mercredi 1 avril 2020

ACCESSOIRES

CES OBJETS MYSTERIEUX
C'est sourcé, mais ça coule pas de source... 



Les accessoires sont les compléments indispensables de toute tenue (surtout les chaussures, ça peut aider...)

Un bon nombre d'entre eux nous sont connus par des sources écrites, archéologiques et iconographiques, le tout datable et exploitable sans trop de risque. Là, c'est le bingo ! On a toute la documentation possible. Difficile de se planter si tout coïncide sur une période donnée.

On a quand même à disposition un paquet d'objets : aumônières, bourses, chaussures, bagues, fermaux, fibules, ceintures, boucles de ceintures, couteaux, etc. qui venaient agrémenter les costumes. Mais, déjà dans cette liste, on peut trouver des accessoires qui nécessitent une analyse un peu poussée (d'où l'importance du croisement de sources, de la connaissance et de l'étude des contextes, etc.) : certains semblent, dans la limite des connaissances actuelles, être réservés à un usage précis, à un sexe, à un certain type de personnes (cas extrême : on a des couronnes royales... On va peut-être pas en faire un accessoire de paysan qui va aux champs... Ben, ça vaut pour les bagues épiscopales, les souliers liturgiques, les gants de fauconnerie, les tissus consacrés, Jean passe et des meilleures. CONTEXTE !).

Oui, parce que même des objets bien documentés peuvent être mal utilisés. Souvent de bonne foi (on n'a pas pensé à vérifier, ou, ben si tout le monde fait comme ça, doit y avoir une raison, ou oh ben cette personne elle paraît sérieuse, donc, ça doit être correct. Ah ! Les dégâts des baratineurs), parfois par manque d'accès aux informations exactes (voir le tissu aux perroquets qui est très mal daté sur le net), ou parce qu'on a envie d'avoir un truc, et finalement, on s'en tape de la date (dans ce cas, pas de problème tant qu'on ne prétend pas être au top de l'historicité).
Il y a aussi des cas avérés de mauvaise foi, ou de pseudo recherches, et les fameux "ils étaient pas c...", "Ca a été trouvé à la même époque à cet endroit là, donc ça va" (Caucase-Allemagne, la porte à côté), "Voilà la source" (tiens, récemment, on a eu le retour des encolures de vêtements à l'antique sur des enlus du XIe siècle, avec le "comment on les fait, ah ben oui, c'est sourcé, c'est une enlu du XIe, donc, ça va sur un costume XIe"), "oh ben, on n'a pas l'objet au XIVe, donc j'ai pris XVIe" (on va y revenir, à ces situations). Jean repasse avec des encore meilleures. Bref, même avec un objet documenté, on arrive à des reconstitutions peu probantes, ou, en recherche, à se poser d'autres questions (ou à oublier de se les poser, parce que... On s'en pose déjà tellement...).

Et alors, quand on a un objet documenté dans les textes, il se passe quoi ?

On se souvient peut-être du problème des décolletés, que Wirth avait mentionnés dans Le Corps et sa Parure, et que j'avais abordé ici : les décolletés au XIIIe
On a des traces écrites. Très peu de traces iconographiques. Depuis que Wirth a mis le doigt dessus, on en a trouvées d'autres. Pas beaucoup, on monte à 5 ou 6 oeuvres avant 1320, en gros. Mais cela indique bien que le costume XIIIe pouvait être un peu plus osé que ce qu'on pense. L'analyse des textes et des images laissant quand même ressortir qui se permettait ces fantaisies. Peu de sources, mais on parvient quand même à cerner la question. L'erreur de base aurait été de se baser sur ce que nous considérons maintenant comme des décolletés. Or, il faut, comme toujours, contextualiser.

