vendredi 10 avril 2020

RECONSTITUTION

LE BLING, CET ENNEMI
Faute histo, faute contre l'Histoire ?

C'est bling, c'est beau, c'est pahisto !

Ca pourrait s'appeler "journal d'une repentie". Vraiment. Mais "journal de quelqu'un qui a commencé à faire ses recherches sérieusement" résume mieux la situation.

Quand on commence la reconstitution (ou plutôt, quand on commence à avoir envie d'avoir un costume médiéval qui tienne la route, la nuance est très importante), on a souvent tendance à vouloir un costume qui claque.
Il y a une dizaine d'années, c'était la guerre de la broderie. Et on les remarquait, les costumes brodés ! Pour tout vous dire, c'est le genre d'article difficile à écrire. Les exemples d'abus du bling en "reconstitution" sont tellement nombreux que la tentation d'en faire un catalogue raisonné est grande...

Le musée des erreurs
Du coup, je vais vous la faire brève, et je vous épargne l'historique et la liste (non exhaustive) des excuses, biais, etc. foireux qu'on a pu avoir pendant des années.
"On" comprenant que l'historicité va lui tomber sur la tête !
Alors, on (je fais souvent partie du "on") n'a pas assuré sur :

Les broderies
Les trucs accrochés à la ceinture
Les aumônières
Les soieries
Les perles
Les galons
Les bandes décoratives
Les tissages diamant
Les bijoux
Les filets à cheveux
Les guimpes
Les ceintures
Les dagues à couillettes
Les tourets
Les robes trop courtes pour laisser voir la couche de dessous
Les gants
Les chaussures
Les Et Caetera.

Des objets qui ont existé, ou pas. Sous une forme ou une autre ou aucune. A une époque ou une autre ou jamais. Utilisés par telles ou telles personnes ou personne. Utilisés de telle ou telle manière ou pas. Utilisés couramment, ou rarement, ou jamais. Utilisés à tel endroit, et pas à un autre, ou nulle part. Et vous pouvez multiplier les combinaisons de contextualisation. Et, on n'oublie surtout pas de mettre une couche de romantisme XIXe et d'Hollywood et ORTF là dessus. Et on est histo, soi-disant.
Ou vraiment pas, en fait.

Je ne tiens pas compte des vêtements trop courts ou qui manquent d'ampleur, ou qui sont en lin de couleur, ou autres choses qui ne sont pas en rapport avec le bling.

Keep the Faith ?
En "reconstit"... Chez certains c'est souvent "je veux, je prends, j'ai".
Tueuse, reconstitueuse, même combat ?


Et maintenant, mettez des coeurs sur les réseaux sociaux. Et surtout, pas de critique, c'est méchant.
Faut marquer les esprits.
Faut faire le truc que personne n'a (y a peut-être une raison. Peut-être que ceux d'avant ont été prudents sur ce coup là).
Faut faire plus impressionnant que le voisin.
Faut soigner sa com...
On a envie de se montrer, et, de se vendre.
Le bling, c'est l'arme idéale. Facile, efficace (parfois chère, du coup, faut rentabiliser. Amis du déni, bonjour)

Hélas, le bling survit rarement à une analyse raisonnée des sources. A cette satanée contextualisation.

A consommer avec modération, quand il faut, comme il faut !
Dans l'absolu, il est normal d'avoir envie de se lâcher, niveau apparence. De mettre de la couleur, du clinquant. Surtout en période de crise, d'ailleurs. Si on affiche cela comme de l'évocation, pourquoi pas. Si on prétend à l'historicité, ben... Là, ça ne passe plus. C'est toujours la même histoire. Or, pour une personne qui accepte la remise en cause de ses choix, qui accepte de s'être trompée, vous en aurez combien qui vont s'accrocher comme des désespérés à une source biaisée, une excuse bidon, une mauvaise interprétation ? Les fameux "Ils étaient pas cons". Ben... personnellement, je trouve que dans la mode y a pas mal de trucs sur lesquels la question du bon sens de ceux/celles qui acceptent de porter ça peut se poser... Le "ah mais, je l'ai payé cher". C'est dommage, mais, si c'est pas histo, c'est pas histo. "C'est fait main, c'est teinté naturel". Mais si le patron et/ou le tissage sont faux, c'est moins histo qu'un costume en tissus totalement industriels, mais visuellement correct. Les "c'est pas parce qu'on n'en a pas trouvé que ça n'a pas existé". L'absence de preuve n'est en effet pas la preuve de l'absence, mais, en attendant d'avoir des éléments tangibles, la prudence, c'est un concept sympa, qui permet en plus de faire un max d'économies. Parce qu'on fait quoi, quand on se rend compte qu'on s'est complètement planté ?
Il y a des spécialistes de "je mets la poussière sous le tapis". "On a vu, mais j't'embrouille quand même". Chez certains, la proportion d'erreurs est tellement impressionnante qu'on peut se demander comment ces personnes arrivent encore à être prises au sérieux (si, si, j'vous jure. Le culot, ça marche plus que la démarche rigoureuse).

