SOS, rectification d'encolure
Merci à Claire Barbier pour cette photo de Chartres. L'encolure est trop large pour du 1220. On va voir ce qu'on peut faire pour sauver ça. |
Les sources
La Ronde au dieu d'amour Manuscrit du Roman de la Rose (vers 1430), miniature par le Maître du Roman de la Rose de Vienne, ÖNB, Cod.2568. |
Elles sont peu nombreuses, c'est vrai : jusqu'à présent, j'ai quelques sources écrites :
- le Roman de la Rose (v. 13317-13322) vers 1270, l'exemple le plus célèbre,
- une loi somptuaire florentine de 1310 qui exige que les femmes soient couvertes jusqu'au cou,
- un poème moral anglais de 1320,
- le "dit des Cornettes", poème satirique de la 2e moitié du siècle,
- Robert de Blois, qui est le plus ancien à le mentionner (milieu XIIIe)
- et enfin la "Clef d'Amors", vers 1280.
On en est à 6 sources écrites avant l'apparition "officielle" du décolleté vers 1320 en Italie (oui, je mets la source anglaise dedans, parce que j'ai du mal à imaginer qu'un moine du nord de l'Angleterre ait été immédiatement au courant de la mode italienne...)
Donc, les écrits nous apprennent que le décolleté est bien présent dans la seconde moitié du XIIIe siècle.
Pour les sources iconographiques, la première est une Madeleine du musée de Fribourg. Dans mon livre elle était datée 1250, mais depuis l'exposition sur l'art gothique à Strasbourg en 2015, Jean Wirth a baissé la date à 1235 environ.
site du musée de Fribourg, vers la statue de Madeleine
On a aussi la Vierge de Constance, vers 1270. Ces deux oeuvres sont publiées dans mon livre. Je vous renvoie également à l'article de Jean Wirth dans le toujours indispensable Le Corps et sa Parure. On constate que ce sont des décolletés légers. Surtout Madeleine. On a encore trois madones datant d'autour 1300, originaires des Abruzzes. Là aussi, cela reste très léger.
Et... Tadam... j'en ajoute une, dénichée à Prague. Une Madone, encore, vers 1300... qui nous vient d'Espagne. Ca s'élargit.
J'ajouterais bien cette belle Madeleine de vers 1270, Allemagne, mais elle est tellement restaurée qu'elle n'est absolument pas une source fiable... |
Analyse de ces sources
Ce qu'il ressort d'abord, c'est qu'il s'agit de cottes qui se passent sans amigaut (merci les 5 sculptures). Ensuite, cela vaut pour une bonne partie de l'Europe occidentale : sources italiennes, germaniques, françaises et anglaises. On ne peut pas parler d'un épiphénomène.
La perception du décolleté est différente selon les auteurs : moqueries, condamnations, et "On en veut ! On en veut !" (si la poitrine est belle, évidemment).
Photo Calt/M6/Kaamelott etc. |
"Et la dame doit bien
savoir cela : / Celle qui souvent se découvre, / En voyant les
gens, agit mal. / On dit que c’est un signe de prostitution / Et
pour cette raison la dit-on non sage."
Un exemple d'un point de vue négatif.
Un autre tout aussi délicat, issu du dit des Cornettes :
Une robe ainsi ouverte au cou ressemble au
trou des latrines, ni plus ni moins, On peut facilement voir leur
poitrine et on peut facilement y mettre ses deux mains ou une miche.
Une telle fierté ne vaut rien.
Une belle brochette de cuistres misogynes. On peut le dire.
Pour faire bonne mesure, l'avis de Jean de Meun dans le Roman de la Rose, qui en plus nous donne les longueurs :
Si elle a un beau cou et une
gorge blanche, qu'elle veille à ce que son tailleur lui découpe
dans sa robe un si beau décolleté qu'on voie sa chair blanche et
nette un demi-pied sur le dos et sur le devant. Elle n'en sera que
plus séduisante.
Ces tenues concernent les jeunes filles, ou, peut-être, des femmes mariées encore très jeunes. Les textes positifs louent la jeunesse, la beauté, la fraîcheur. Bref, passé un certain âge, mieux vaut s'abstenir.
