lundi 4 mai 2020

RECONSTITUTION

LADY CASTEL Soyez Histo sur vous
Soyeux Histo sur vous



Très heureuse de vous savoir là, fidèles au rendez-vous. Je sais ce qui vous préoccupe en ce moment, votre nombreux courrier en témoigne.

Quelle soierie mettre pour éblouir la noble assistance ?
Que voilà une question délicate !

Alors, c'est bien connu, il y a plusieurs types de soie. 
On ne va pas s'embêter avec des considérations techniques sur ces bébêtes... 
La soie vient d'une petite bestiole qu'on appelle le bombyx du mûrier. Comme on ne l'appelle pas le bombyx du framboisier, c'est qu'il ne se trouve pas près des framboises. 

Aujourd'hui, je suis prof de svt !
Le bombyx pas du noisetier (non plus) se fait un petit cocon délicat avec un fil trèèèèèèèèèèèèèès solide, trèèèèèèèèèèès fin, trèèèèèèèèèèèèèès long et trèèèèèèèèèèèèèèèès doux. Dont on fera la soie (ce qui au passage entraîne un peu le décès du locataire du cocon... C'est ballot). C'est bien pour cela que l'on parle de ce joli petit ver. Parce que s'il ne faisait pas de la soie, pourquoi en parler dans un sujet sur la soie ? Cela va de soi.
Il convient d'ajouter que d'autres charmantes petites bêtes font aussi des fils. Et celles là se retrouvent sur des arbres de votre jardin, mais pas le mûrier. 

Et ça change tout. 

Parce que la petite bête du verger va vous donner un fil plus rêche, plus irrégulier que celle du mûrier. Comme quoi, il est toujours important de savoir où l'on va s'installer. Question de standing. Le mûrier est occupé par des vers distingués, policés, d'une très bonne éducation. Ils ne salissent pas la plage 


Ils n'ont pas d'accent non plus.
L'autre côtés des mûres est laissé aux vers sauvageons. C'est pour cela que l'on nomme le fil vulgaire qu'ils nous fournissent la soie sauvage
Sauvageons fournisseurs de soie.
Mais, hélas, les petits tracas de la copropriété existent aussi chez nos charmants habitants des Mûriers. Figurez-vous que certains se permettent de vivre dans le péché. Forcément, ceci les rapproche du reste du verger. Ces vers là décident de se mettre, si vous me permettez l'expression, à la colle. Et créent des cocons doubles... Impossible de les dérouler correctement. Un vrai gâchis !
On va devoir filer ces fils pour en tirer quelque chose, et on va appeler cela du doupion. Parce qu'il faut rester poli, contrairement à ce fil. 

Le doupion tourne mal, et il ressemble beaucoup à un sauvageon. Il n'a ni la souplesse ni la régularité, voire la ponctualité, c'est à dire les politesses élémentaires, du fil venu du beau quartier du Mûrier. Bref, le tissu qu'on va en faire sera... Moche, comparé aux tissus des beaux quartiers. Raide, avec plein d'irrégularités. Quelle tristesse !

Pour que ce soit clair, le doupion est un déchet de la belle soie du bombyx du mûrier (il y en a d'autres, mais ce sera toujours moins régulier, moins brillant), la soie sauvage vient d'autres vers que le bombyx du mûrier. 
Comme quoi, une bonne alimentation, ça change tout ! (Et on a les araignées qui font du beau fil aussi, mais c'est pas le sujet du jour.)

Que va-t-on en faire ? 
Alors, ce regretté Jacoby, dans un article fort intéressant, nous rappelait que chez les Byzantins, qui savaient apprécier les choses issues des beaux quartiers, les tissus de soie sauvage étaient surtout utilisés dans les coins les plus reculés de ce bel empire... C'était quand même un tissu brillant, mais, on ne le gardait pas pour les classes les plus brillantes de la société. On faisait des voiles de mariée pour la communauté juive, ou des uniformes d'apparat pour les soldats les moins expérimentés des garnisons les plus perdues. Il faut bien qu'ils soient beaux pour Pâques aussi. Mais on va pas habiller les gens bien avec.
Le doupion, la soie sauvage, ils ne passeront pas sur nous !
Parmi les tissus retrouvés vers nos contrées, on aurait eu du doupion en fil de chaîne. On ne le repère pas. Et cela fait des tissus meilleurs marchés, ce travail à la chaîne. On peut mettre du lin à la place. Ca donne le change.
Parfait pour les curés de campagne qui ont, quand même, le devoir d'honorer Dieu avec des tissus dignes de ce nom. 


Là, ce sera bon.
Mais pour le reste, il semble que l'habillement civil occidental a soigneusement pris soin d'éviter ces tissus vulgaires avant le XVIIIe siècle. Une époque encore lointaine pour nous. Et il paraît que bien plus tard, c'est méga fashion... Autres temps, autres moeurs. 


Et sinon, pour le shopping ?
On ne va pas revenir sur les magnifiques soieries à médaillons et autres tissus sacrés, souvent des samits, il y aurait des personnes qui auraient écrit des articles dessus... Bref, là aussi, dans le vêtement civil... Ce n'est guère conseillé en dehors d'un très haut statut ou d'occasions absolument exceptionnelles. Si vous voulez porter des soies à médaillons, faites vous curé, empereurs, ou faites vous enterrer dedans. Ce n'est pas compliqué !

