samedi 4 avril 2020

ACCESSOIRES

LA GUIMPE, TELLEMENT MEDIEVAL 
Vraiment ? Non, mais, vraiment ?

Un Lion en Hiver... Très bon film, très mauvais costumes... Mais virez moi ce truc sur le visage !!! (Peter O'Toole et Katharine Hepburn... Après, Peter a posé avec moi, si, si, j'ai la photo !)

Ca pourrait aussi s'appeler "fous pas ta cagoule !" Mais nous allons tenter de rester dans la clâââsse et la distîîîînqueussion qui nous caractérisent...

On va causer d'une grosse bêtise qu'on voit souvent sur les costumes dits "médiévaux". Et puis en plus, ben je l'ai faite à mes débuts.
Je veux parler de...
La guimpe !
Y a du doooooossiiiiiiiiiiiiiier !!! (tout est faux)
Un grand classique
Quand j'ai commencé la reconstitution, période Xe XIe, on m'avait conseillé de porter le machin qui entoure totalement la tête, ne laisse pas voir le cou, bref, la guimpe.
J'ai tâtonné, passant du morceau de tissu avec un trou à un long voile qui enveloppait ma binette, mais, surtout, fallait pas montrer le cou.
Ben oui, c'est comme ça sur les sources.
Ah bon ?
Broderie de Bayeux. On voit une partie du cou.
Ben non, justement. Les sources montrent clairement que le cou est visible. Certes, le visage est bien encadré de trois côtés, et cache pratiquement toute la chevelure... Mais le cou reste un peu visible. Il y a un effet écharpe qui couvre les épaules, mais libère le cou.
Ok, on passe à l'écharpe.
Donc, cet accessoire quasi obligatoire pour le XIe... Pas bon.
Ca commence bien.
Péricopes d'Henri III, Gisèle de Souabe, vers 1039, Brème, Universitätsbibliothek b. 21, folio 3r
Aliénor ! A l'aide !
Au XIIe, ça devient pire.
Alors là, c'est ZE accessoire de référence. Je me souviens avoir passé des heures à guider une personne pour faire un costume XIIe correct (à l'époque où on avait confiance dans la traduction samit=satin, donc, le costume, au final, d'après les dernières recherches, n'est plus valable. Ouin). Mais, des heures... Costume fini. Impec. Très peu de temps après... Hop ! La cagoule ajoutée. Plein de photos promos. Et un psychodrame quand je lui ai dit que ça n'allait pas. Un blanc chevalier (de pacotille) est venu à son secours avec une source inattaquable : le gisant d'Aliénor. Le problème, c'est que notre badass queen préférée, sur son gisant, porte une barbette. Une bande de tissu qui entoure la tête, en passant sous le menton. Mais, c'est pas un effet cagoule. Raté.
Copie en plâtre véritable du gisant d'Aliénor, Londres, Victoria and Albert Museum. Barbette, c'est une barbette !!!
Bref, un costume qui était correct au moment où il a été fait (parce que satin, maintenant, ça va plus...) a été fichu en l'air par le simple ajout d'un accessoire. On est passé du correct dans l'aspect au pur fantasme Hollywood, hérité de Vassavoir (je crois avoir vu ça sur des vitraux XIXe, en fait).

