut avoir de bonnes surprises, y a surtout des sourcils qui se dressent et des fronts qui se plissent.

Remontons aux sources, étape 2

Et il nous dit quoi, l'article "tricot" dans ce docte ouvrage ? 

Il dit ceci :


Je réécris la partie intéressante : As early as 1320 in an Oxford Inventory (authority : Thorold Rogers, History of Agricultural and Prices in England) are listed two pairs of "Caligne de Wyrsted" -knitted gaiters".

Ok... Donc, hop. On a une autre référence. 

Maintenant, le mot "caligne", je ne le trouve pas... Enfin si... Mais dans un texte catalan du XVIe. Il n'est pas dans le lexique de Manchester, tout comme "wyrsted".

Mais... Euh... Wyrsted... Ca ressemble quand même vachement à worsted, non ? A une vache près, justement... 

Et pour le plaisir, les différentes formes de worsted qu'on trouve dans le lexique de l'uni de Manchester : 

Alternate Forms: versett, virset, vorset, vursat, vyrset, warset, warstett, wasted, wersatt, werst, werstede, wirset, wirsset, wirsset, wirsted, wirstede, wirthested, wirthstede, wisserit, wisset, wolstede, wonostede, woorsett, worcested, worcested, worchestede, wordesteda, wordestede, wordhestede, wordstede, worsat, worestede, worse, worsel, worsested, worset, worsetis, worsett, worssett, worst, worstead, worstead, worsted, worstedes, worsteid, worstet, worstid, worstide, worstrete, wortested, Worthested, worthested, worthested, worthstedde, worthstede, worthstede, worthstedes, worzet, wosted, wostet, wourset, wrstede, wrtested, wrtestede, wulsted, wulstyde, wurdesteda, wurdesteða, wurhested, wursted, wurstede, wurstet, wurthestede, wurthstedde, wurthstede, wyrset.

Et la liste n'est visiblement pas complète...(et puis, j'ai pris que le sens principal, hein...)
Rappel le "Y" est en fait, à l'origine un "U". Du coup, wyrsted, ça irait bien dans la liste, non ? 

Vous voyez le nombre de termes qui apparaissent dans les textes anglais médiévaux pour désigner la même chose ? Et, il en manquerait un, mais, il irait bien avec le reste. 

(Faut quand même que je vous mette la source, avec la définition) : La source avec la définition que je dois mettre )

On progresse... l'histoire des guêtres tricotées, c'est déjà une interprétation de Cunnington. A partir de wyrsted, qui est très certainement une forme de worsted, c'est à dire un type de tissu de laine léger, qui s'effiloche très vite, qui est pénible à coudre, parce que ça s'effiloche... Et vous pourrez voir à quoi ça ressemble dans les articles sur mon costume 13e... 

Worsted n'est pas, en l'état actuel des connaissances, un synonyme de tricot. Du moins au Moyen Age...

Parce que maintenant... Worsted désigne un type de tissu et de la laine peignée (en pelote... Qu'on peut tricoter). Sens qui n'est pas pris en compte dans le lexique de Manchester.

Du coup, Turnau s'est, en toute bonne foi, basée sur une interprétation très certainement erronée faite dans un ouvrage général sur le costume (et dans la quasi totalité des cas, quand on a un ouvrage général sur le costume, ce qui concerne le Moyen Age fait peur). Ouvrage qui n'a tenu compte que du sens actuel de worsted.

Sans aller voir la source de départ, sinon, elle l'aurait mentionnée (j'espère). 

Hop. 

On repart !

Remontons aux sources, étape 3

En route vers  History of Agricultural and Prices in England de James E. Thorold Rogers, vol. II, 1259-1400, publié en 1866 à Oxford, Clarendon Press. Thorold Rogers étant prof d'économie dans cette charmante localité où j'ai beaucoup traîné... 

Plus de 700 pages. Donc, là...Cunnington... indiquer la page en question, eut été une précision des plus appréciables, surtout dans un bouquin qui énumère des prix... C'est d'un chiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiant ! (mais on trouve des perles parfois)

Rendez-vous page 588... 

(je suis trop gentille de vous faire ces copier-coller quand même)

Déjà, on a 2 mentions... en 1320 et en 1321. La 1320, on peut douter que le wrystede (ah ben tiens, une nouvelle version) concerne les caligae. Pour 1321, pas de doute...

caligae de wyrstede (ah mais... Encore une autre version !)

NYAPA DE Caligne de Wyrsted


Cunnington a carrément introduit de nouvelles façons d'écrire. 

Caligae, c'est pas caligne... et ça veut dire... chausses (en latin médiéval, pas chez les Romains). 

Ne pas confondre Caligae de Wyrstede avec Caligula de Worcester (photo Worcester Art Museum)
Adieu guêtres. Et pour le reste, ben, on peut ajouter à la liste des 1000 et 1 manières d'écrire worsted.

Adieu tricot aussi. 

La probabilité pour que ce soient des chausses en laine légère qui s'effiloche facilement est quand même vachement élevée. Même si on doit garder dans un coin de la tête le sens actuel de worsted... Qui est un sens actuel. (Non pris en compte non plus dans le Encyclopedia of Medieval Dress and Textiles of the British Isles)

Pour bien faire, faudrait aller vérifier dans les comptes de Merton College à Oxford pour découvrir la forme originale (et sûrement d'autres, parce que Thorold Rogers, il a dit qu'il avait pas mis toutes les chausses, y en avait trop -chausses blanches et chausses de blanchet... Comme les gants d'ailleurs, gants de laine ? et là... tricot, naalbinding, taillés et cousus ? Joie ! On trouve une réponse à une question, et on a de nouvelles questions !).

Conclusion 1 :

En jouant au saumon de la Tamise (oui, bon, du côté d'Oxford, ce sont surtout des truites, mais on va pas chipoter. Vous en connaissez beaucoup des truites qui remontent à la source ?), on a vu qu'il y a une autrice qui trouve une info dans un bouquin et la prend pour argent comptant. Or, l'info était une interprétation et comportait des erreurs, ce qui se vérifie si on se réfère à l'ouvrage qui a collecté les infos.

