dimanche 10 avril 2022

COSTUME MEDIEVAL

COIFFES ET CALES   

Mode masculine, 1.

 

Frédéric II, fresque de Bassano del Grappa. Dites-le avec des fleurs.
    On parle souvent de coiffures féminines. Pensons un peu à ces messieurs à présent. Ou pas ?

 Bref, il est temps d'aborder l'angoissante question de la cale, du cale, bref, de la coiffe...

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Cale ou coiffe ?

 Le mot "coiffe" est un chouïa casse-pied. Parce que de nos jours, on peut l'utiliser pour désigner plein de trucs différents qui se mettent sur la caboche.

 On va tenter de définir ce que c'est au Moyen Âge. 

Cale à Naumbourg. Riche.
 On appelle ainsi le machin qu'on se met sur la tête, aussi bien pour homme que pour femme, qui est en lin, normalement, qui peut aussi être en soie, et là, c'est du filet (un truc qui se met sur la tête, forcément, ça la prend) et qui se ferme avec des cordons. Pour les messieurs, ça se noue sous le menton, pour les dames, on entortille ça autour de la tête, ou on noue derrière, si on a pris l'option crêpine (filet, quoi).

Pour ces dames, vite fait...

 Pour s'y retrouver, on appelle la coiffe féminine "dite de ste Brigitte", ou, plus communément, parce qu'on veut pas se compliquer la vie "la Bribri". On va pas en faire tout un fromage quand au pourquoi du comment. Ca se porte en XIIIe-XIVe. Et le nom vient de la pièce archéo qui aurait appartenu à... Ste Brigitte. Quelle coïncidence ! La Bribri peut être ornée de broderies discrètes à la jonction des différentes parties.

Coiffe germanique, fin XVe, Nuremberg. Déco comparable à la pièce archéo trouvée en Autriche.
 Mais ce n'est pas le seul modèle de coiffe féminine.  On en a aussi retrouvées d'autres, plus tardives, par exemple à Lengberg. C'est du lin. Et c'est décoré de sprang au milieu. Ca correspond à ce qu'on voit sur des peintures germaniques de la fin XVe. C'est beau quand l'archéo vient soutenir l'image ! Coiffe visiblement de petit statut. Pour l'anecdote, rappelons qu'à un moment, on a pensé que c'était un soutien-gorge croquignolet.

Pour les messieurs... Pas trop vite fait

C'est donc le machin fait en deux parties reliées par le centre, avec un cordon qui fait office de biais. Avec ou sans déco (comme pour les femmes,d 'ailleurs). Pour la déco, on en recausera plus tard, dans la 2e partie (oui, parce que c'est parti pour être en deux parties).

Et c'est là qu'on commence à avoir très mal au crâne.

Dans les textes XIIIe, il ne serait question que de coiffe. Ce qui va nous compliquer la vie, déjà parce que c'est le même mot pour les coiffes féminines qui ne sont pas semblables. Du coup, on ajoute un truc derrière : "féminine", ou "Bribri", pour s'y retrouver un peu. Et y a les filets aussi.

Mais, alors, pourquoi on appelle ça aussi "cale" ? Et c'est le ou la cale ? Ca sort d'où cette cale ? 

Comme le dirait Desproges, d'une cale à Hambourg de derrière les fagots ?


Ben, pas tant que ça. 

Gratte-gratte menton

"Cale" désigne effectivement la coiffe masculine nouée sous le menton, et ce, sans ambiguïté aucune. 

Cale à Copenhague, pécore (cuistot)
 Les mots au Moyen Âge vont et viennent. Les sens changent, se précisent... Guimpe, par exemple, ne désigne pas la même chose au XIIe et au XIVe. Cale, ce serait pareil. 

Désigner la coiffe sous le nom de "cale" pour le XIIIe serait un pitipeu anachronique (on va vérifier ça), mais, au final, ce n'est pas de l'invention. Ce serait juste "anticiper", pour savoir de quoi on cause exactement et éviter les malentendus avec l'usage actuel de "coiffe". Un peu comme quand on cause de robe, au sens actuel, pour désigner la cotte. Sauf que la robe, au XIIIe, c'est quand même un concept très précis, et c'est même un peu plus gênant de mettre robe pour cotte que cale pour coiffe masculine. Mais, l'usage, la compréhension, tout ça... On précise de temps en temps, et le tour est joué, même si c'est un peu problématique. Et puis, de toute manière, pour la proportion de personnes qui tiennent compte du concept de robe en reconstitution... violon, pipi, tout ça. Vous voyez le principe. 

