dimanche 5 août 2018

MATERIEL FUNERAIRE

UNE CONCLUSION HATIVE CHASSE L'AUTRE
Méfiez-vous, eh oui... 

dessin de la tombe découverte au XIXe siècle, considérée alors comme celle d'un guerrier (photo Evald Hansen/The Swedish History Museum)

Il y a quelques mois une page facebook dédiée à la Scandinavie viking a publié un article très pertinent sur la reconstitution : c'est là que ça se passe. fruit de discussions avec divers professionnels, je ne peux qu'être d'accord avec ce qui y est écrit. Je ne répèterai pas ce qui est dit mais je pense qu'il y a pas mal de choses à compléter, car il y aura toujours quelque chose à ajouter, vu que les recherches progressent...
L'exemple des tombes reconstituées me paraît excellent. Ayant longtemps souhaité être égyptologue (mais les blagues avec les momies ça va bien cinq minutes...), j'ai été confrontée très tôt à la problématique de ce qu'il y a dans les tombes... objets rituels, objets qui n'ont qu'un usage dans l'autre vie, cadeaux, souvenirs divers... Bref, on trouve de tout, et y compris du personnel. Ceci n'est certainement pas valable que pour les Egyptiens.
L'exemple de la balance, qui ne prouve pas qu'on a affaire à une tombe de marchand ou de changeur, est un très bon choix. Et ceci rappelle à quel point il faut se méfier des conclusions hâtives. Un autre cas a fait beaucoup parler dernièrement : la fameuse tombe de guerrier viking qui en fait était une femme, tombe de la première moitié du Xe siècle (Bj581). On a là quelques beaux exemples de conclusions hâtives :

Quelques petites choses du British Museum dont une épée viking du Xe trouvée à Limerick en Irlande (photo perso)

1. Il y a une épée, c'est un homme
2. Ah ben non, c'était une femme, donc c'est une guerrière
3. Epée = tombe de personne (homme ou femme) qui se bat
4. Guerrier = Individu mâle se faisant enterrer avec son épée
(je suis sûre qu'on peut en ajouter)

Pas forcément...
En fait, cette histoire de femme guerrière a été le point de départ d'un des papiers les plus enrichissants du dernier congrès de Leeds. (Pour la faire courte, c'était génial, j'ai appris plein de trucs. Je n'ai eu qu'une session décevante, où j'ai découvert qu'on pouvait rendre l'iconographie médiévale d'un ennui mortel, avec des sujets passionnants sur le papier. Bel exploit aux intervenants qu'on ne citera pas...)

Photo IMC

Cette communication a été faite par Erin Sebo, de l'université d'Adelaïde. Le sujet : Literary Evidences for Swords in Mortuary Practices. Je précise bien que tout ce qui suit vient de mes notes. Ce ne sont pas mes réflexions. Mais je pense que ceci mérite d'être partagé. Je ne sais pas s'il y aura une publication, mais ça vaudrait le coup de suivre l'actualité de cette chercheuse.
Donc, Erin Sebo est partie de cette découverte de corps féminin avec épée et du buzz qui a suivi. Spécialiste de la littérature anglo-saxonne, elle a cherché ce qu'il en était, non chez les Vikings qui n'ont pas laissé de littérature d'époque, mais chez les Anglo-saxons. Sans perdre de vue la question de la fiabilité des sources littéraires.Son texte de base étant Beowulf.
Première constatation, il est souvent question d'épées dans la littérature, et pourtant on en a peu dans les tombes...
En fait, ce qu'on trouve dans les tombes répond aux souhaits du mourant (s'il en a le temps) ou de sa famille. Il n'y a pas de réel rapport avec la religion, il s'agit bien de volonté personnelle, si, et il faut bien préciser SI, le mort est enterré avec une épée.
Elle a cité le cas d'un guerrier tué au combat. Sa famille l'a fait placer sur le bûcher avec les vêtements qu'il portait quand il est mort, afin que tout le monde puisse voir le sang sur sa tunique. Et pas d'épée.

NON ! PAS LUI ! Pas le nanar intergalactique !!!

Passons maintenant au cas de Beowulf. Lui a eu le temps de faire part de ses volontés. On retrouve le bûcher. Encore une fois, pas d'épée. Mais des casques et boucliers. Ensuite, les ossements et restes des casques et boucliers sera mis dans une urne, avec des bagues et des broches. Et Erin Sebo de faire remarquer très justement que si l'urne était découverte, la première déduction en serait "tombe de femme". Il n'est pas question d'épée (les épées de Beowulf ayant tendance à ne pas durer longtemps dans ses mains... Note de moi). Quant à l'armure, elle brûle avec Beowulf qui n'a pas d'héritier à qui la transmettre...
L'épée et d'autres pièces d'armement font partie de l'héritage et se transmettent de père en fils. Une vieille épée est une bonne épée. Quand elle devient trop usée, on l'enterre avec le représentant mâle de la lignée... Et s'il n'y a pas de représentant mâle, on la met dans la tombe d'une femme de la famille.

Alors, on est chez les Anglo-saxons, pas chez les Vikings. Mais cet exemple nous montre que l'association "guerrier = enterré avec son épée" est une idée reçue, et que l'association "tombe avec épée = combattant.e", c'est pas mieux.

Et puis d'abord, dans le Seigneur des Anneaux, les épées se transmettent aussi... Et il a traduit quel texte Tolkien ? (William Morris aussi, tiens.)

Et en prime, là, j'ouvre une porte piégée : on peut utiliser l'épée de Papy... Je sens qu'on va avoir des problèmes de chronologie en reconstitution. Pardon. Mais c'est sourcé chez les Anglo-saxons. La recherche réserve parfois des surprises de ce type ! Après, qu'en était-il chez les Vikings ? That is the question. Peut-on considérer que des pratiques similaires existaient ? On comprend pourquoi plusieurs archéologues se sont élevés contre le buzz de la prétendue guerrière viking. Il y a un paquet de facteurs à prendre en compte et pas mal d'inconnues.En tout cas, il est toujours bon de rappeler à quel point on doit se méfier des conclusions hâtives.



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