Il manque la phase la plus délicate : aller vérifier le manuscrit médiéval original. On peut juste espérer que le prof d'économie a bien fait son boulot de retranscription.

Ce qui n'est pas toujours le cas. Je rappelle que la bio de Penelope Fitzgerald sur Burne-Jones est un ramassis d'erreurs de retranscription qui pourrissent la recherche sur BJ depuis plus de 40 ans. Parce que les rectifications ne sont pas faites...

Conclusion 2 :

Pour les guêtres tricotées, vaut mieux laisser tomber. Et pour les chausses tricotées, on en reste à nos 2 exemples royaux, fin XIVe. 

On peut soupçonner qu'Irena Turnau se soit laissé emporter par la première mention, tout heureuse de cette découverte. 

Bref, elle avait trouvé confirmation de la présence de truc qu'on se met sur les jambes fait en tricot en 1320. Et elle s'en est contentée.

Ca s'appelle comment ce biais ?

Ce genre de mésaventure peut arriver à tout le monde. Surtout si on n'a pas accès à la source la plus ancienne (ce qui est mon cas aussi... Vu que Merton College n'a jamais été mon adresse). C'est pour cela qu'il faut accepter l'erreur, et faire les vérifications nécessaires, aussi poussées que possible. 

Longue vie aux notes de bas de page !




samedi 24 octobre 2020

COSTUME MEDIEVAL

UNE MAILLE A L'ENDROIT, LA TETE A L'ENVERS

DU TRICOT AU MOYEN AGE

Chaussette en laine (pas très propre) trouvée à Fustat en Egypte. New York, Metropolitan Museum. Qui ne se mouille pas trop pour la date. (photo Met)

Parmi les innombrables activités liées aux textiles, fils, aiguilles, etc. durant la période médiévale, on parle peu du tricot. 

Le naalbinding (tricot à une aiguille avec un fil de taille réduite), ça va, on y revient régulièrement. Entre la chaussette égyptienne antique, les différents bidules scandinaves, c'est un sujet assez populaire. Mais peut-être à manipuler avec précautions quand même.

Egyptian Quality, vers 250-420, Victoria and Albert Museum, Londres. Chaussettes en laine à porter avec sandales. L'origine de la Deutsche Qualität ? (photo V&A)

En revanche, dès qu'on augmente à peine le nombre des trucs plus ou moins pointus associés à un fil qui peut ne jamais finir, avec lesquels on peut fabriquer des vêtements divers et variés, ça devient un tantinet plus compliqué, et même, limite, ça tourne à la foire d'empoigne.  

Autant le dire tout de suite, je ne suis pas la reine du tricot. Mon expérience en ce domaine se limite à la manique faite à l'école primaire pour la fête des mères... Et... Euh... Bon, déjà, ça m'a pris la tête de faire ce simple objet, et en plus, il était vraiment très moche. Et puis, j'étais tellement motivée qu'il était à la taille de ma main, âge 9 ans. C'était fini plus vite, mais bon, comme manique pour une main d'adulte, c'était pas l'idéal. (Mais les mamans savent très bien s'émerveiller devant les magnifiques cadeaux faits avec amour, même si c'est moche et raté... et fait parce que la maîtresse, elle était derrière et qu'elle mettait la pression, et que si on faisait pas on avait une punition.)

J'aurais pu persévérer... Mais, pas envie. Naimepaltrico.

Ceci n'empêche cependant pas de s'intéresser à la question.  

Le célèbre gros bouquin vert

Au niveau études, la plus célèbre est, comment dire ?... Il s'agit de l'article d'Irena Turnau, "The Diffusion of Knitting in Medieval Europe", in Cloth and Clothing in Medieval Europe, Essays in Memory of Professor E. M. Carus-Wilson, ed. N. B. Harte & K. G. Ponting, Pasold Studies in Textile History 2, Londres (et plein d'autres villes, et c'est pas bien de pas les citer, mais même avec cette parenthèse, je gagne de la place, c'est vous dire), Heinemann Educational Books, 1984, 368-389, dit aussi "le gros bouquin vert avec plein d'articles vachement bien dedans, tu vois lequel ? Oui, il commence à dater un peu, mais voilà, plein de sujets n'ont pas été vraiment revus depuis..."

Pourquoi l'appelle-t-on le gros bouquin vert ? Mystère.

Ce qui est un excellent résumé de la situation (c'est aussi dans le gros bouquin vert qu'on parle du haberget, par exemple. Le bouquin est devenu hors de prix cette année. Le gag habituel). Irena Turnau a aussi écrit d'autres articles sur la question, dont un paru dans The Bulletin of the Needle and Bobbin Club, en 1982, qui est ma foi aussi fort utile, et qui traite du tricot du XIIIe au XVIIIe siècle. 500 ans, en 23 pages, dont 9 de texte, le reste étant occupé par des notes et des illustrations (Je vous laisse deviner la place dédiée au tricot méd là dedans). On a aussi quelques pages dans son livre History of Knitting before mass-production. Il date de 1991, dans son édition en anglais. Je crois que l'original (en polonais) date de 1979.
Mais les travaux de Turnau sont remis en cause... Le travail de repérage des pièces est admirable... Mais les analyses et conclusions très discutables. Elle évoque souvent le crochet. Qui n'apparaît qu'au XIXe siècle. 

C'est un peu gênant. Y a de quoi y perdre son latin.


Il y a un autre bouquin, de Richard Rutt, A History of Hand Knitting (Londres, 1987). A peine plus récent. (Oui, les évêques écrivent des livres sur le tricot...)

Bref, on a des articles de référence, qui posent quand même bien le problème. Qui évoquent le naalbinding, et les tricots à plusieurs aiguilles. Des articles qui sont peu critiqués parce que... Ben, des spécialistes du tricot médiéval, c'est rare. Et c'est comme ça que les datations, les raisonnements sont repris, de bonne foi, par des gens s'occupant certes de textiles, mais pas forcément passionnés par la maille à l'envers et à l'endroit. 

Ce qui est bien gênant (oui, je me répète). 

On a aussi de la matière dans Encyclopedia of Medieval Dress and Textiles of the British Isles, avec un bel article sur le tricot. 