Welcome to Latvia
Un petit tour dans le Nord, en passant par Leeds (qui est aussi au nord, d'ailleurs)
Le phénomène n'est pas limité à la France ou aux pays francophones. Il est parfois totalement assumé. Certaines personnes qui sont même hyper sérieuses niveau histoire du costume vont se marrer en costume pas corrects en parfaite connaissance de cause. D'autres préfèrent fuir les gens qui disent faire de la reconstitution médiévale en allant voir comment ça se passe dans d'autres époques. Et il y a les options cosplay, fantasy, steampunk, pour s'éclater (Il y a des chercheurs en costume médiéval qui sont dans ces domaines là, et qu'on ne voit plus sur les événements médiévaux. Pourquoi ?).

Lors du congrès de Leeds 2019, Santa Jansome, de l'université de Lettonie, nous avait fait un état des lieux du costume balte de l'âge du fer tardif, dans le domaine de la reconstitution, expérimentations, etc. (titre exact de son intervention : Late Iron Age Baltic costume replica- assumptions, experiments and practice). Son intervention avait l'avantage de présenter ce que la reconstitution pouvait amener à la connaissance du costume. Parfois, les hypothèses des chercheurs datent (beaucoup) et sont considérées comme correctes, jusqu'à ce que des expérimentations montrent qu'il y a un bug.
Santa en costume latgalien (est de la Lettonie) du XIe siècle, d'après la tombe de Drabesu Liepinas 76, bling histo, sourcé, raisonné. Photo prise à la forteresse du lac Araisi. Lin, laine et bronze... Ce châle !!! (Description du costume, en anglais, en fin de cet article).
Parce que, mine de rien, la reconstitution historique, quand c'est bien fait, ça fait vraiment avancer la connaissance des costumes médiévaux. Et la compréhension des oeuvres d'art, aussi. Et des textes.
Et c'est pour ça que les personnes en mal d'admiration qui usent du bling pour se faire mousser, qui trouvent que respecter ce qui se faisait à l'époque, c'est pas assez sexy... comment dire ? Je dirai rien, parce que je n'ai rien de poli en tête.

Revenons à Santa et ses amis, qui font un boulot vraiment sérieux. Attention, on part de reconstitution à partir de pièces archéos. Y a pas des masses d'images.

Vous reprendrez bien un peu de stats ?
Reconstitutions et modifications des costumes baltes en reconstitution (800-1199), établi par Santa Jansome, reproduit avec son aimable autorisation.


Santa avait présenté un petit graphique sur la manière dont le costume de reconstitution évoluait, en partant de ce que l'on sait d'après les fouilles et de ce que les chercheurs précédents en avaient fait. 

Je remercie Santa pour m'avoir autorisée à utiliser son graphique, et pour ses éclaircissements. 

Et maintenant, on analyse le graphique (non, mais, c'est fastoche, j'ai le texte de l'intervention ;) )
Yeah !!!

Alors, il y a 2 couleurs : le vert d'eau, c'est ce qui est fait au départ, et le bleu, c'est comment ça a évolué, ou pas.
Déjà, 90 % des gens commencent par respecter le travail de recherche précédent (Ok. Donc, là, on n'est pas dans une situation comparable à la France, où on est trèèèèèèèèèèès loin des 90% chez les gens qui se disent histo... Enfin, quoique... les gens qui se basent sur Viollet-Le-Duc, ils sont dans quelle case ? Oh purée, c'est déjà compliqué !).
Il y a 10% des gens qui changent des trucs immédiatement.
Une faible proportion, c'est pour améliorer (et ça, c'est pas con).
A peu près autant ajoutent du bling (et ça, c'est pas pas con).
Et une majorité des 10% commencent par copier ce qui est fait ailleurs (et ça aussi, c'est pas pas con, et parfois, c'est pas con. Ca dépend de qui on s'inspire).