Et on peut alors en déduire que ce qui est d'une banalité affligeante pour nous pouvait être choquant quand la norme c'est un vêtement qui monte jusqu'à la naissance du cou. Forcément, 10cm plus bas, c'est déjà osé !
Autrement dit :

Et on a aussi ces cas où, malgré les sources écrites, on ne trouve rien de précis en pièces archéo et iconographiques sur une période donnée.
Allez, on va voir un petit exemple sympa d'objet qui pose bien des questions, des problèmes... Un vrai casse tête...

J'ai nommé...
La pomme d'ambre.
A cause d'une BD qui est très responsable de mon humour pourri, et d'une série de bouquins de fantasy qui a bien marqué mon adolescence, le nom même ne pouvait que m'attirer. En plus, j'aime bien les parfums... Et l'ambre gris en particulier.
Les parfums au Moyen Âge, ce n'est pas un sujet facile. Les gens se lavaient, on le sait. Mais pour les parfums, il semble qu'on doive attendre un peu. C'est bien plus un truc d'Orientaux. Du coup, l'une des premières mentions de l'objet en rapport avec l'Occident est un cadeau de Baudouin IV, roi de Jérusalem, à Frédéric Barberousse, en 1174. On est dans du présent de luxe, fait à un personnage un tantinet important. Et ce serait du musc. Pour quel usage ? Privé ? Chapelle ? (Ca commence, les interrogations.)
Pour la suite, il faut patienter. Si l'on se réfère au catalogue Le Bain et le Miroir, qui est l'une des principales sources d'info sur les pommes de senteur, d'ambre, pomander, etc. on en recause en 1240. C'est l'évêque d'Acre (on est toujours en Orient) qui mentionne des pommes d'ambre importées d'Egypte (qui est en... Orient ! Oui !!! Vous avez gagné !).

Mention occidentale, enfin, en 1294. Achetée à un certain Roger d'Acre (vous situez) par la reine d'Angleterre. Une autre pauvresse. Ca nous fait un trou de 120 ans entre les 2 références aux pommes avec parfum en Europe occidentale. (En revanche, de la pomme comme ornement d'autel, etc. on en a depuis les Carolingiens). (Mais, ils en faisaient quoi ???)
On trouve d'autres mentions de ces pommes d'ambre, de senteurs, etc. Victor Gay, dans son glossaire, en cite quelques unes. 1295, chez le pape, avec, or, perles, et quelques cailloux d'espèces non précisées, 1319, dans l'inventaire de Louis X, pomme d'ambre garnie d'argent avec un cordon de soie rouge...(Ah ! Là, ça se porte. Merci. Mais... Où ? Comment ?)
Fin XIIIe, Marco Polo souligne que les habitants de Madagascar ont de l'ambre en abondance. "Ils ont beaucoup d'ambre, car il y a quantité de baleines dans la mer, qu'ils capturent, ainsi que de grands cachalots qui, comme les baleines, produisent de l'ambre." On peut supputer que si notre voyageur vénitien favori prend la peine de souligner ce fait, c'est qu'il valait la peine d'être souligné (oui, je me répète... Posez-vous, réfléchissez un peu, et devinez où je veux en venir...).
Pendant que vous réfléchissez, calculez la distance entre Mogadiscio et Madagascar.

Pour l'anecdote, Marco parlerait de Mogadiscio, mais y a eu confusion par la suite. Non, la main de Marco n'a jamais mis le pied à Madagascar. Du coup, ce serait à Mogadiscio qu'il y a plein d'ambre. Après, comme Marco n'a pas visité Mogadiscio non plus, ça reste du ragot !
Nan, pas d'escale à Mogadiscio, et encore moins à Madagascar.