Des nouvelles sources ?

Coup de bol, on a une nouvelle génération. 

Déjà, on a Perline qui se pose plein de questions intéressantes sur le sujet. 

Et on a aussi Geeske Kruseman, que j'avais rencontrée à Leeds en 2016, et avec laquelle j'ai eu de petites discussions sur la question. Je vous conseille de lire ses publications qu'on peut trouver sur Academia. Son article sur le naalbinding n'est pas traduit en anglais ou en français... Mais... google trad peut faire des miracles, ou presque. (Sinon, si vous parlez le néerlandais couramment, ça ira)

Je vais essayer de vous résumer tout ça, en essayant de ne pas trahir les propos de Geeske. Et de voir ce qui se trouve ailleurs. On va détricoter les infos. 

Tout ça pour rien...

Déjà, on a un réel problème quant à l'arrivée du tricot à plusieurs aiguilles. L'étude de Turnau est la référence. Mais, il est possible qu'elle se soit trompée (sinon, c'est pas drôle). Ne serait-ce que pour les fameuses chaussettes égyptiennes, arabes, indiennes-retrouvées-en-Egypte-on-sait-pas-trop (les chaussettes de Fustat, quoi). Peut-être que la date avancée (début XIIe) n'est pas bonne. Elle reprend en fait une datation proposée pour la plus célèbre des chaussettes par le Textile Museum de Washington en 1954. Or, là, il se pourrait qu'elles soient beaucoup plus tardives, ces chaussettes... Le Met date les siennes, sales, XIIe-XIIIe maintenant. Pour Washington, ils ne se mouillent plus (mais au moins, leurs chaussettes sont propres). "Islamic". Débrouillez-vous avec. 

On sait pas la daaaaaateuh ! Quelque part entre le 12e et le 13e... Mais c'est peut-être du 14e, si ça se trouve (et c'est toujours aussi pas propre) (photo Met)

 Ca commence bien...

Or, tout le monde se base là dessus, ce qui, forcément, crée un bel effet domino. 

Ensuite, autre problème... C'est que certains points réalisés avec plusieurs aiguilles ressemblent à certains points réalisés avec une seule aiguille. Et le seul moyen de savoir... C'est de défaire. Ethiquement difficilement acceptable, puisque cela conduit à la destruction d'une bonne partie de la pièce archéo. Déjà qu'on n'en a pas tant que ça... Ben, on n'ose pas trop y toucher... Et, histoire de bien emmêler tout ça, on met une couche de sprang là dessus.

En prime, les objets sont dans une vitrine... Et pas toujours sortables. On pourrait les étudier au microscope... On pourrait, mais on peut pas trop, et même là, les confusions sont possibles.

Tricot européen chic

Et en Europe occidentale ? Ben, on en a en Espagne, au XIIIe siècle, considérés comme de l'influence arabe (normal à Las Huelgas). C'est de la soie. C'est à Fernando de la Cerda, donc enterré, avec lui, en 1275. Et on en a quelques autres ensuite. Attention, on a un autre coussin chez Fernando qui lui est brodé de façon à imiter le tricot... Sont-ils joueurs ?

Coussin de Fernando... Brodé... Qui imite le tricot. Comme si c'était déjà pas assez compliqué comme ça ? (photo patrimonio nacional)

Et sinon, on a du gant épiscopal, tricoté aussi, d'après Turnau... Datant toujours du XIIIe, essentiellement en soie, principalement blanche (autres couleurs exceptionnellement possibles, selon les besoins liturgiques), parfois en lin. A vrai dire, y en a des flopées, des gants tricotés dans les églises (22 paires à Cluny en 1382), et réalisés avec amour dans les couvents, toujours d'après Turnau, mais elle n'a aucune preuve, et la recherche actuelle remet cette hypothèse en cause. Ces objets sont souvent considérés, par les musées, comme d'origine espagnole (ben oui, là, on sait qu'on en faisait), mais il se pourrait que ces identifications soient plus que discutables, d'après Geeske... ("Origine inconnue", ça le fait pas trop, il paraît... Mais quand on sait pas, ben... on sait pas... on le dit. On n'invente pas. Du coup, le "Islamic" de Washington, il est très appréciable.)

Bulle papale, in English, Papal Bull... source de l'image
 Des bulles papales des XIe et XIIe siècles indiquent que les gants épiscopaux doivent être "tricotés"... Comme ça, ça épouse bien la forme de la main. On en a un qui serait fait en naalbinding. Et c'est le plus ancien, qui date du XIIe...

Et là... le gag... Ils ne sont pas si tricotés que ça, ces gants. Ils relèvent plus de la technique du sprang (sorte de filet, pour simplifier). D'après Geeske, les tricots ne dérivent pas du naalbinding, mais de techniques plus proches du filet (là, Perline saurait mieux voir la chose). Ceci dit, les articles parus avant ceux de Geeske considèrent la filiation naalbinding, et non sprang (tout en notant qu'on peut les confondre). Et là, on a une petite révolution à ce sujet... Les premiers gants épiscopaux, retrouvés, dont on est sûrs qu'ils sont tricotés avec plusieurs aiguilles et dont on est sûr de la date datent de avant 1529.

gants tricotés de François d'Estaing, Rodez, musée Fenaille, enterrés en 1529.
Pour les précédents, peut-être que... Mais on ne peut pas vérifier. Mais on a bien du sprang identifié, en France, XIIIe. Il y a cependant de grandes chance que des gants provenant de Prague et de Toulouse, datant du XIVe et du XVe siècle soient tricotés. 

Gants tricotés, dits de St Rémy, Basilique St Sernin, Toulouse. Datés traditionnellement du XIIIe siècles, ils pourraient être du milieu XVe. (photo © Jean-François Peiré) source  
 Mais... La date exacte est difficile à établir. Et de toute manière, ils datent d'après le coussin, selon les dernières recherches. D'autres gants, antérieurs, prétendument tricotés, selon Turnau, se sont révélés être d'autres techniques.

Ben il semblerait quand même que l'objet tricoté le plus ancien qu'on ait en stock reste le coussin de Fernando... Les gants précédents, ce n'est pas la même technique.

