mercredi 20 avril 2022

RECONSTITUTION

LADY CASTEL, soyez histo sur vous

Problèmes capillaires 1

Se faire des cheveux au Moyen Âge

Mannequin cheveux d'origine germanique

Et me revoilà, ravie de vous retrouver. Et donc, je vais m'occuper de ce qui vous chiffonne en ce moment. On va parler des joies de la capilliculture masculine.

C'est long... Et du coup, je vous le fais en deux articles. Sinon, ça va être trop laborieux. 

(Etant donné le sujet, le risque de jeux de mots "salons de coiffure" est très élevé. Vous êtes prévenus.)

Il a souvent été question de ce qu'on se met sur la tête dans le blog "normal" et aussi au castel. 

Par exemple, chers petits amis, j'avais eu l'occasion de vous expliquer les problèmes liés à la chevelure actuelle, confrontée à la reconstitution, ici même.

Dans le même genre, j'avais déjà eu l'occasion de vous montrer à quel point les soins de beauté actuels, comme l'épilation des sourcils, le rouge à lèvres pouvaient gâcher un costume, parce que trop datables, et c'est par là.

Vous avez de la chance, je n'ai pas encore causé des ongles (parce que là, c'est une catastrophe !)

Si vous avez deux doigts (avec des ongles pas trop longs, pour être histo) de perspicacité, vous remarquez que ces articles ont en commun de s'adresser aux femmes. A croire qu'elles sont les seules concernées par la question capillaire et la pilosité. 

La Bribri, y a du volume dedans, et c'est ce qui lui assure son maintien. La Bribri sur cheveux courts, ça fait cache-misère qui ne remplit pas son rôle de cache-misère.

Il y a quelques réelles questions critiques en ce qui concerne la chevelure féminine. Les cheveux courts ont des effets secondaires peu désirables : la bribri qui glisse, les mèches qui dépassent. Mine de rien, ça vous fiche en l'air un costume. Même avec des cheveux longs, ça glisse (moins si on évite après shampooing et brushing). Alors avec des cheveux courts... Sans parler de l'effet bribri, ou autres coiffes, vides. Purée, ça se voit ! Bref, les postiches, ça aide. C'est incroyable comment les cheveux peuvent vous ficher tout en l'air ! 

Mais, heureusement, avec les voiles et les postiches, si on n'abuse pas des crèmes et soins divers, du sèche-cheveux, et si on n'a pas la dernière épilation des sourcils à la mode, on peut quand même donner l'illusion d'être d'époque.

Et ces messieurs ?

Alors, je vais pas tergiverser ni tourner autour du Pô.

Ceci dit, y a de quoi faire si on tourne autour...
Pour résumer, c'est le gros portnawak. Autant les femmes essaient de suivre, malgré quelques petits problèmes... Autant les messieurs ne jouent que très rarement le jeu.

Si vous êtes coiffés comme ça, va falloir envisager de faire quelque chose parce que c'est tout à fait incompatible avec un look médiéval (source pinterest, via google image)
Vouloir essayer d'être histo, ça demande des sacrifices. Faudrait y penser. Perruques, rasoirs, changements de look.  

Point marrant, il semble aussi qu'il y ait plus d'études sur la pilosité féminine que sur la pilosité masculine.

Barbu ou pas... Albrecht, ça le fait. Mais pas toujours en fait, quoique, c'est toujours plus crédible que le monsieur du dessus.
Installez-vous confortablement, ça risque d'être long, comme les cheveux d'Albrecht.

Coupons les cheveux en quatre

NON !
 

La mode actuelle est aux cheveux courts. Avec pas mal de barbus, même si j'ai l'impression que ça commence à diminuer (pas confortable avec le masque ?). Et ne parlons pas des cheveux très courts, voire rasés à la zorglhomme. Mon âme de métalleuse est en total désaccord avec ceci.

NON !

Et si qu'on faisait un petit résumé de comment donc on considérait les coupes très courtes, voire l'absence de tifs, durant l'Antiquité et le Moyen Age ? Je sens qu'on va bien rigoler.

Pour cela, allons voir, entre autres, ce qu'en dit Ruth Mellinkoff, dans son pavé indispensable (même s'il commence à dater et que certains partis pris assumés de l'autrice montrent leurs limites et leurs erreurs). J'ai nommé Outcasts : Signs of Otherness in Northern European Art of the Late Middle Ages.

On se rend dans sa partie sur les cheveux, pp. 179-194. Pas peur, je résume.