Des pommes, des poires, et des scoubidous bidou ou !
L'objet devient plus courant par la suite. On va en avoir des sources de choses qui sentent. Parfois nommées pommes, poires, oiselets, poissons, cages (attention, on met les oiselets dans des poissons, des cages, des boites. Le contenant du parfum a lui même un contenant, luxueux, la plupart du temps). Les infos affluent vers la fin du XIVe et début XVe. Enfin ! Pour certains, il n'y a plus d'équivoque. Il semble aussi que des objets puissent être destinés à une pièce, et non être portés. Certains se suspendent dans des chambres.  Les parfums paraissent parfois être solides. Certains sont destinés à des fumigations (on a brûlé de l'ambre et du musc lors des funérailles de Jean Ier). On a aussi de l'eau de rose dans une poire (1380, Charles V). On a de l'or, des rubis, de l'émail, de l'argent.  De quoi faire sacrément mentir le proverbe "l'argent n'a pas d'odeur". Et ça ne va pas s'arrêter.
Différents réceptacles à parfums, dates indéterminées, dont, au premier plan, un pomander à compartiment (XVIe ? XVIIe). Le Palazzo Mocenigo de Venise pourrait mieux documenter ses collections.

Bref, on a tout une gamme d'objets parfumés, destinés à la haute élite, qui envahissent les inventaires à partir de la Peste Noire. Soit après 1348... Un moment important dans l'histoire médiévale (une épidémie qui dégomme 1/3 de la population, ça peut marquer) qui eut des conséquences sociales, économiques, psychologiques majeures. On va dépenser quand on en a les moyens. Le luxe va s'afficher et, aussi, on va affirmer son hygiène. Les soins de beauté et d'hygiène étaient jusque là du domaine du privé. On met maintenant en avant ses produits, ses objets, qui sont des preuves de bonne hygiène, et donc de bonne santé. Il faut aussi voir si, par le plus grand des hasards, cette épidémie n'aurait pas eu un impact sur le rapport avec l'eau. Ceci dit, ils continuent à se laver... Mais surtout, les vertus thérapeutiques des parfums sont bien réelles dans l'esprit de l'époque. Sentir son pomander est un acte qui permet d'éviter d'être atteint par la pestilence. Le collège de la faculté de médecine de Paris donne une recette en 1348 composée de 29 substances. Quand on cause ambre, musc ou civette, on simplifie légèrement la question...

Du coup, c'est pain béni pour ceux qui veulent savoir à quoi ressemblent ces objets, surtout à partir de la fin du XVe (wait... Mais... C'est plus le Moyen Âge alors ???). Ils ont des descriptions plus précises. On va en trouver à la pelle en pièces archéos, et on a même des images qui peuvent nous apprendre comment certains pouvaient se porter. Le catalogue Le Bain et le Miroir en propose pas mal de beaux exemples, pp. 326-327, datant d'entre la toute fin du Moyen Âge et le XVIIe siècle.
Le Titien (à sa mémère), portrait de Clarissa Strozzi, 1542, Berlin, Gemäldegalerie. A cette date, on en a des pommiers entiers. Des vergers ! Mais, c'est plus le Moyen Âge.
Oh purée (de pomme de terre), ça se complique !
Ce qui est marrant dans certaines sources écrites médiévales, c'est que... Les contenants de parfums ne sont pas portés seuls. Charles V a une pomme d'ambre avec 4 bandes d'or, 8 petites perles, 2 grosses, le tout pendant à un cordon de soie bleue, qui comporte un gros bouton de perle. Après, où il accrochait ça ? Ceinture ? Cou ? Va savoir, Charles (ah ben si, lui, il sait). Dans l'inventaire de 1379 de Charles, on a aussi des images d'ambre représentant des saints. Bon, au XVIe, il y a effectivement des pendants en ambre, représentant des personnages.
Pendant en ambre gris du XVIe siècle, New York, Metropolitan museum

Il semblerait que ce soit plus ancien, comme pratique (quoique, on va voir que les termes posent problèmes). On va trouver de l'argent doré avec une perle au bout, de l'argent avec de l'émail... On a aussi de l'ouvrage de Damas (ajouré), de l'ouvrage de Venise. Au final, les descriptions sont tellement riches et variées (selon la formule) qu'on peut se demander si l'ambre dont il est question est toujours l'ambre parfum... Parce que parfois, ça ressemble à des gros trucs. Quoique, quand on voit certaines sculptures, perles de rosaires, qui sont limite taille cerneaux de noix... Mais elles sont plus tardives. Il se pourrait qu'on ait eu des compositions sculptées dans de l'ambre, mêlant d'autres matières.
Conseil pour les profs qui s'ennuient (et ceux qui essaient de comprendre les pommes d'ambre)