Il n'y a que maille qui m'aille

Même pas désolée. J'allais pas la laisser passer.

Allez, on arrête la migraine, ou pas. On a du soupçon, en Europe, à partir de mi XIIIe. Bon, là, ça va, on sort de nos habituels contextes religieux et funéraires. 

Pour les Anglais, on a des bonnetiers, avant 1268... On y tient, à ce qu'on met sur la tête. On en a à York dès 1243. Mais de là à savoir si c'est tricoté, c'est une autre histoire, parce que la mention "tricoteur de bonnet" (capknytter), c'est 1422. En 1300, c'est surtout du feutre (mais attention, il y a feutre et feutre). Plus tard, le tricot sera surtout une affaire de faiseurs de chausses (mais hors Moyen Age, alors on s'en fiche).

On s'applique

Et à partir de 1268, ça se diffuse un peu partout. Si l'on en croit Turnau. Et l'on tombe sur notre cher Etienne Boileau. Boileau ne mentionne pas spécifiquement le tricot, mais on retrouve, dans les modifications, des mentions à des "traisses", du foulage... Attention, tricoter des gants et des bonnets pour le commun des mortels, ce qui est cité, ensemble, chez Boileau, c'est pas du prestige... Et on travaille la laine, mais aussi le coton. En outre, il est question, en tout cas pour le coton, de fil... Il est interdit de le filer au "touret", comprendre à la roue à filer. Ce qui veut dire que ces chapeaux sont faits avec du fil... De là, on peut envisager, effectivement, qu'on utilise une, ou plusieurs aiguilles (je vous dis pas, en passant, tout ce que ça peut cogiter au sujet du mot "touret" qu'on voit apparaître deci-delà dans des inventaires...). Quand on additionne toutes les infos, ça devient de plus en plus confus. Ce qui explique les incertitudes, et les contradictions, des spécialistes. Néanmoins, le XIVe amène d'autres informations intéressantes et des pièces archéos, qu'on ne peut pas dater avec précision (manquerait plus que ce soit fastoche).

On a un beau bonnet tricoté en byssus retrouvé à Saint-Denis. Le byssus, ça reste du prestige. Forme simple, demi-sphère. La forme est typique du bonnet tricoté du XIVe siècle, quelle que soit la matière.

Musée archéologique de Saint-Denis
Le bonnet, c'est une valeur sûre, et je vous renvoie à l'article de Geeske, dispo sur Academia, Erasmus' Bonnet, écrit en collaboration avec Isis Sturtewagen (vous savez que le monde des chercheurs en costume méd est pitipitipiti ?) et Jane Malcolm-Davis.

Et devinez quoi ? Sur la fin du Moyen Âge, on a plein de bonnets tricotés. Qui sont aussi foulés et feutrés. Et ça a l'air de commencer déjà fin XIIIe. Le foulage leur donne un aspect plus rigide, qu'on va retrouver par exemple au XVe dans les fameux bonnets hyper hauts à la mode à la cour de Bourgogne et dans les Flandres. On a tendance à les imaginer fait de laine cousue, ou de feutre... Ben, il semble que non. Ce serait du tricot feutré (nuance !)... Et ça se bouscule.

En tout cas, on a des sources (c'est le cas de le dire) d'utilisation de moulin à eau par les chapeliers anglais, fin XIVe. On fait dans le feutré. Mais le moulin a eau, c'est pas top pour la qualité, donc, fin XVe, hop, interdit formellement.

Le hic, c'est qu'il est difficile de savoir avec précision les dates d'arrivées des nouveaux objets, et leur fréquence. On a des indices. Et beaucoup de questions. 

C'est autour de 1500...
On n'a pas que des bonnets. Les fouilles de Londres nous ont laissé aussi une moufle d'enfant, et un maillot de corps, qui sont datés autour de... 1500. On considère que les objets tricotés restent bon marché (si on fait abstraction des gants épiscopaux et autres objets en soie, évidemment... Oui, parce que... la noblesse aussi aimerait bien les gants tricotés.)

Pareil, mais en plus flou.

Oh ! Des images

Merci le XIVe. On a des représentations de Marie qui tricote... Avec plein d'aiguilles ! Quel bonheur que la peinture siennoise, qui nous donne plein de détails. Et comme en prime les artistes ont un petit peu disparu de la circulation avec la Peste Noire, ça permet de dater dans la première moitié du siècle. Et ça continue au XVe. Marie fait des vêtements pour son fils, et les images sont de plus en plus courantes. 

La plus ancienne représentation se retrouve dans le blog d'Isis, c'est un Lorenzetti : Direction le blog d'Isis

On a par la suite d'autres représentations, qui confirment que le tricot avec plusieurs aiguilles, ça a du succès fin Moyen Age, y compris pour habiller le petit Jésus.  

Maître Bertram (1345-1415), Retable de Buxtehude, Madone au tricot, après 1390, Kunsthalle, Hambourg. Jésus attend sagement sa nouvelle tunique (on note au passage les laines de différentes couleurs utilisées pour le tricot, uni...) (photo wikipedia)

Le tricot c'est élastique, ou pas...

Ce serait top pour les chausses. Question de bon sens.

Bon, ben, on devrait plutôt oublier pour le Moyen Age. Il y a des mentions de guêtres (si tant est que le terme gaiters correspondait bien à ce qu'on entend aujourd'hui par "guêtres" et si c'est bien le terme utilisé dans le texte médiéval et non une extrapolation du traducteur) tricotées en 1320. Mais rien de plus (cité par Turnau. Source à vérifier. Le lexique textile de Manchester ne comporte pas le terme "gaiters"). En Angleterre, les fabricants de chausses coupent et cousent. Ils ne tricotent pas. La chausse tricotée, c'est plus un truc de la Renaissance... La qualité des laines tricotées médiévales, presque toujours foulées, est différente de nos tricots actuels. Forcément, pour les chausses, c'est beaucoup de travail pour un résultat inconfortable. Les objets tricotés en laine non foulés, ça reste du petit... gants, habits de bébés. C'est trop délicat pour des chausses. 