Poils conducteurs de messages

La mode, elle la dégomme !
Evidemment, la chevelure fait passer des messages. Elle communique des valeurs, des connotations sociales, des significations religieuses et des sens symboliques. Bien plus que de nos jours. Et c'est bien pour ça qu'il ne faut pas faire les marioles avec les cheveux, parce que c'est passer à côté d'un élément important dans l'apparence des gens du Moyen Âge. Faut se mettre dans le crâne que ce qui est sur le crâne, ça compte beaucoup ! Par ailleurs, le clergé n'apprécie pas trop que l'on prenne trop de soin de son corps. Mais faut pas se laisser aller non plus. Donc, quand la limite vers le "trop" est franchie, le clergé nous la joue vierge effarouchée. Et c'est surtout par leurs crises de nerfs qu'on a des infos.

On sait tout de suite qui je suis !

Rappel : Au Moyen Âge, on aime savoir qui est qui, et ça passe par le vêtement et la coiffure. Et les clercs n'aiment pas que les laïcs leurs ressemblent. Chacun son look ! Ca devient même un péché. Ca peut envoyer en Enfer, d'avoir la mauvaise coiffure ! Autre précision importante : il n'y a pas une symbolique unique et universelle. Comme à chaque fois, il y a du bon, et du mauvais, et ça change. Contextualiser, tout ça, quoi...

Cheveux courts et rasés, les racines

Les jolies règles de la Bible

Samson : tout dans les cheveux = tout dans les biceps
Déjà, on rappelle qu'on a des chevelus célèbres. Absalom, Samson... Les gars célèbres pour leurs cheveux longs, avec un bonus force pour Samson. Et une grosse loose pour Absalom. 

La méga loose... Rudolph d'Ems, Chronique, vers 1360, Bohème, Landesbibliothek Fulda, 100 Aa88, 286r. Domaine public

Le Lévitique interdit de se raser la tête. Là, c'est clair. Le Deutéronome interdit de se raser la tête en cas de deuil , même si, dans la pratique, il arrivait que certains prophètes se rasent une partie de la tête dans ces circonstances.

Bref, les interdictions concernant le rasage des cheveux sont assez fréquentes dans la Bible, et, ça peut, ça peut se ressentir dans la société chrétienne. Eventuellement... Sait-on jamais. Le rasage de tête ou des poils du visage était, en outre, une pratique païenne assez courante (les Egyptiens se rasaient les sourcils en cas de deuil... Pour la perte d'un petit chat par exemple...). Et du coup, des personnes comme St Jérôme désapprouvaient le rasage des têtes de prêtres chrétiens. On est arrivé sur un compromis avec la tonsure, mais ça a mis du temps. La tonsure, ce n'est pas un rasage intégral. Et elle a ses règles.

Sous la capuche, la tonsure.
Et en voiture pour Rome !  

HADRIAAAAAAAAN !
Les Romains pouvaient avoir les cheveux courts, mais pas aussi courts que maintenant... Les jolies petites boucles, bien soignées, une petite frange... C'est bien vu. 

Y a des mèches plus longues que la majorité des coiffures actuelles.
Même chez les païens, le rasage de crâne, c'était pas top. "unattractive and repulsive" (je pense que je n'ai pas besoin de traduire). Pour Cicéron, se raser volontairement la tête, c'était vraiment pas une bonne idée. Les cheveux sont une marque de dignité, de force et de classe sociale. Les éliminer d'un coup de rasoir, ça renvoie à l'humiliation infligée aux peuples conquis, au marquage des esclaves, au deuil, à la stigmatisation des criminels, et à l'hygiène liée à la maladie. On a plus positif en stock, niveau symbolisme, je pense. 

Lui, ça compte pas, il est prêtre d'Isis. On comprend pourquoi les juifs et les chrétiens ont une dent contre les crânes rasés, du coup.

Donc, on récapillairitule. Pas top dans la Bible, pas top chez les Chrétiens, pas top chez les Romains. 

La calvitie naturelle

On prend les cheveux de derrière, on ramène sur l'avant... Veni, vidi, vici la calvitie.
Ben... C'est pas très bien vu non plus. Ca fait rire. Ca va forcément dépendre des périodes, mais le ridicule domine. Pas gentil, je sais. Même quand on essaie d'être sympa avec les chauves, ça l'est pas totalement. Disons que c'est un rapport contradictoire, mais où la moquerie l'emporte sur la compassion. Un exemple célèbre de l'Antiquité ? Jules ! Il en prenait plein la figure, à cause de sa calvitie. Il en avait plein le dos ! C'est pas des salades ! Même son fils se moquait de lui, d'où la célèbre citation, un jour où il en avait vraiment marre d'être la victime des colibris. Et c'est pour cela qu'il se coiffait en ramenant des cheveux sur le haut du crâne. La ruse, personne ne le remarquait... Si, si... Ca passait inaperçu. Comme avec Giscard. Personne ne le notait.