Les images disent quoi ?
Pour le XIe, on a vu. Voile-écharpe. Pour le XIIe... Ben... Que dalle... L'écharpe peut se voir parfois, mais, la règle générale, c'est le cou bien dégagé, et sans écharpe. On montre ses longues tresses, on porte un super voile, un cerclet, on exhibe le haut de son vêtement... L'effet cagoule, il est où ?
J'ai pas mis ma cagoule !
On peut même aller un chouïa plus loin...
Même les religieuses ne portent pas cela.
Si on prend les deux plus célèbres avant le XIVe, j'ai nommé Hildegarde de Bingen et Claire d'Assise, et qu'on regarde leurs représentations XIIe et XIIIe... Pas de cagoule. On peut trouver l'effet écharpe, comme sur le manuscrit d'Hildegarde elle même.
Hildegarde, habillée par elle même (copie de l'original du Scivias du XIIe siècle disparu quelque part entre 1939 et 1945... plutôt vers 1945. Copie réalisée à Eibingen entre 1927 et 1933)
Mais, pas le machin qui engonce la tête et ne laisse voir que le visage, tel qu'il est porté de nos jours par les soeurs, y compris les Clarisses, et diffusé allègrement par les merdias.
Film sur la vie d'Hildegarde... Vous les voyez les différences de costumes ? (Vision, film allemand de 2009, que l'on remercie pour sa diffusion des clichés sur le costume religieux.)
Merci pour tous les costumes de nonnes foirés !
Le costume des nonnes a évolué, et pas qu'un peu, pendant deux siècles, et ce malgré les différentes règles. Et les nonnes médiévales, surtout avant le XIVe siècle, au cinéma et en reconstit (rarissimes exceptions), c'est la cata...
Au XIIIe, version barbette... Liber Divinorum operum, Lucques 2de moitié 13e s. Avec cet exemple on est loin du "juste" milieu...
Ce qu'on va trouver sur les représentations du XIVe, et encore, pas vraiment au début, parce que là aussi, y a de la variété, ne se voit pas auparavant. Fichtre diantre ! Les images sont pourtant claires, c'est le cas de le dire (oui, parce que les images sont plutôt hildegardes, ça n'a aucun sens...)
Sainte Claire, par Simone Martini, début XIVe, Assise. Ah ben non, on a toujours le voile en écharpe. Vous le sentez le gros délire niveau représentation du costume religieux ?
Cette mode d'envelopper le cou apparaît dans la seconde moitié du XIIIe. En théorie, ce serait réservé aux veuves (ça pourrait débarquer même dans le second tiers du siècle pour les veuves). Ca va être adopté par les religieuses, mais avant les religieuses, par les jeunes fashion victims du temps. Et on va finir par leur dire d'arrêter ça, parce qu'on doit savoir qui est qui... et donc, cela restera un accessoire essentiellement pour veuves et religieuses.

Les textes disent quoi ? 
Si l'on en croit les comptes de Charles d'Anjou, roi de Naples, quand il passe commande à Paris pour sa jeune épouse, c'est de la bande de tissu (certainement d'une grande finesse) qui semble varier de largeur.
Charles d'Anjou, roi du shopping !
Alors, une botte de poireaux, de la litière pour chat, du café (souligné en rouge), et, pour Pépette,
 l pieces de guimples de xii s. la piece, don la moitié soit large de v tourz et l'autre soit estraite de iii tourz; (...) ; iiii pieces de guimples de iiii tourz pour la Reine; iiii pieces de guimples de iii tourz pour la Reine; (...) ; iiii pieces de guimples de Leon de iii tourz pour la Reine
(5 février 1277, Durrieu, Les Archives angevines de Rome: Etude sur les registres du roi Charles Ier (1265-1285). Bibliothèque des Ecoles Françaises d'Athènes et de Rome 46, Paris: Thorin, 1886, vol. 1, 65-66) 
Fragment du gisant de Jeanne de Toulouse (la belle-soeur de Charles), après 1271, Paris, Musée de Cluny. Voilàààààà. Ca, c'est de la guimpe !
Ce qui correspond à ce qu'on observe sur des oeuvres contemporaines (donc dernier tiers du XIIIe). Et, là... Le terme guimpe semble prendre son acceptation la plus connue. La description de la première pièce montre aussi une forme particulière... Est-ce à mettre en relation avec la façon de la porter ? C'est cette pièce là qui reste la plus parlante et pourrait concerner la guimpe sous son acceptation actuelle.

C'est pas vraiment de la HD
Allez, on sort la définition du vénérable cnrtl : "Ca 1140 guimple « pièce de toile fine, de lin ou de soie dont les femmes encadraient leur visage et qu'elles laissaient retomber sur le col et la poitrine » (G. Gaimar, Hist. des Anglais, éd. A. Bell, 3787)" Le hic avec cette définition, c'est qu'on n'a pas d'image de cette date qui correspond à ça. Même sur des nonnes, on l'a vu. Ce qui est gênant.
Si on se réfère à ce qui semble être la plus ancienne occurrence du terme, dans le poème de Gaimar, voici ce qu'en dit la traduction du XIXe (celle du cnrtl date de 1960). 

He knew AEIfthryth by her beauty,
And she welcomed the king.
She was veiled in a wimple.
The king drew it from her head.
Then he smiled and looked at her,

And then kissed his commère.
From this kiss sprang love.