Donc, l'argument tricot = élasticité = c'est bon pour les chausses... Ce n'est pas forcément logique.

Euh... Si, sinon, c'est pas drôle
Sauf que voilà, le roi Henry IV (le leur, pas le nôtre), il aurait eu des chausses tricotées en laine... Fin XIVe-début XVe. Mais, j'ai pas réussi à consulter la source. C'est un livre relativement ancien (1932). Ce serait à voir. C'est toujours chez Turnau.

Il y a cette source anglaise (ça reste le roi, aussi...) et une française (et c'est du royal, 1387, je vais y revenir). Des mentions, aussi en Espagne. Mais pour Barcelone, ça viendrait d'un livre qui ne contient pas de notes (et alors, on vérifie comment ? C'est quoi la source ? J'ai bien une mention de calces d'agulla sur Barcelone, mais on est début XVIe). 

Et, est-ce que ces mentions d'objets faits à l'aiguille, de chausses d'aiguille, renvoient bien à un tricot ? En tout cas, on est dans les comptes du roi de France, et ces chausses à l'aiguille valent plus cher que de la chausse semellée. Et, si on a plein de chausses faites dans du tissu, les chausses à l'aiguille, elles ne sont achetées qu'une seule fois, et il est bien précisé que c'est pour le roi. On peut envisager que ça ne court pas les rues. Ah, et l'achat de ces chausses à l'aiguille, il est au milieu d'un tas de chapeaux. Ce ne seraient pas les mêmes artisans ? Même qu'en France, c'est classé en bonneterie. 

Pfffff... le casse-tête ! Vu le flou, on ne peut que se rabattre sur les pièces archéos et les infos précises.

On récapitule la chronologie des tricots, quand on est sûr de la date (ça élimine Prague et Toulouse, trop la loose), en tenant compte que les objets funéraires, ça peut avoir été faits un peu avant (mais rarement après) :

Occident

1er coussin : Fernando. 1275

Production de tricot dans toute l'Europe : 1375

Chausses : 1475 (hors exceptions royales)

Gants : 1529 (mais... Quelques exemples à datation très incertaine avant, on va dire 14e)

 

Il y a en tout cas des questions. Les hypothèses de Turnau semblent se révéler inexactes pour beaucoup d'entre elles. La question de la datation des chaussettes de Fustat est réelle, puisqu'on est passé d'un début XIIe à XIIe-XIIIe... Voire encore plus tard... Le musée de Washington ne met même plus de date...  

Date ? Euh... Islamique ?

(Et sinon, on parle du morceau tricoté considéré comme d'origine orientale trouvé dans une tombe scandinave en 1926, daté environ Xe siècle, et qui n'a jamais été publié ? Mais bon, c'est de l'importation, et non, le Viking tricoteur, on n'a aucune source ! Et puis, comme c'est pas du publié, on fait quoi ? Et puis, qui l'a vue cette pièce, d'abord ?)

Mal la tête... 





jeudi 13 août 2020

COSTUME MEDIEVAL

LES CALENDRIERS

Sources fiables pour la connaissance des costumes médiévaux ?

Psautier Percy, à l'usage d'York, 4e quart du XIIIe siècle, BL, add. 70000 4v, mars.

Puisqu'on a une année plutôt bizarre, on va s'intéresser aux calendriers (oui, je sais, c'est capillotracté. Et alors ?) Sujet bien courant dans l'art médiéval, directement hérité de l'art antique et vaguement christianisé. On va donc y trouver en vrac des divinités, des signes astrologiques, des travaux des mois, des saisons (y en a plus ma bonne dame)... Et une chatte qui cherche ses petits, parce que c'est vraiment le bazar là dedans. Y aurait des aiguilles dans les bottes de foin que ce serait même pas surprenant...

Et vas-y que je te mets ça en sculpture sur les cathédrales, en mosaïque, dans les pages des livres d'heures, des psautiers... Ouh la ! Je sens qu'on va encore avoir besoin de saint Asprault, et d'un verre d'eau pour faire passer ça

Influence antique ? Où ça ? Psautier Oscott, 1r.

 Du coup, comme y a de la source antique et paléochrétienne dedans, la question de la fiabilité des calendriers en ce qui concerne le costume médiéval est sérieusement d'actualité. Et en prime... On dira ce qu'on voudra, mais, on a en fait de la personnification des mois, de l'allégorie, de la personnification des signes astrologiques, des saisons, et des activités liées à ces différents mois, saisons, et tutti quanti.

 Ne pas oublier aussi que le calendrier est basé sur celui qu'on doit à Jules, et utilise un système qui remonte aux Romains. (Je vais pas détailler, mais la Pierpont Morgan Library a sorti récemment un petit bouquin sympa sur la question, The Medieval Calendar. Ca peut servir de l'avoir dans la bibliothèque.)

Pour savoir un peu comment ça fonctionne

On attend 1582 pour avoir un calendrier plus moderne et adapté (oui, Pâques en été, ça commençait à faire désordre... Il était nécessaire de remettre un peu d'ordre là dedans, et tant pis pour Jules).

On est, paradoxalement ou pas, dans l'intemporel. Si vous commencez à piger les principes de l'art médiéval, vous devez avoir des sonnettes d'alarme qui sonnent un peu partout.

Allez, je spoile

Des fois, ça va, on peut s'en servir, des fois ça va pas du tout, des fois ça va un peu, des fois ça va beaucoup... 

Des fois ça va, des fois ça va pas, sur une image. Je vous laisse jouer. (Aula Gotica, octobre)

Souvent, c'est un gros mélange et si on n'a pas déjà les connaissances du costume ET de l'image médiévale, et des costumes précédents, ben... On peut prendre des vessies pour des lanternes.
On est dans les cas particuliers, et chaque élément de chaque image doit être analysé.
Et si vous ne trouvez la représentation d'un phénomène que sur des personnages qu'on va surnommer "hors du temps" : mode "fly, you fools".

Ou ça, c'est au choix



Et pourquoi donc ?

Vous trouvez que c'est antique ? C'est XIIe.