Moumoute se désolidarisant du crâne. C'est ballot. Getty, Ms. Ludwig XV 1 (83.MR.171), fol. 51
 Les moumoutes existaient au Moyen Âge. Un bon moyen de passer pour un... Finalement, au fil du temps, on a l'air d'accepter cela, pour les hommes âgés...

On assume, on assume...
 Astuce beauté : la teinture à base de vin et de noisettes prévient la chute des cheveux (recette XIVe).

La méthode Jules, une valeur sûre !

 Saint Paul et compagnie, évolu'tif

Pierre, Paul... Mais où est Jacques ? Dort-il ?
Pour lui, les hommes ne doivent pas avoir les cheveux longs. C'est la honte. C'est un truc de nanas. Mais, long, c'est à partir d'où ? Si l'on suit certains râleurs du XIIIe, si on peut faire des tresses avec, c'est trop long. Si on lit entre les lignes... Si ça rouspète toujours du côté des religieux, c'est que les cheveux longs continuent à être associés à la noblesse chez les hommes. Donc, Popaul et ses héritiers peuvent s'agiter, la tradition des cheveux longs persiste pendant une bonne partie du Moyen Âge. Mais, la longueur bonne pour les tresses, ça reste quand même limité (méro, XIIe, certaines modes XIVe et XVe). 

Cas particulier, avec des tresses, sur lequel on reviendra
Une insulte faite au corps

S'arracher ou raser la barbe et les cheveux serait "la première insulte faite au corps, la perte de poils manifestant le triomphe de l'ordre du vainqueur sur le vaincu, soumis et diminué" (Pouvreau, 56)

Les cheveux courts ou rasés dans les images médiévales

Y a le front qui pousse. Méchant en vue !
Les chauves et les peu chevelus sont rarement des gens bien. Genre... les bourreaux du Christ, ou de saints qui se font martyriser. Là aussi, on a des variantes. On peut affubler ces mêmes bourreaux de cheveux longs, mais mal entretenus. Ceci étant dit, il convient de préciser que les images ne nous disent pas toujours, en cas de calvitie, si c'est naturel ou si c'est dû au rasage, même si, d'après Mellinkoff, certains exemples laissent penser que c'est du rasé. 

Méchant qui s'est rasé n'importe où et n'importe comment.
Ce qui rend les méchants encore plus méchants.

Histoires de fous

Ca part dans tous les sens... Ca rime avec démence !
Les fous apparaissent aussi souvent chauves ou très dégarnis. Là, on est dans une pratique de rasage imposé qui serait réelle, dès la période gréco-romaine. La pratique serait étendue aux bouffons, saltimbanques, musiciens, bref, des classes inférieures de la société médiévale. 

"Ca va pas bien dans ma tête..." British Library, Harley 4664 f. 145v (Photo BL)
Or, il se trouve qu'on a aussi des exemples de musiciens, danseurs et autres avec cheveux longs. Ceci dit, toujours d'après Mellinkoff, Geoffroy de Monmouth évoque un personnage qui se serait rasé barbe et cheveux et serait devenu jongleur pro, avec une harpe. On est au XIIe siècle, un moment où les cheveux sont très longs, et les hommes plutôt barbus. Attention, les bouffons, fous, jongleurs, etc. ont souvent, en fait, des rasages partiels, avec formes particulières. L'un des exemples les plus connus est la tonsure en croix de Tristan lors de l'épisode de sa folie. Et il semble que cela reflète bel et bien une pratique réelle. 

Joli rasage... British Library, Royal 17 E VII f. 241 (Photo BL)
Pour Mellinkoff, si les bouffons, musiciens, jongleurs, etc. pouvaient garder leurs cheveux longs, ou en partie, ce qui pouvait permettre de cacher les "vides", ils étaient aussi à la merci de leur employeur, qui pouvait les punir d'un coup de rasoir, histoire de les remettre à leur place. 