Sinon, ça marche aussi bien sur les murs, pour les grandes occasions. Nostalgie ?

Un tissu qui a beaucoup de succès, c'est le diapré... Un tissu qui se fait souvent passer pour un tissu monochrome. Mais, par un habile stratagème, ou plutôt par un tissage savant, des motifs vont apparaître selon l'éclairage. Le ton sur ton. C'est la classe ultime. Si on ajoute du fil d'or, là, c'est la classe ultime ultime. Diapré, c'est le nom qu'on va trouver dans les textes médiévaux du XIe au XIVe. On joue avec les types de tissages. Et puis un jour, on va classer ça dans les lampas. (Tissu façonné comportant au moins une ou deux chaînes et et une ou plusieurs trames, catalogue des soies de Cluny dixit, pour la définition du lampas). En fait à l'origine c'est un type de samit, mais on va perfectionner cela, avec la technique du lampas, et puis, on peut mettre une armure satin. Et hop, on a du damas (attention, quand même : on a des tissus appelé damas, avec du samit, histoire de bien embrouiller. Mais il semble qu'une fois que le satin est bien entré dans les moeurs, le damas soit avec du samit. Gnééééé). Bon, c'est joli, c'est histo, c'est classe. 

Faut vérifier les usages quand même, hein... Y a toujours les curés qui se gardent le plus brillant.

Et sinon, puisqu'on en parle, le samit (le sergé, version soie. C'est quasi pareil mais samit, ça fait bien plus classe, alors que l'armure toile, on l'appelle taffetas, pour la soie, qui peut être en doupion, ou en soie classe. Et dans ces taffetas, on a le cendal, une soie très légère, utilisée surtout en doublure), c'est très bien pour vos vêtements. Le samit, sa grande heure de gloire, là où on en a le plus, c'est XIIIe-début XIVe. Et c'est du double face. C'est un bon truc pour reconnaître ses samits, ça, le double face. Et les samits de nos samits sont nos samits.
Le satin, on le sait, apparaît en Europe à la fin du XIIIe siècle. La plus ancienne trace ayant été trouvée dans la tombe d'Eleonor de Castille, morte en 1275. On a déjà vu par ici qu'il y avait des boulettes de traduction qui laisseraient croire que le satin est arrivé plus tôt. Que nenni ! On reste avec Eleonor, milieu royal, Castille, 1275. Avec toutes les précautions que cela implique.Pour les nuits dans le satin, on va attendre les siècles suivants.

Autre cas, le velours
Alors lui, c'est une vraie star des fêtes médiévales. Plus encore que le satin. Surtout la panne de velours. Jamais en panne, elle. 
Oui... Mais non.
Si c'est pour se marrer, se faire plaisir, pourquoi pas. Si c'est pour être histo... Nan...
Il apparaît vers le même moment que le satin, et il est aussi parfois la traduction de samit (toujours pas bonne, hein). On lui a tout mis sur le dos à ce tissu (le samit), qui est l'un des rares qu'on puisse se mettre sur le dos durant une bonne partie du Moyen Âge sans trop de problème (oui, il traîne même chez les mérovingiens, c'est vous dire !). Alors, on résume... 
Le velours, c'est un tissu rasé, et après, c'est tout doux. 
C'est surtout un boulot de professionnel...
Il peut être de toutes les matières du coup. Faut préciser si c'est soie, laine, etc. Bref, c'est coton. 
Les plus anciens fragments de velours de soie apparaissent très tard dans le XIIIe. On a des velours de soie dans les comptes royaux des derniers capétiens directs. Après, usage ? Mystère et boule de gomme, bien souvent, mais on s'en fait très vite des vêtements. L'heure de gloire du velours, c'est le XVe. Les belles robes bourguignonnes, tout ça. Et les Italiens, ils vous ajoutent des grenades... Bref, des pures merveilles. Avec ou sans motifs.  Damassé ou non. Oui, on peut mélanger les techniques. Vous voulez un aspro ?


Je suis un coupon...
Après, on a des crus... Je vais pas m'étaler en long, en large et en travers sur un somptueux drap de soie, mais... Au XIIIe siècle, on a de la production espagnole (déclinante), italienne (montante), et d'autres qui viennent de Perse ou de Chine, sous domination mongole. Les tissus orientaux, perses et chinois, sont appelés Tartares, tartaires, tartagueulalarécré, tatairs, tatars (un intrus s'est glissé dans la liste. Saurez-vous le retrouver ?). Et devinez quoi ? Vivent les contrefaçons. Les Italiens, ces canaillous, vont se mettre à imiter les motifs tartares. Et finalement, ça va être roule ma poule, on fait comme on veut, on va créer notre propre vocabulaire décoratif.

Récapitulage
Samit : dès Ier siècle, domine XIIIe début XIVe
Satin : apparition fin XIIIe jamais dominant.
Lampas : apparition XIIIe domine XIVe début XVe
Velours : apparition, au mieux fin XIIIe pour le tissage en occident, domine XVe
Damas : milieu XVe, à peu près égaux aux velours



DOUPION ou SOIE SAUVAGE :

MEME PAS EN CAUCHEMAR ! 

Je crois que j'ai dépassé le quota en vannes pourries...

Salut les Reconst !

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