C'est dit plus haut. Ces images remontent à l'antiquité. L'astrologie, c'est un truc mésopotamien. Récupéré par Grecs, récupéré par les Romains, récupéré par les Chrétiens. On mélange de l'antique, du paléochrétien, du byzantin. On est dans le Miroir de la Nature. L'apparition des occupations des mois est une façon de démocratiser, on va dire ça, un sujet plutôt hermétique. Les signes du capricorne, du sagittaire, pour le commun des mortels du Moyen Âge, ça cause pas des masses, et comme la rubrique horoscope avait pas encore été inventée, on savait pas trop où situer ça dans l'année. On y ajoute ou on les remplace par les occupations (plutôt que les travaux, parce que le pote Janus en train de bâfrer en janvier, on peut pas dire qu'il bosse...) des mois, et hop. Magie. 

Psautier de La Charité (sur Loire), 4e quart du XIIe siècle, BL, Harley 2895, 3r, mai. Tenue antique... Mais l'un des jumeaux a un bouclier qui colle avec la date. Joie. Et confusion.

Ca cause à tout le monde. Mais c'est pas pour ça que les différentes étapes du passage de l'un à l'autre vont disparaître. Déjà, parce que bien souvent les signes et les occupations cohabitent, mais surtout parce qu'on va  régulièrement trouver des traces de ces étapes sur une même image. Ou, parfois une transformation radicale où toute mention de l'antiquité a disparu, comme Janus devenu duc de Berry.

Le duc de Berry se prend pour un dieu antique...
 

La compo d'un calendrier 

(pour les plus courants, parce que sans les exceptions, l'art médiéval, c'est pas drôle). 

Lansdowne 420, vers 1220, BL, 5v, octobre
 

On a les signes du zodiaque et/ou les travaux/occupations (en fait, on préfère vraiment le terme d'occupations, c'est plus représentatif).

janvier         verseau        festin avec Janus/se réchauffer

février         poisson        se réchauffer/couper du bois/ taille/faire la fête, etc. (on a le choix)

mars           bélier           taille/labourage

avril            taureau        cueillir des fleurs/arbres en fleurs/chasse au faucon

mai             gémeaux      chasse au faucon/chevaucher/faire la cour/faire de la musique

juin             cancer          tondre les moutons/faucher

juillet         lion                faucher/récolter

août            vierge (zebest) battre/récolter/vanner

septembre (zebest) balance   cueillir du raisin/ semer/tasser des glands

octobre        scorpion       semer/cueillir du raisin/tasser des glands

novembre    sagittaire      tasser des glands/égorger le cochon/préparer le lin/faire du pain

décembre     capricorne  égorger le cochon/faire du pain/festoyer

 

Psautier de Lambert le Bègue. Fermier et des cochons en mauvaise posture, 1255-65, BL, add. 21114, 6r, novembre. On note la tenue riche du fermier.

Calendrier et christianisation

Histoire de bien nous enquiquiner, la christianisation est relative. On n'a pas de moralisation du thème. On voit quand même des gens qui glandouillent, des oisifs à côté des travailleurs. Et les glandeurs se trouvent aussi du côté des paysans... C'est pour ça que le terme "travaux" n'est pas très opportun. C'est un héritage direct du paganisme, donc, exit la Morale, la glorification du travail... C'est un almanach.
Une autre couche ? Ben, ça va changer d'une région à l'autre, d'un ouvrage à l'autre, d'un édifice à l'autre, en fonction des sources qui circulent et sont copiées, et de l'inspiration des artistes. Tant que c'est compréhensible par tous, c'est bon. Et on laisse souvent des éléments du passé histoire de signifier qu'on est dans un Miroir, et pas la réalité. Parce que c'est de là que vient le gloubi-boulga. Ces scènes, que ce soient des signes astrologiques ou des occupations, ne sont pas la réalité. Ce sont des miroirs de la réalité. Une réalité plutôt campagnarde. Pour les artisans, faut voir ailleurs. Ce n'est plus là le Miroir de la Nature, mais le Miroir des Métiers. Ils arrivent, oh ben ça alors, quelle coïncidence, avec le développement des villes, et ça va exploser au XIVe siècle. 

Atelier d'Andrea Pisano, invention de la médecine, 1343-48, Musée de l'Oeuvre, Florence. (Provient du campanile)
Avec, parmi les plus remarquables, ceux qui sont faits dans les villes italiennes (oh ben ça alors, quelle coïncidence... Oui, c'est un développement plus énorme qu'en France, par exemple). On verra ça sur le campanile de Florence. En attendant, les Italiens sont dans la mouvance européenne, genre ce qui se trouve sur le baptistère de Parme (et pas que là...)

Benedetto Antelami (vers 1150-1230), Septembre, baptistère de Parme, vers 1210-20. Où l'on va s'éloigner des modèles byzantins en s'inspirant des modèles romains. Et on garde un détail qui fait XIIIe.
 
La diffusion massive des calendriers par les livres, psautiers, missels, livres d'heure, etc., remonte au XIIIe siècle. Et, comme c'est "pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué ?", les fêtes (on cause pas des images) changent selon les villes. Certaines sont liées à un événement concernant un saint local, qui n'est pas forcément lié à la ville d'à côté. C'est pratique, ça permet d'envisager que tel livre a été fait à tel endroit. Sauf si c'est une commande à un atelier spécifique. Mais ceci explique les mentions "à l'usage de -insérez le nom de la ville de votre choix". 

Mais les exemples sculptés dans les édifices religieux sont plus anciens (et dans certains manuscrits aussi, faut pas croire). Ceci dit, avant le XIIe, ça court pas trop les rues.
Du coup, dans les objets, les vêtements, c'est la brocante du village. On va trouver des ensembles cohérents sur une page, et la fête des braies sur une autre. Autrement dit, ce sont souvent des objets magnifiques qu'on peut utiliser. Mais quand on maîtrise déjà la chose.

Dans la pratique

Alors, dans la pratique, comme Prudence est mère de sûreté, on manipule les calendriers un peu comme si on manipulait de l'uranium. Juste que l'uranium, finalement, c'est moins dangereux (enfin, selon les contextes). 