Vous voyez, c'est pas simple, et les descriptions ne nous aident pas des masses sur certains points. Et puis, quand ce



  d'inventaire cause d'ambre jaune, il serait pas en train de nous causer de la résine made in Baltique ? (On a de l'ambre sans précision, du jaune, du noir -jais ? ou ancien nom de l'ambre gris ?- du blanc... C'est un peu le mic mac)
Du coup, pour éviter de trop se prendre la tête, on ne va tenir compte que des pommes...

Perle de Rosaire, avec la Passion du Christ, début XVI, Pays-Bas, New York, Metropolitan Museum, don Pierpont Morgan.
Et dans les années qui suivent, c'est pareil. Pommes, ambre de différentes couleurs, sculpture du Calvaire avec 157820 personnages sur un grain de riz... (oui, je blague... à peine...). Faudrait vraiment enquêter sur ce que le mot "ambre" pouvait signifier, tant c'est varié, et de tailles et usages divers. Louche, tout ça. On va en rester aux pommes.

Ludwig Schongauer, Adoration des mages, détail, vers 1480, Hessisches Landesmuseum, Darmstadt. Ca pourrait aussi être une pomme d'or, ça... Ou une grenade. On a des grenades qui contiennent du sent-bon (un peu plus tard, il est vrai)
Des pépins ?
Jamais fini de bosser...
Petit ajout au texte original, fait le 13 avril.
Une charmante lectrice a eu l'amabilité, sur son propre blog, de faire paraître ce lundi de Pâques, un article sur... les pommes d'ambre. Quelle coïncidence, le même intérêt à même pas deux semaines d'intervalle ! On sent (c'est le cas de le dire) le sujet qui passionne. Tant mieux pour les lecteurs qui aiment les énumérations de sources. Elle a trouvé une mention fort intéressante dans un inventaire de l235... Inventaire de l'abbaye de Longchamps. Comme elle a mis une capture d'écran de mon blog sur sa page, je suppose que je peux me permettre d'en mettre une du sien, selon le même principe de la plus élémentaire politesse.
La date paraît importante. Mais l'abbaye n'existait pas alors...
Je pense que toutes les personnes ayant l'habitude du XIIIe siècle français auront rectifié la coquille... l'abbaye de Longchamps ayant été fondée par Saint Louis en 1255-56, pour sa soeur Isabelle de France, qui y mourut en 1270. La "madame" en question dans le texte est Isabelle. Quand on sait quels sont les autres objets de l'inventaire (bois de la Croix, épine de la Couronne, par exemple), on se rend compte qu'il s'agit, comme les babioles ici citées, de reliques extrêmement précieuses. La pomme d'ambre se retrouve ainsi dans un contexte religieux, et il paraît étonnant que la pieuse (euphémisme) Isabelle se soit baladée parmi les clarisses avec une pomme à la ceinture. Ayant moi-même eu la possibilité d'entrer dans le protomonastère d'Assise, de telles fantaisies ne s'y voient pas. Et les rosaires sont d'une grande sobriété.  Après, je n'y suis pas allée en 1270. Le Tardis était en révision... Ballot.
Mais non ! J'en avais besoin pour vérifier des trucs au XIIIe !!!