(Et pourtant, on en a des sources écrites, et des études !)

dessin de Phest, Stéph Chaumont, source FB. (si problème, me le signaler, merci)

La calette des rois

 Si on se réfère à Gay, cale apparaît, sous la forme de "calette", en 1379. Gay qui précise que ça correspond à pas mal de coiffures selon les périodes et lieux, mais surtout à celle qui se noue sous le menton. Jusqu'à l'époque de Louis XII. Après, c'est un petit calot. 

Cale à Burgos
 Enlart, de son côté, nous offre une définition plutôt longue :

 "A partir des dernières années du XIIe siècle, jusqu'au début du XVe siècle, on fit grand usage d'une coiffure de linge, plus rarement d'autre étoffe ou de cuir, qui se nomme kalle, ou calette (corocalla). C'est une coiffe qui emboîte complètement le crâne, encercle le front, suit la nuque en ligne droite et porte à ses deux angles des cordons qui se nouent sous le menton. Cette coiffure, qui fait encore partie de la layette de nos petits enfants, a été portée jusqu'à la fin du XIVe siècle par les hommes de tous âge et de toute condition. La cale se porte seule, sous un bonnet ou sous un chapeau." (144)

Cale à Parme (pécore)
 Et là, y a pas à ergoter : cale, nouée sous le menton, dans les mémoires d'Olivier de la Marche, en 1474. Description du roi Jacques de Naples, venu à Pontarlier en tenue plutôt humble, il faut bien le dire.

 Allez, je vous mets le texte, p. 194 :

 Et ay bien mémoire que le Roy se faisoit porter par hommes 
en une civière telle sans aultre differance que les 
civières en quoy l'on porte les tiens et les ordures 
communément ; et estoit le Roy demy couché, demy 
levé, et appoyé à l'encontre d'un povre meschant des- 
rompu oreillier de plume. Il avoit vestu, pour toute 
parure, une longue robe d'ung gris de très petit pris, 
et estoit scaint d'une corde nouhée à façon de Corde- 
lier, et en son chef avoit ung gros (blanc) bonnet, que l'on 
appelle une cale , nouhé par dessoubz le menton ; et 
de sa personne il estoit grant chevalier, moult beaul 
et moult bien formé de tous membres.
Jeanne et Jacques... Un mariage pas heureux

 La venue de Jacques II de Bourbon, comte de la Marche, à Pontarlier eut lieu en 1435. Comme Olivier de la Marche se sent obligé de préciser quelques petites choses au sujet de la cale, on pourrait en déduire que l'objet est passé de mode en 1474. En passant, en 1435, le roi de Naples (par mariage, et ça tourne mal) se fait moine cordelier. 

 Bref, le mot cale désigne bien le petit bonnet blanc noué sous le menton. Peut-être pas au XIIIe, mais un peu plus tard, oui, aucun doute. En tout cas, ça colle avec ce qu'Enlart a écrit pour le début XVe (même s'il se contredit un peu plus tard en causant fin XIVe... Mais peut-être qu'il considérait que le "toute condition" n'était plus très valable un peu plus tard, la tenue du roi de Naples étant plutôt pénitente que royale...)

Et... cale au XIIIe ?

 On trouvait mention de cale quelque part ? Ca sort d'où, ce kalle ? Dans la perfide Albion ?

Cale à Reims
 C'est qu'on a un paquet de gens qui sont callemaker. Stacy la Kallemakestere est citée à Colchester en 1311. Il y a plein de variantes : kelmakere, kellemakere, kelmaker, kallemakestere, autour de 1300 et avant 1500. 

 Et... Avant 1300 ? 

 Walterus le Kallere, qui apparaît dans les comptes d'Henry III en 1242. Et on a un monsieur Calemon (homme faisant des cales) en 1260.