Si on n'observe un phénomène que sur des calendriers et des oeuvres appelant naturellement à la prudence, on passe son chemin, en attendant de trouver des preuves fiables sur des sources plus fiables. Par exemple, la fameuse histoire des braies drapées... 

Coucou, c'est encore moi !
 

 

Euh ? Comment dire ? Des sources écrites qui parlent de braies cousues, ou qui sous-entendent que les braies sont cousues (genre, un texte qui évoque un bonhomme qui enfile ses braies), on en a des flopées. Des sources écrites qui laissent supposer l'existence de braies drapées. Jusqu'à présent, on n'a pas. Tout ce qu'on a, ce sont des sources de type "occupations des mois", ou autres sujets dont l'origine remonte à l'antiquité, en passant par les prismes paléochrétiens et byzantins. Parce que pour ce qui est de cacher les parties intimes, on va plutôt chercher chez les Chrétiens, à commencer par le Christ lui-même, et divers martyrs, qui ont souvent un bout de tissu plié qui fait jupette ou slip. 

 

C'est plus rare dans l'art romain, mais ça se trouve (surtout sur des personnages exotiques, après tout, c'était très fashion en Egypte). 

Bonjour, je vous dépose ? Gizeh ? Louxor ? Abou Simbel ? Mosaïque nilotique de Palestrina, vers -100 avant J.-C.

Et n'oublions pas l'habitude de remonter le bas du vêtement et de le coincer dans la ceinture, qu'on voit finalement beaucoup, dans l'art chrétien, et jusque dans la broderie de Bayeux (c'est mieux pour travailler ou chevaucher ou traverser des rivières). Sinon, on en parle de l'influence antique relevée dans les sculptures de Chartres, ou pas ? 

On va trouver des représentations de paysans habillés de couleurs méga saturées dans les champs, la célèbre robe bleue des Très Riches Heures du Duc de Berry. Des paysans habillés de soieries, avec même des bandes d'orfroi. 

Un vrai défilé de mode. Que des beaux tissus pour aller bosser.

On a aussi des nobles qui vont à la chasse avec un faucon gentiment posé sur un gant tout fin (oui, là, c'est pas lié à l'antiquité), c'est juste que, un gant, c'est un gant. Le spectateur se doute bien que s'il y a un faucon dessus, c'est un type de gant. Enfin, le spectateur de l'époque, hein. 

Psautier York, vers 1260, BL, Add. 54179, 3r, mai. Sans les gants ! (Et sans les doigts, aussi, à la fin.)

Et quand le noble se la joue "même pas de gant" on devine que ce n'est pas très réaliste. On est dans un univers décalé, qui renvoie, parfois au monde connu, et parfois à des choses totalement passées, fantaisistes, voire impossibles. Pour le passé, on a pas mal de jolis accessoires bien pas de chez nous.

Psautier Oscott, 1265-70, BL add. 50000, 1v, février. C'est peut-être de la soupe, après tout... Qui se verse dans l'oreille.
 

C'est ainsi qu'on va croiser de temps en temps des paysans qui boivent tranquillement leur vinasse dans une kylix même pas cassée, à part les anses, tout en se réchauffant les pieds au coin du feu.

Une Kylix de Tarante, et une de la Villa Giulia.

ce qui n'est pas trop le contenant à boisson typique de l'Europe médiévale.

Psautier, 1er quart du XIIIe siècle, BL add. 18144, 2r, janvier. Avec un gobelet en bois. Et des trucs pour boire qui sont d'époque, dont un gobelet en bois...

On pourrait se dire que le paysan avale sa soupe depuis son écuelle. Hypothèse tout à fait acceptable. Mais... Les pièces archéos XIIIe correspondant à ce que certains paysans des calendriers portent à leur bouche sont un peu petites pour une soupe (après, pourquoi pas ?), et on voit la kylix dans les mains de Janus aussi. Sur une table plus prestigieuse... On peut envisager que, selon les cas, notre paysan boit du vin ou de la soupe ? C'est compliqué. Et Janus, dans tout ça ?

Elle est quand même bizarre, sa façon de boire... Psautier Oscott, 1r. Janus
Même les calices n'ont pas cette forme (Oui, le calice, c'est une forme empruntée à l'Egypte antique. Sérieux).

Dans un autre genre, comme top de la mode pour travailler la terre... 

Psautier Percy, à l'usage d'York, 4e quart du XIIIe siècle, BL, add. 70000 7r. juin. Jardinons en tenue bourgeoise. C'est agricole.
 

Le touret, porté avec la cotte hyper longue qui traine par terre. Là encore, le rapport est incongru. On a d'autres exemples de "tourets pécores", dans le Bodley 764, 41v, d'Oxford, un Bestiaire (donc, encore un type d'ouvrage à risque), ou dans quelques rares enluminures provenant toujours de calendriers divers. Pour le reste, le touret, c'est très citadin.

Aula Gotica, juin. Aucune influence antique dans cette fresque voyons, c'est l'évidence même. Même pas le petit Cupidon dans le coin. Les chapeaux vont bien avec Cupidon, en prime.
 On va aussi, évidemment, trouver des sources de tuniques sans manche, ou de l'utilisation de luxueux sièges antiques, que même l'évêque il en a pas un pareil.

Déjà, la tunique longue du paysan, c'est très antique...

Parmi les calendriers les plus intéressants, on a celui, en grand format, trouvé il y a quelques années dans une salle gothique du couvent des Quatre Saints Couronnés, à Rome, bien planqué sous de l'enduit. Forcément, y a de la perte (le zodiaque, par exemple). Mais il y a de beaux restes, dans l'Aula Gotica. Et purée, on le sent qu'on est à Rome. Ca fourmille de références à l'antiquité dans chaque image. Et mélangé avec du contemporain. C'est daté plutôt XIIIe, mais dans le genre archaïsant pour la plupart des peintures. Avec, néanmoins, le bel indice qui fait bien XIIIe, pour le mois de mai (ceci dit, ce genre de vêtement correspond aussi à des descriptions qu'on peut trouver dans la littérature autour de 1200, donc, ça peut être apparu avant cette date aproximative). 