Après avoir fait le costume, on vit avec, on s'en occupe, etc. Et là... Pouf ! La version d'après les recherches se casse la figure en beauté. Ils ne sont plus qu'un tout petit peu plus de 20% à avoir respecté les consignes et à n'avoir rien changé.
Costume Livonien du XIe siècle, porté par Santa et réalisé par Anita Rasmane (avec autorisation) Y a pas overdose de bling, et c'est conforme aux travaux des chercheurs.
 
Là où ça a beaucoup monté, en revanche, c'est chez ceux qui ont amélioré les costumes. Y a de quoi. Les pantalons, par exemple, avaient été patronnés par des archéologues du XIXe, qui partaient de suppositions, parce qu'aucun pantalon intact n'a été retrouvé par là haut, et de leur propre pantalon... Les reconstitueurs vivant avec ont fini par en avoir marre de recoudre l'entrejambe. Et ils ont vu aussi que les gens travaillaient plus assis sur le sol que sur un tabouret ou une chaise... Assis en tailleur, l'expression est restée. Ca demande une coupe différente de la coupe XIXe ou XXe. Et ça vaut sur tous les patrons méd, quand on y réfléchit un peu. Les braies couche-culotte, elles s'expliquent. Le patron une fois modifié au niveau des fessiers baltes, ben, c'est devenu bien plus solide, dis donc ! On a aussi cousu les pans des robes type peplos. Tout simplement parce que ça faisait un effet tornade pas pratique et que les filles se les gelaient (on est très au nord). Le fait d'avoir cousu les vêtements à partir des aisselles (en respectant les largeurs de tissu qu'on avait avec des métiers verticaux) ne gênait en rien l'utilisation de broches. Le tombé sur le haut du corps était même similaire à celui d'une robe totalement ouverte sur les côtés. Juste que... C'est bien de pas se prendre les jambes dans un vêtement et de pas grelotter.
Pour arriver à cela, il faut se remettre dans le contexte de l'époque, et tester.

Là, ce sont de beaux exemples d'améliorations qui permettent de faire avancer les connaissances, et tant pis si les pantalons avec plein de place pour les fesses c'est pas sexy. Ca correspond au mode de vie du temps, et c'est plus résistant.
D'autres qui ont aussi changé l'ont fait en voyant ce que faisaient les copains. C'est à la fois bien et pas bien. Tout dépend du copain qu'on copie. Si le copain a changé son pantalon moule-cucul pour un pantalon avec plein de place, c'est une bonne idée. Si le copain est un blingueur, on est mal...


SOS Bling !
Restent les blingueurs. Les pires.
Les costumes féminins baltes sont quand même, à la base, pas mal bling. Y a de jolis bijoux. Des tubes d'or ou de bronze par ci par là... Ca en jette pas mal, en fait.
Pas assez pour certains et certaines.
Et donc, les costumes sont massacrés par des ajouts de choses dont on se serait bien passé. Genre... Ben les broches baltes sont pas assez classes ? SOS Bling pour vous (des)servir !
Oui, mais non.
On va prendre des broches tortues de chez les voisins scandinaves (alors qu'il y a des broches tortues baltes). Après tout, le commerce, hein... Et puis, c'est la même époque, alors, ça va. Et puis, c'est tellement près. Papy y a été en vacances et a ramené ça. Le défilé des excuses pourries habituelles. Qui se fichent totalement des réalités historiques, des mentalités, des trouvailles archéos.
C'est plus beau comme ça. Ca justifie les transformations.
La situation de la reconstitution balte est assez bonne par rapport à nous (comme souvent quand les images manquent. On est obligé de se baser sur les études archéologiques. Quand on a des images, on fait un cosplay, en oubliant que l'image médiévale est un langage à elle seule, et que si on ne sait pas le décrypter, on est mal...). Santa estime que 70% des costumes sont plus ou moins corrects. Dont 50% sont des costumes pauvres. Donc sans bling. Et le bling a souvent pour effet de gâcher les costumes. Le bling est très présent (entre 80 et 90%) dans les 30% de costumes qui ne sont pas corrects du tout. Problèmes de bijoux, essentiellement, d'objets beaucoup trop grands.

En fait, le bling reste la principale cause de ratage d'un costume...
Faith reconstituant Buffy. Voilà, c'est mieux comme ça.