Cale à York, gars suffisamment riche pour payer un vitrail à la cathédrale.
 Vous en voulez encore ? Le Lexis, pour "caul" : 

 "net for the hair or a similar kind of headdress, frequently described as worn by women but occasionally by men; a modern caul, a close-fitting linen cap worn by men and women; also, more general headgear."

 filet pour la chevelure, ou sorte similaire de coiffure, souvent décrite portée par les femmes, mais parfois par les hommes. Une cale moderne, un bonnet ajusté de lin porté par hommes et femmes ; aussi, une coiffure plus générale.  

 Les formes de caul : calle (ancien français), caul, kell. Et d'autres : cal, call, chale, chelle, gallis, kalle, kel, kele, kelle, kolle...

 Le mot calle se trouverait dès 1121-35. Attention, il désigne plein de choses (ça alors !)... Un manteau, un filet à cheveux, ou une coiffe ajustée. 

 Evidemment, on va retenir la description en tant que coiffe ajustée (sans biais de confirmation, j'espère).  Là, pour le XIIIe, c'est bon.

Cales à Montefiascone. Riches. L'intérêt de la cale est d'éviter aux cheveux de se dresser sur la tête quand on tombe sur 3 macchabées qui ont envie de taper la discute...
 Enlart, il a pas sorti ses infos de son chapeau magique, finalement. Quand on vérifie, pas de mauvaise surprise (ça change du hennin, mais, en toute honnêteté, il a fait aussi des descriptions très pointues des coiffes XVe, en leur donnant des noms plus appropriés). C'est tout le charme d'Enlart. Parfois il a de très bonnes infos, parfois, il se laisse aller à des infos pourries. C'est pour ça qu'il faut vérifier, croiser, trier, déviolletleduquiser, etc. 

 Du coup... Messieurs, appelez ce que vous avez sur la tête "cale". Si ça vient de l'ancien français, on ne va pas réserver ça aux Anglais. Après, pour savoir si c'est le ou la... C'est comme vous voulez. 

Cales à Bassano del Grappa, musiciens (donc, fauchés)
 Et pour le filet... Ben évidemment qu'il existe pour hommes. On a des sources imagées certaines au XIVe, par exemple. Mais, c'est plus ancien. 

Coiffe ou cale ?

 On repart sur Enlart :

Cale à Burgos, en fait, j'en mets de plein d'endroits différents, juste pour montrer que c'est un peu international, comme coiffe.
 

 "La coiffe est une cale sans brides ; on la trouve dès le XIIIe siècle et elle continue de se porter sous le chapeau jusqu'au cours du XVIe siècle, où son couvre-nuque s'étale. Elle survit donc longtemps à la calette.

 "Il est probable que les deux coiffures ont été souvent confondues.

 "Christine de Pisan (sic) la date de 1377, montre Charles V ôtant son chapeau et laissant voir sa coiffe, et elle note à ce propos que "ès anciennes guises" les rois la portaient déliée, c'est-à-dire très fine, sous leurs chaperons. Cette coiffe déliée ne serait-elle pas la calette même que figure le manuscrit de La Haye ?" (145)

Charles V portant la coiffe ou cale à La Haye
 Bref... Coiffe et cale, ce serait kif-kif... 

 Et portée par les rois. Mais... Depuis quand ?

 Je sens que qui porte quoi va faire l'objet d'un autre article. Pour l'instant...

On résume :

 Le mot cale est documenté depuis le XIIe siècle, en Angleterre, mais viendrait de l'ancien français. 

 Il pourrait désigner pas mal de choses, dont la coiffe qui se noue sous le menton (ça, c'est sûr en 1435... Avec un auteur qui prend soin de préciser, parce que quand il écrit ça, ça a l'air de plus être très fashion).

 Il semble que cale et coiffe soient, finalement, synonymes, même s'il peut y avoir quelques variantes. Toujours la même histoire... Périodes, lieux, etc.

 Mais, la cale, le cale, le nombre de "l", un "k" ou un "c", etc., c'est au choix. On se prend assez la tête comme ça, non ?

ET LA FAMEUSE CALE A HAMBOURG !!! Facile à trouver. Petit hommage à Pierre Desproges !


 

 



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