Pour une fois, le mois de mai ne va pas à la chasse avec son faucon. Mais il porte une ravissante tenue de voyage chicos de son époque. C'est l'une des petites touches vraiment XIIIe de l'Aula Gotica.
Les costumes antiquisants et archaïsants dominent largement. Le fait est que ces peintures pourraient difficilement exister sans l'héritage antique.

Janus, en janvier, porte une tenue classe, c'est normal. Mais le brave monsieur de février, avec ses bandes d'orfroi... C'est un peu bizarre quand même...   
Et puis, ces gambettes nues sur certains. Pas très médiéval.

Les vêtements sont surdécorés, et certains ont reconnu des clins-d'oeil directs à l'art antique.

Ca, dès qu'il y a une épine et un pied, on pense à une certaine sculpture antique. C'est marrant, celle-ci est l'une des citations les plus éloignées de l'original (alors que géographiquement...). On note que les hanches sont couvertes, ce qui crée souvent une distance avec les sources antiques.

On est à Rome, c'est pas étonnant. Mais des références au Spinario, on en a déjà trouvées bien plus au nord. 

Par ailleurs, les peintures de Berzé-la-Ville, près de Cluny, XIIe siècle, sont considérées comme ayant été réalisées par un artiste qui a traîné du côté de Rome. 

Donc, ça, c'est près de Cluny...
                                               Et on a quand même pas mal de points communs avec ce qui peut se voir à Rome ou dans les environs. 

Et ça, c'est dans les environs de Rome, même période, même vêtement bizarre au niveau du ventre (courant dans les représentations de gens du passé, ou exotiques), même gamme chromatique. (C'est dans un tout petit village paumé, perché, où il y a aussi de bons restos. Chut, c'est un secret local.)
 

Même en ce qui concerne les couleurs. Les artistes, les motifs, voyageaient (c'est pas comme si on avait retracé l'itinéraire du sculpteur de Naumbourg depuis Reims, par exemple... Un vrai Petit Poucet qui a semé des jolis cailloux sculptés partout.) Trouver des influences antiques dans une bonne partie de l'Europe, ça n'a rien d'étonnant du tout. Il y a une tripotée d'explications.

Psautier de La Charité (sur Loire), 4e quart du XIIe siècle, BL, Harley 2895, 4v, août. Pagne antique (qui peut se mettre en braie si on veut) et signe de la Vierge, vêtue comme les vierges paléochrétiennes, avec une tunique plus courte sur une tunique longue. Je vous laisse réfléchir sur les dégâts que peut causer une image pareille...

En résumé, on a des paysans qui vont porter des trucs anachroniques, des vêtements destinés à une autre classe sociale (nobles, bourgeois), des couleurs qui montrent qu'on a du pognon (ça, pourquoi pas, mais on va peut-être pas aller aux champs avec. On garde pour le dimanche), des objets qui sont aussi anachroniques que certains vêtements, des nobles qui se promènent dans la campagne avec des tenues d'apparat, le tout, vous l'avez compris, mélangé avec des trucs qui collent au contexte et à l'époque de création. 

Psautier de Lambert le Bègue. Paysan buvant, 1255-65, BL, add. 21114, 1r, janvier. C'est un peu comme si on mélangeait Janus et le paysan. Beaucoup d'éléments antiquisants (encore une jolie kylix) et la fourche, pour contextualiser. 
 

Il faut ainsi tout recontextualiser (encore et toujours). Comparer avec d'autres oeuvres, avec des sources écrites, avec des oeuvres du passé. Il y a de la tradition derrière, qui peut remonter à plus de 1000 ans, donc, si, sous prétexte que vous travaillez sur 1180-1320, vous vous fichez comme de l'an 40 de ce qui se passe en l'an 40 av. J.-C., ça risque de ne pas le faire. On peut piocher des éléments ça et là. Le corset bleu foncé des Très Riches Heures peut très bien être récupéré comme couche inférieure par une bourgeoise ou une noble. Mais pas pour travailler dans les champs. 

Couleur trop riche dans le contexte repérée !!!
Pas pour de la paysanne pauvre. Idem pour la tunique de soie et d'autres vêtements qui se trouvent d'ordinaire sur des classes sociales plus élevées. (Mais léger sur l'orfroi si vous n'êtes pas en apparat, on reste dans les normes, c'est plus sûr). Et il y a les ovnis. Qu'il vaut mieux éviter.

On n'a pas encore trouvé d'usage pour la tunique sans manche au XIIIe. Et pourtant, il y en a plein les calendriers. Lansdowne 420, vers 1220, BL, 3r, mars.
 

Bref, le calendrier c'est bon, parfois (réveillon de Nouvel An). Et surtout si on a déjà plein d'objets du même type dans des contextes qui ont un héritage antique moins marqué. Si vous avez besoin d'exemples variés pour illustrer un propos, vous pouvez caser une source venant d'un calendrier, si cet exemple correspond à ce qui se trouve dans des contextes plus fiables. Si tous vos exemples (même si vous en avez mille) ne se trouvent que dans des calendriers, zodiaques, occupations des mois, scènes exotiques, etc., on pourrait envisager la possibilité qu'une odeur suspecte se dégage du fond des braies, et que péter dans la soie, c'est en réalité pas donné à tout le monde... 

Aula Gotica, août. Oui. Mais non. Ceci ne paraît pas représentatif de costumes XIIIe. Ni du mobilier. Mais c'est beau.

NB : les photos de l'Aula Gotica sont issues de cet ouvrage (magnifique au passage) : Draghi Andreina, Gli affreschi dell’Aula gotica nel Monastero dei Santi Quattro Coronati. Una storia ritrovata, Milano, Skira 2006. (Livre chaudement recommandé si vous aimez l'art médiéval. Si vous cherchez uniquement des sources sur le costume, c'est à vos risques et périls.)

Et si vous voulez en savoir un peu plus sur ces fresques sans acheter le bouquin : http://www.appasseggio.it/blog/i-racconti-degli-affreschi-dellaula-gotica-del-complesso-dei-santi-quattro-coronati/ 

http://www.appasseggio.it/blog/i-racconti-degli-affreschi-dellaula-gotica-del-complesso-dei-santi-quattro-coronati-luglio-dicembre/