D'après moi, en essayant de ne pas avoir de raisonnement biaisé, ce texte plaide plus en faveur d'une pomme destinée à l'autel. Encensoir, peut-être... Bref, la date (avant 1270) est intéressante, mais remet-elle en cause l'arrivée des pommes d'ambre parfums, pommes de senteur, à usage laïc ? Je me permets d'en douter, vu notre sacro-saint contexte. Les faits vont dans ce sens. On parle d'une princesse, certes, mais qui a préféré aller vivre dans une abbaye pour se consacrer à la prière. La frivolité du parfum personnel, objet peu apprécié des religieux, paraît en contradiction avec la personnalité de la bienheureuse. Le parfum monte au ciel pour plaire à Dieu, en particulier lors de la prière. Après... Quand on a un inventaire de reliques, dans une abbaye, on a quand même quelques chances qu'il y ait un rapport avec la religion. Des reliques laïques existent, mais, provenant de quelqu'un qui a vécu une partie de sa vie dans un lieu saint... Y aurait un petit bug.
Cette même personne a aussi trouvé trace dans le docte recueil des Historiens des Gaules et de la France, tome XXII, que l'on doit à Messieurs de Wailly et Delisles, d'une pomme d'ambre achetée par le même Saint Louis, cette fois en 1239, pour la somme de 30 livres. Mention se trouvant dans la préface, écrite à la fois en français et en latin. Les auteurs citent cet objet comme preuve d'un certain goût du luxe de notre Loulou en cette année. Car il y a tout une liste d'articles assez luxueux (soieries, etc.) Mais, ce qui est intéressant, c'est que si on regarde ailleurs dans le bouquin (si on peut en disposer)
on remarque que la pomme d'ambre est citée bien avant le reste (une bonne vingtaine de pages, une broutille), mais, surtout, elle a été achetée à des moniales (des environs de Laon, si cela vous intéresse). Ca circule pas mal dans les couvents, ces pommes... La transaction a été réalisée en présence d'un témoin : Guillelmo de Braia. Qui pourrait bien être Guillaume de Bray, ecclésiastique mort en 1282. Il était tout jeunôt quand il a reçu la pomme. Du coup... Qu'est ce qu'on a ? Une préface qui mentionne juste une pomme d'ambre luxueuse achetée en 1239 par Saint Louis, et un texte qui précise les choses en nous indiquant que cela vient de moniales (contexte comparable à Longchamps, même si Isabelle n'a jamais pris le voile officiellement). Un objet certainement lié au culte. Qui passe à Louis IX, un roi dont la piété est quand même sa marque de fabrique. Personnellement, j'imagine difficilement le roi destiné à être canonisé faire le mariole avec un objet lié au culte. Il tient à aller au Paradis. Si l'objet a été acheté à un couvent, c'est, plus vraisemblablement, en contextualisant, pour un usage genre chapelle royale. De nouveau, pas pour accrocher à la ceinture.
Voilà où on en est... La présence orientale est avérée depuis un bon moment, c'est même pas la peine de faire une tartine sur les dates à ce sujet. En occident, on se retrouve toujours dans des contextes religieux et avec du roi ou de la reine qui s'en mêle... 
En ce qui concerne l'usage laïc sûr... On n'a rien avant la Peste Noire.

 
Inventaire primeur
Des pommes, on en trouve dans des inventaires première moitié XIVe, Clémence de Hongrie (veuve de Louis X), ou dans les comptes de Mahaut d'Artois, qui a acheté des pommes d'or (alors, on ne précise pas si c'était avec ambre dedans ou pas) qui ont appartenu à Marie, veuve de Philippe le Hardi. Clémence et Marie étaient reines de France. Et Mahaut n'était pas vraiment de la haute noblesse, elle était en haut de la haute noblesse, juste en dessous des reines de France (dont certaines étaient éventuellement de sa très proche famille, très très proche). Et puis sinon, on a aussi Jeanne de Boulogne qui avait une pomme d'ambre. Or, saphirs, accrochée à une chaîne dorée.
Couronnement de Jean le Bon et Jeanne de Boulogne, XVe siècle, BNF