Elle était voilée d'une guimpe.
Voilà voilà...
Ca ne parle pas d'effet cagoule, oeuf de pâques ou de truc équivalent.
Les occurrences du mot guimpe sont vagues pour les XIIe et XIIIe siècles (première moitié XIIIe). Le mot est carrément interchangeable avec touaille ou voile. Toute la terminologie de ce qui se met sur la tête se révèle hyper compliquée, et, en prime, est mouvante, selon les périodes.
Tout au plus, certains textes nous montrent une pratique qu'on ne voit pas dans les images : le visage voilé. Genre, voilette. Les allusions à cette pratique sont finalement nombreuses, entre autres dans le texte de Robert de Blois (Robert de Blois, son oeuvre didactique et narrative, étude linguistique et littéraire suivie d'une édition critique avec commentaire et glossaire de L'Enseignement des Princes et du Chastoiement des Dames, par John Howard Fox, Librairie Nizet, Paris, 1950.) datant du milieu du XIIIe siècle, où la description est clairement celle d'une voilette. 
Si nous n'avons pas d'image, semble-t-il, de femme ainsi "endoctrinées" ou "estoupées", on pourrait voir dans l'arrangement des voiles sur l'avant du visage, avec ces plis délicats encadrant la face, le résultat du découvrement du visage caché. 
Joli effet, le voile...
Or, la littérature nous mentionne le fait de se dévoiler (que ce mot prend du sens !), associé à guimpe (guimple, guymple, etc...), comme on peut le deviner chez Gaimar.

Ainsi, chez notre cher Jean Renart (ou attribué à).Textes autour de 1200 :

Galeran de Bretagne, au sujet de Frêne
6704 d'une guimpe blanche elle s'enveloppe le visage
6934 dissimule le nez et le visage
7257 enlever sa guimpe pour la voir à découvert 

Toujours dans Galeran, la guimpe est clairement associée à la tête
2010 elle va tête nue, sans guimpe sur ses cheveux blonds
4165 la tête baissée sous sa blanche guimpe
5228 ôtez la guimpe de votre tête
7694 Frêne, la tête découverte 

C'est ça, un escoufle. Ou un Milan...
Dans L'Escoufle, au sujet d'Aelis :
3300-01elle a sur la tête en guise de guimpe un petit diadème d'orfroi
8730-31 quand la guimpe fut rabattue, sa blonde tête fut resplendissante

(Je vous ai mis les textes traduits, mais j'ai travaillé avec les textes du vieux François)

Donc, en gros, ces textes ne laissent à aucun moment envisager la guimpe comme une cagoule ou un oeuf de pâques... Mais comme voilette, ça roule (il y a aussi de la guimpe dans Guillaume de Dôle... traduit carrément comme "voilette"). Je n'ai pas cité toutes les occurrences de "guimpe" et assimilées dans les romans de Renart (facile, je sais), mais, vous pouvez aller vérifier. Rien qui ressemble, de manière certaine, même en se faisant l'avocat du diable, à une cagoule ou un voile cachant le cou et le menton. Et c'est aussi ce qu'on peut dire du texte de Gaimar.

Cnrtl Vs Lexis
J'voudrais pas dire mais, le cnrtl, il nous fournit une définition récente de guimpe, et du coup, la généralisation est rapide... Trop rapide. Bon, c'est pas comme si ça leur était déjà arrivé... Comment ? Quoi ? Le chainse ?? Ah ben oui, ils ont déjà fait le coup. Bref, quand tu fais dans le costume médiéval, le cnrtl n'est pas forcément un bon pote...

Si on va fureter du côté de la base de données de l'uni de Manchester, ben... On se retrouve toujours le bec dans l'eau. La base est bien plus riche, et fournit un paquet d'exemples, donc, bien plus utile de manière générale.
On est à Manchester, y en aura bien un qui finira le bec dans l'eau !
Certes, la définition décrit une bande de tissu englobant le menton. Mais, as usual, pour les utilisations les plus anciennes, on est dans le flou. Rien n'indique qu'aux XIIe et XIIIe siècle (du moins dans sa première moitié) la guimpe entourait totalement le visage.
The Precious

Pour la période qui nous intéresse, on a une citation des Homélies de Trinity College (Cambridge, n'allez pas vous perdre à Dublin), autour de 1200 qui dit très exactement ceci :
For þe lewede man wurðeð his spuse mid cloðes more þane mid him seluen. and prest naht sis*. [i.e. swo his.] chireche þe is his spuse; ac his daie þe is his hore. awlencð hire mid [p 117] cloðes. more þan him seluen. Ðe chire[che] cloðes ben to brokene; and ealde. and hise wiues shule ben hole; and newe. His alter cloð great and sole; and hire chemise smal. and hwit. and te albe sol; and hire smoc hwit. þe haued line sward; and hire winpel wit. oðer maked geleu mid saffran. 