On pourrait envisager que le décolleté est automatiquement une chose négative, mais on le voit sur la Vierge. Donc, quelques artistes l'ont considéré comme positif, à une époque où il est courant de représenter la Vierge avec des signes de séduction. Les images rejoignent les textes.
Bref, le décolleté, qui, rappelons-le, n'est guère profond, reste, bis, réservé à la jeunesse et à la séduction. Ce qui explique que les moralisateurs ont craqué et nous ont servi des propos pas très sympathiques...
ET SURTOUT, C'EST FEMININ !
SI VOUS N'ETES PAS UNE JEUNE FEMME DE LA SECONDE MOITIE DU XIIIe SIECLE, LE DECOLLETE N'EST PAS POUR VOUS ! (dans la mesure des connaissances actuelles...)
Les problèmes
Comme évoqué plus haut, on voit de plus en plus de décolletés ou d'encolures trop larges en reconstitution XIIIe. Pour tout le siècle. Et en prime sur des hommes. Là, aucune source avant 1320. Rien dans les textes. Rien dans les images. Donc, messieurs, couvrez-vous, je vous prie.
De plus, n'oublions pas un détail important : le surcot recouvre bien souvent un possible décolleté. On ne sort pas simplement en cotte. Il y a le manteau et le surcot. Or, la mode de la deuxième moitié du XIIIe tend à dissimuler le corps, et la cotte, sous d'amples et longs surcots. La cotte elle-même étant d'une grande ampleur et longueur. Afficher le décolleté est pratiquement impossible, et relève du privé pour une jeune femme respectable.
Oups, j'ai trop coupé...
Qu'on soit homme ou femme, on peut avoir cédé à la nouvelle et regrettable tendance des encolures trop ouvertes en XIIIe, ou avoir tout bêtement eu un coup de ciseaux malheureux.
Pour savoir si c'est trop ouvert, c'est très simple : si vous pouvez passer votre cotte sans amigaut, il y a un problème, et il faut rétrécir.
Je remercie Claire Barbier qui a eu l'amabilité de me laisser utiliser sa photo d'encolure trop large qui ouvre cet article (mais c'est un costume en travaux). Et je me porte garante de sa respectabilité.
Ne vous désespérez pas, il y a une solution ! Proposée, validée par Catherine Besson. Et hop, le tuto vite fait bien fait avec des robes à grande encolure.
SOS ENCOLURE
On est bien d'accord : l'encolure XIIIe, pour homme comme pour femmes, sauf les jeunettes qui peuvent se permettre d'avoir un décolleté d'après les cuistres voyeurs qui y sont favorables, c'est une ENCOLURE RAS DU COU AVEC AMIGAUT OU BOUTONS ( boutons possibles pour la 2e moitié du siècle).
Matériel nécessaire :
- craie
- ciseaux
- épingles
- fil
- aiguille
- dé à coudre si vous aimez
- fermail
- des photos floues (marque de fabrique)
J'ai pris 2 vieilles robes. Une en lin, avec une énorme encolure, une en laine avec une encolure plus étroite, mais qui passait sans problème.
On commence avec le lin.
Ceci fut considéré comme du méro (rigolez pas trop fort !) |
Avec la craie, vous dessinez un triangle (le galon aide pas...) |
Là, j'ai épinglé, mais on voit déjà comment l'encolure a été rétrécie. J'aurais pu rétrécir un peu plus sans ce galon pahisto du tout (comme le reste de la robe) |
C'est tout bête... L'intérêt de cette méthode, c'est qu'elle fait aussi remonter les épaules, qui ont tendance à être placées trop bas sur beaucoup de costumes XIIIe. D'une pierre deux coups !
On passe à la pratique sur de la laine, sur une robe qui fut carolingienne (mais entre la qualité du tissu et la couleur, elle irait mieux en XIIIe.)
On pince afin d'être le plus près possible du cou. |
Le fait de bien pincer fait qu'on peut bien tracer le triangle. (Ca tombe bien, ça englobe la broderie jamais finie parce que je me suis rendu compte que ça servait à rien...) |
Snip snip, un coup de ciseaux au centre. |
Snip snip, on coupe en laissant un peu de place pour les ourlets. |
Voilà donc un moyen simple et efficace de récupérer une tenue XIIIe trop ouverte à l'encolure.
On peut s'en sortir et transformer en 2 ou 3 coups de ciseaux une robe pahisto en tenue histo.
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