Un autre truc me chiffonne. L'inventaire de Louis, duc d'Anjou, fils de Jean le Bon (le second mari de Jeanne de Boulogne), qui avait été envoyé par papa prendre sa place comme otage en Angleterre, s'évade, du coup, papa retourne là bas et y meurt. Quant à Louis, il va faire un tour en Italie du Sud, et finit sa carrière à Bisceglie (que c'est très joli, La preuve par l'image). L'inventaire de Louis, c'est plein d'or, d'argent, des anneaux avec des diamants, de la vaisselle classe, des casseroles classes... Il daterait de 1360.
Investiture d'un chevalier par Louis d'Anjou, roi de Naples, copie XIX du manuscrit BNF Fr 4274 8v
 Y a pas d'pomme. Il est fils du roi de France, frère de futur roi de France, il a bien utilisé son argent de poche pour frimer un max (en temps de guerre, dépensier, le Loulou)... Mais... Pas d'pomme. (pourtant, il a des assiettes à fruit en or, mais, non, pas d'pomme).
On a des pommes chez les papes, les rois, les évêques exotiques, les reines, et Mahaut d'Artois à qui il ne manquait que le titre de reine de France pour gagner au bingo (elle en a enfanté, mais, ça a pas toujours été tip-top). Si on fait abstraction de Barberousse et de son cadeau diplomatique, on a de la pomme d'ambre en Europe occidentale depuis les années 1290, et uniquement chez de la tête couronnée.
Précision quand même. On a trouvé un flacon à parfum datant de la douce époque de la Peste Noire à Erfurt (que c'est très joli aussi, mais y a pas la mer).
Y a pas la mer, mais y a du vent.

Objet provenant d'un trésor juif. Du coup... est-ce qu'on peut généraliser cet objet en Europe occidentale ? Est-ce qu'il avait une fonction particulière dans la communauté hébraïque d'Erfurt ? Va savoir, Charles (sur ce coup là, il sait pas trop, il est pas d'Erfurt)
Le trésor d'Erfurt, soigneusement enterré par des personnes qui n'ont jamais eu l'occasion de le déterrer.... Le flacon est au tout premier plan, au centre. Le parfum était sur tissu. Photo: © TLDA
J'avais quitté le catalogue Le Bain et le Miroir pour partir dans des sources diverses (ce brave Victor, mais pas que), mais, bon, le catalogue nous cause du duc de Berry (rêvez pas, c'est le frère de Charles, donc, on reste dans les hautes sphères), et aussi d'Isabeau de Bavière (la belle-fille de Charles, femme de Charles, mère de Charles. Il suffit de changer les numéros), avec patenôtres à perles d'or contenant du musc. Ceci dit, quitter le catalogue et aller fouiner ailleurs a amené un paquet d'informations qui permettent de mieux cerner les problèmes. C'est pour cela que la source unique, aussi sérieuse soit-elle, ne suffit pas à se forger une idée précise d'un sujet. Et c'est bien aussi de lire les notes de bas de page (ou de la page d'à côté) qui précisent certains éléments.

Ces objets sont en fait hyper compliqués à saisir. On va récapituler.


Pommier du Japon (zen, quoi...)
Déjà, les multiples matières qui, de nos jours encore, s'appellent ambre. Ce qui semble se retrouver dans les couleurs citées dans les inventaires.

Les usages variés des pommes. Un bon nombre d'entre elles étaient des reliquaires. Et la plus ancienne pomme connue, du XIVe, en serait un. On avait précédemment de petites bourses à reliques pour les menus restes de saints. On les place à présent dans des objets plus compliqués, plus raffinés, plus solides, qu'on porte dans un but prophylactique. L'épidémie de peste ayant fait beaucoup pour la montée en puissance des superstitions diverses. (On avait des bijoux-reliquaires précédemment, mais là, ça explose, on dirait). Mahaut récupère des pommes d'or, pas des pommes d'ambre. La nuance est importante (ou pas. On sait pas, et si on n'a pas de moyen de savoir, on va pas se prendre le chou).
Pomme-reliquaire, XIVe, musée du Louvre, Arts décoratifs. Argent, nielle...