"L'important, c'est que ce soit beau". Autre phrase typique de ceux qui veulent se faire remarquer, et qui ne sont pas fichus de s'effacer devant l'Histoire. Si quelqu'un tient ce genre de discours, fuyez. La personne est forcément de mauvais conseil.
Parce que, de un, en reconstitution, l'important c'est que ça ressemble visuellement à ce que c'était à l'époque dans la mesure des connaissances actuelles. De deux, parce que le Beau, c'est subjectif, ça dépend des périodes, des civilisations, de celui qui regarde, etc. Si vous entendez quelqu'un sortir un truc pareil, c'est que vous êtes en présence de quelqu'un qui n'a rien compris à l'Histoire, aux mentalités, à la reconstitution. Quelqu'un qui veut juste se mettre en valeur, et qui va donc abuser du bling, et sera prêt à plier toutes les sources pour se faire mousser.
"reconstitueur" essayant de faire se rejoindre le bling et l'historicité.
Alors, oui, on a fait plein de bêtises à nos débuts. On a voulu briller, se faire voir, faire de belles choses. Pour beaucoup, on en est revenu. Mais, hélas, si les broderies et les perles commencent à disparaître hors sujet (j'ai rien contre une broderie sur une aumônière, mais la broderie sur gambison... Euh... Oui, mais non), on a une arrivée massive de tissus qui ne vont pas. Les tissus liturgiques, les tissages diamants hors période... Un non respect des règles sociales (ce non respect était réel, on le sait grâce aux textes qui nous expliquent à quel point c'était hyper mal vu, seulement ce non respect en "reconstitution" est présenté comme si c'était une norme). Une surreprésentation de certains objets (la dague à couillette n'est pas la dague la plus courante au XIVe ! Pas du tout !)... Beaucoup de gaspillages, et d'idées fausses qui circulent allègrement. Il y a des époques plus propices au bling. Mais, même là, il faut faire cela de manière raisonnée. Ceci dit, ne pas oublier que superbia, vanitas, tout ça, c'est pas très bien vu pendant une grande partie du Moyen Âge occidental.

La reconstitution historique sert aux chercheurs. Vraiment. Mais l'abus de bling, non. Ca ne sert que celui ou celle qui le porte. Et ça montre surtout une incompréhension complète de ce qu'on fait.
Je suis passée par là, hein... J'ai même utilisé les excuses pourries de bonne foi. Et puis, je me suis posée...

Un grand merci à Santa pour les infos de son papier, ses photos et la possibilité de les publier ici, pour les discussions, et à Anita pour l'autorisation de montrer le costume qu'elle a fait.

Description du 1er costume de Santa : Latgallian women, like other Baltic woman wore linen shift. On their legs they wore leg wraps and leather footwear. Sometimes they wore nalbinded socks. Shift closed with a small fibula. The most widespread fibulas for Latgallians were horseshoe fibulas with torqued hoop and rolled-up ends. Skirt is one piece - usually woollen and held together with a belt. In most cases tablet woven belts were used. Sometimes women carried a knife, hanging from her belt. As there are no pockets, all the necessary things were carried hanging from her belt - tablets for weaving, scissors, keys, small bag for other necessary things etc. A rich latgallian woman was wearing a lot of ornaments. Very typical for Latgallians and also Selonians was neckring with flattened ends with or without pendants. In this case Latgallian woman wore also six other neckrings. Two of them were of the most common type- a neckring made from three or four bronze rods woven together with knot ends. Two were of other very common type- with toreutic bow and (ar skaldņotiem galiem) and one with hook and saddle ends. Costume is further enhanced by addition of beads made from cowry shells, number and length of those depending on the wealth of family. In this case there is also a necklace made from bronze spirals. Most often latgallian woman would wear spiral bracelet, always a pair of those, one on each hand. Finger rings are very popular, and the more, the better – sometimes there are more than one ring on each finger. Most likely women wore a kerchief – although there have been no archaeological evidence; their existence is supported by archaeologists and practical considerations – both as a protection from the sun and as a base for bronze headbands. In this case there are two headbands- both of the same time (head ornament of a twist) but considerably different in size. Woollen shawl could be the most impressive ornament of ancient Latgallians. Shawl was made from dark wool with bronze rings woven into the weave or inserted separately (as in this case), forming various ornaments. In some cases nearly entire surface of shawl is covered in bronze rings, thus giving it considerable weight. Shawl is fastened using a fibula, in this case there are two horseshoe fibulas with triangular hoop and rolled-up ends.

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