Un grand merci à Gill Page qui m'a traduit ça en anglais quejecomprends (et à Stephen Pollington qui a fait aussi une traduction, qui coïncide. 2 traducteurs, c'est toujours plus sûr) : For the layman honours his wife with more clothes than himself and the priest does not [honour] his church which is his spouse but [instead] adorns his wench that is his whore with clothes more than himself. The church cloths are tattered and old, while his woman’s clothes are whole and new. His altar cloth thick and dirty, and her chemise fine and white. The alb dirty and her smock white. The head linen blackened, and her wimple white or made yellow with saffron. 
 
Un nouveau prêtre renonce aux biens de ce monde, symbolisés par une femme, Bible Moralisée, milieu du XIIIe s. Oxford, Bodleian Library MS Bodl. 270b, 208r

Bon, je vous fais juste la fin du texte (critique du mauvais prêtre qui s'occupe plus de sa "compagne", je censure, là, que de son église. C'est l'époque où, justement, on ne veut plus du mariage des curés... Ce texte est passionnant dans sa totalité, mais, je vous mets en français ce qui concerne la guimpe) :
Le linge de tête (du prêtre) est noirci et sa (celle de la maîtresse du prêtre) guimpe blanche ou jaunie au safran
Et c'est-y pas beau, on a en prime une vieille source de guimpe safranée, mal considérée ! D'une pierre deux coups !

Là encore, rien ne précise qu'il s'agisse d'un tissu enveloppant le bas du visage. En outre, il n'est pas fait mention d'un voile (c'est vrai, elle est considérée comme une dame de petite vertu, et les prostituées étaient parfois empêchées de porter un voile. Mais, ne pas oublier qu'il s'agit là d'un texte moralisateur, et que, vu le parti de l'auteur, la compagne du curé, même si elle lui est fidèle, sera forcément considérée comme une...). Si on suppose que la compagne du curé ne porte pas de voile, cela voudrait dire qu'elle porte sa guimpe à la Katharine Hepburn... Chose qu'on ne voit que dans les films... Maintenant, une mauvaise interprétation du mot guimpe pourrait expliquer aussi le délire Aliénor Hollywood. Mais... Purée... On parle d'une femme mariée. Y a de la confusion dans l'air... Tout simplement parce que rien ne colle !
Aliénor, emmerdeuse de maris professionnelle (oh oui !!!) Mais pas avec cette tenue !!!
Conclusion
La guimpe cagoule ou oeuf de pâques, ou paquet cadeau, avant le dernier tiers du XIIIe (à la limite, mi XIIIe), ça paraît sérieusement fort douteux. Il semble plus que probable qu'on ait un glissement du sens du mot vers un accessoire précis. Les textes montrent que les guimpes demandaient une technique spécifique. On peut supposer que les étoffes tissées selon cette technique ont été utilisées, vers la fin XIIIe, comme nouvel accessoire enveloppant, d'où le glissement sémantique. Un phénomène fréquent dans l'histoire du costume (une robe XIIIe, ce n'est pas une robe actuelle, par exemple).
Si le terme n'est pas à associer avec cet usage précis, il faut aussi, et surtout, ne pas oublier que... Ben... On ne porte pas d'étoffe de cette manière. Même chez les nonnes ! Après, fin XIIIe, ce sera une autre histoire. Mais XI, XII, et la plus grande partie du XIII le message est :


 Ah, et pour la touaille... C'est pareil... rien qui fasse oeuf de pâques dans les textes. Si on a les images touaille = bande de tissu qui passe sous le menton et fait un noeud et fait aussi turban, leur analyse poussée fait toujours retomber sur quelque chose relevant de l'altérité (et des altérités, y en a un paquet dans la société médiévale. Cette représentation ayant même le mérite de pousser plus loin la réflexion sur l'altérité, et bim. Ca tombe toujours du bon côté de la pièce, non truquée).
Ca aussi, c'est silly
Dans les textes, la touaille est n'importe quel bout de tissu, pour simplifier. Du coup, c'est un mot qu'on va mettre partout, pour éviter une répétition, par exemple... Et pas que pour signifier un tissu sur la tête... Un chiffon (les petites marionnettes), un torchon, une serviette, une nappe. Tout ce qu'on veut, tant que c'est du tissu.
A quoi ce qu'on a pris l'habitude d'appeler les touailles me font penser en ce moment...

Rappel : Par ici de bonnes infos sur les coiffes féminines au XIIIe siècle

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