Les parfums, et leurs usages... Les pommes de senteurs, ambre, musc ou encore civette, pouvaient servir aussi à la fumigation, au culte. Ces pommes possédées par les souverains n'étaient peut-être pas toutes de petites tailles et des bijoux. On note dans les inventaires qu'il y a des précisions : cordons de soie, chaînettes, patenôtres. Ou rien. Qu'en déduire ?

La façon dont cela se portait. Etait-ce toujours exposé ? Les objets prophylactiques, au XIIIe, semblent avoir été portés contre la peau. Du coup, un bijou accroché à la ceinture n'a pas vraiment de sens. Autour du cou, cela va déjà mieux. Et puis, usage perso, décoration de pièce, de chapelle ?

Les différentes périodes. Le "contre la peau" est remplacé par une exposition plus flagrante. Cela semble évident au XVe siècle.

Une démocratisation progressive. Il ne paraît pas y avoir de trace de pomme d'ambre "simple" avant le XVe. Tous les objets décrits sont d'un grand luxe, et de composants précieux, combinant souvent des matières. Les objets plus tardifs montrent une production plus importante, et des modèles moins onéreux. Les têtes couronnées continuent dans le méga précieux, on s'en doute, surtout au XVIe.

 Les styles. On n'a pas de contenant à parfum avant la Peste Noire, et c'est un objet issu d'une communauté spécifique. On n'a pas de pièce archéologique "chrétienne" qui ne risque pas d'être un reliquaire, avant le XVe siècle. Or, les objets, les formes, les matières de prédilection, les vocabulaires décoratifs ont eu le temps de changer en près de deux siècles.

Montre bracelet Cartier, collection Tutti Frutti, 1929. Marie Antoinette aimait les cailloux qui brillent. Les montres existaient au XVIIIe siècle. Cela ne veut pas dire que cet objet a pu être porté par Marie Antoinette. C'est logique pour tout le monde, il semble. Donc, pourquoi un tel écart temporel pourrait-il être possible avec des objets médiévaux ? Hum ? Je vous pose la question... (les montres bracelets n'existaient pas au XVIIIe, je précise) (photo provenant du site Cartier.fr)

Se baser sur une pomme mi XVe pour figurer une pomme fin XIIIe revient à affubler Marie-Antoinette d'une montre Cartier du plus pur style art déco (oui, la distance temporelle est la même...). Ca va pas. Ca marche pas.


Conclusion
On est dans le sable jusqu'à la fin du XIVe.
On a un objet dont on sait qu'il a existé, mais dont on n'a pas la moindre trace en dehors de la plus haute noblesse (bref, les rois, reines, papes, et femme la plus puissante de France qui achète un truc en occase).
On ne sait pas à quoi il ressemblait. Taille ? Motifs ?
On ne sait pas comment il se portait. Montré ? Pas montré ? A la ceinture ? Autour du cou ? Sur le vêtement ? Contre la peau ? (personnellement, je penche plutôt pour cette solution jusqu'à la Peste Noire).
C'est joli, mais c'est pas la bonne date. Donc, on garde ça pour la Renaissance. Merci.

Le schmilblick, c'est un oeuf, mais la pomme d'ambre... ben... On n'est pas très avancé.
Du coup, pour causer pratique. Si vous faites du XVe (peut-être même du fin XIVe, allez...), vous pouvez sortir les pommes.
Mangez des pommes !
Avant 1360 ? Même si vous êtes reine de France... Ca le fait pas. Là, vous pouvez en avoir une, mais... on ne sait pas à quoi ça ressemble !
La pomme d'ambre, ou pomme de senteurs, un bel exemple d'objet à éviter pendant la quasi totalité du Moyen Âge.
C'est pas comme si ça faisait plus de 4 ans que je le répétais... 

Il fallait que je la mette. Il le fallait !

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