Cheveux courts, idées courtes. British Library, Royal 19 D II f. 251v (Photo BL)
S'arracher les cheveux et la barbe est parfois aussi la manifestation d'une affliction ou d'un deuil. Ou encore de la colère. Bref, pas un état normal...

Cheveux coupés courts

Ce n'est pas aussi dévalorisant que le crâne rasé des esclaves, prisonniers et autres, mais ce n'est pas beaucoup mieux. 

Ca reste un signe des classes les plus basses et de servitude. Pour Chaucer, non seulement c'est un signe de basse origine, mais en plus... C'est moche. Ca, c'est dit. Au XIIIe siècle, en Bavière, les paysans et leurs fils devaient avoir les cheveux coupés jusqu'aux oreilles. Pas qu'on les confonde avec les nobles, qui eux avaient les cheveux longs, n'est-ce pas ?

Berger à cheveux longs, mais qui tiennent pas bien dans la cale. Berger à cheveux courts, rasés par endroits, et barbe éparse. Du pécore, quoi.

Les cheveux longs étaient généralement réservés aux classes supérieures. Selon les périodes et les endroits, on pouvait exiger à des employés de se couper les cheveux et d'éviter de se la jouer membres de la cour. Les apprentis devaient avoir les cheveux courts. Si on refusait le passage chez le coiffeur, c'était la prison. Ca rigolait pas ! 

Les paysans à cheveux longs, à la manière de la noblesse, étaient moqués dans la littérature. Mais, si on en croit les râleurs de service (les religieux jamais contents des changements de la société), ça existait, les pécores chevelus. 

Fin de la première partie (oui, comme ça, sans prévenir)

A très bientôt les Reconstif'



2 commentaires:

  1. Magnifique travail que ce blog ! Et bravo pour la patience de la confection pour votre costume XIIIe (vu d'un autre article) !
    Je ne suis pas historienne mais je me renseigne pour la confection d'une tenue féminine fin XIIIe ... Mais pas pour de la noblesse/bourgeoisie, ni une tenue de travail : une tenue de jongleur/troubadour occitane.
    Il existe "beaucoup" d'ouvrage sur le costume "traditionnel" du XIIIe, ou sur la vie des jongleurs au moyen age, mais je peine à trouver des informations sur le sujet précis du costume du jongleur du XIIIe ( et encore moins du costume féminin). En tout cas il semble bien différent des codes du costume "courant 3-4 couches". Perso je les vois comme des punks en marge de la société qui ne respecte absolument pas les codes vestimentaires classique ( comme vous le montrer dans cet article avec les coupes de cheveux farfelu ). De ce que j'ai vu/lu par exemple, on pourrait mélanger des couleurs des manches (comme le laisse supposer ces enluminures https://www.bl.uk/catalogues/illuminatedmanuscripts/record.asp?MSID=8608&CollID=8&NStart=4951 ), peut être s'abstenir de surcot (trop encombrant) ...
    Je me demandais alors si vous aviez vous même réalisé une étude à ce sujet ? ou connaîtriez un livre ou une publication ?
    En tout cas bravo pour ce blog et le travail de rédaction !

    RépondreSupprimer
  2. Magnifique travail que ce blog ! Et bravo pour la patience de la confection pour votre costume XIIIe (vu d'un autre article) !
    Je ne suis pas historienne mais je me renseigne pour la confection d'une tenue féminine fin XIIIe ... Mais pas pour de la noblesse/bourgeoisie, ni une tenue de travail : une tenue de jongleur/troubadour occitane.
    Il existe "beaucoup" d'ouvrage sur le costume "traditionnel" du XIIIe, ou sur la vie des jongleurs au moyen age, mais je peine à trouver des informations sur le sujet précis du costume du jongleur du XIIIe ( et encore moins du costume féminin). En tout cas il semble bien différent des codes du costume "courant 3-4 couches". Perso je les vois comme des punks en marge de la société qui ne respecte absolument pas les codes vestimentaires classique ( comme vous le montrer dans cet article avec les coupes de cheveux farfelu ). De ce que j'ai vu/lu par exemple, on pourrait mélanger des couleurs des manches (comme le laisse supposer ces enluminures https://www.bl.uk/catalogues/illuminatedmanuscripts/record.asp?MSID=8608&CollID=8&NStart=4951 ), peut être s'abstenir de surcot (trop encombrant) ...
    Je me demandais alors si vous aviez vous même réalisé une étude à ce sujet ? ou connaîtriez un livre ou une publication ?
    En tout cas merci et bravo pour ce blog et le travail de rédaction !

    RépondreSupprimer