jeudi 7 mai 2020

RECONSTITUTION

LADY CASTEL, Soyez Histo sur vous
Le boudin, c'est dans l'assiette !


Très heureuse de vous savoir là, fidèles au rendez-vous. Je sais ce qui vous préoccupe en ce moment, votre nombreux courrier en témoigne.

"Ciel ! Je dois me rendre à une fête médiévale, et il faut absolument que je me couvre la tête.
Et voilà la solution idéale... Le ravissant petit cercle de velours, rembourré, auquel on aura pris soin d'accrocher un délicat petit morceau de tissu léger." 

Bref, le boudin à voile. 

C'est tellement médiéval ! L'accessoire idéal !

Mais que nenni ma Ninon !

Alors oui, certains diront que cela a existé.
Ce n'est pas totalement faux.
Mais, comme toujours, il faut voir, où, quand, et comment.


Disons le tout net, comme accessoire utilisable pendant tout le Moyen Âge, on a trouvé mieux.
Cette chère coiffe de sainte Bribri est quand même plus utile que le boudin (sauf dans une assiette. Dans une assiette, un boudin est plus facile à digérer qu'une sainte Brigitte. Sauf pour ceux qui ont des tendances à l'anthropophagie. Mais je crois que je m'égare, de Lyon).

Pour commencer ; le boudin histo. Parce que oui, il a existé !
Il faut juste habiter de préférence du côté des Alpes où ça ne parle pas français en théorie. 
Portrait de jeune femme, certainement italienne, par un peintre qui ne l'était certainement pas, histoire de bien nous embrouiller comme si c'était pas déjà assez compliqué comme ça de s'y retrouver entre les vrais, les faux, les restos, les réalistes, les symboliques, faut qu'en plus des peintres franco-flamands aillent faire le portrait d'Italiennes. Comme si y avait pas de peintres locaux ? Non mais c'est scandaleux ! Ils viennent voler la focaccia des honnêtes italiens. C'est pas possible des choses pareilles ! Bravo, madame, d'avoir engagé un artiste étranger. Non, c'est sûr, le début XVe, y a pas de peintre potable en Italie. Pfff... j'vous jure... Sinon, le tableau est à Washington, National Gallery of Arts. Une honte. Vraiment !
Il était une fois une coiffe qu'on appelait le Balzo. Ca sonne italien. C'est normal, c'est italien. Ce qui donc nous donne un indice quant au secteur géographique approprié.
Ce balzo, il a plusieurs formes. L'âge d'or du balzo proprement dit, c'est le XVIe siècle. On y reviendra. Même si c'est vraiment vachement plus vieux...

Une réponse féminine à une excentricité masculine ?
Pour l'instant, on commence par le boudin porté autour de 1400

Durant le XIVe siècle, parfois, on pouvait voir des messieurs porter leur chaperon d'une manière totalement bizarre. C'est un peu comme la casquette à l'envers. Ca donne un genre. Au lieu de se servir du chaperon comme d'une cagoule qui met moins la honte que celle que la maman obligeait à porter pour aller à l'école quand la température descendait sous les 15° ("ne va pas m'attraper la mort hein !"), ben on le roulait en boudin qu'on se mettait sur le crâne, et on s'enroulait le tirliponpon (le liripipe, mais ce nom me fait toujours penser à autre chose...) autour du cou, par exemple. 
Je suis Giovanni Arnolfini, Van Eyck, c'est mon pote, le duc de Bourgogne, tout pareil, et ma femme, elle est liée aux Médicis. Je fais ce que je veux avec mon chaperon. Même du boudin !
Sauf que là, ça se faisait pas dans la zone, mais dans la bonne société. Des rebelles de Neuilly version méd ! 
C'est pas du gâteau, c'est du boudin !
Vous visualisez la chose. Mais on a vite vu ça chez les gens bien, respectables, d'un certain âge, et tout. Et plus on va avancer, plus le boudin va devenir gros. Avec le top durant le XVe.
Un chaperon déroulé
Et pour ces dames, me demandez-vous ?
A mon avis... (qui n'engage que moi), on se retrouve à une période où il est impossible pour une dame avec une garde-robe normale (bref, pas une rebelle) de jouer comme ses petits camarades masculins; puisque le chaperon féminin, fin XIVe, est ouvert sur l'avant. Du coup, on peut pas faire du boudin avec. 

Oui, on en trouve, parfois, de l'autre côté, mais c'est pas tout à fait pareil (les cheveux qui pendouillent dans le dos, c'est pas trop italien, et les plumes dessus non plus. Une Française qui n'a rien compris à la mode italienne... Tsss tsss)
Si les Françaises, Bourguignonnes, Anglaises, Flamandes, etc. vont mettre les voiles, les cornes et les atours (avec, peut-être, parfois, un truc qui pourrait ressembler à un boudin, mais faut relativiser quand même), les Italiennes vont partir dans un tout autre délire, et imiter les messieurs, en s'inspirant de ce qu'on appelle par chez eux, entre autres noms, le mazzocchio (on en recausera de ce bidule). 
Quelques modèles... Enlèvement d'Hélène, vers 1450, National Gallery, Londres.
Et ce mazzocchio version féminine, ce sera un "simple" boudin posé sur la tête, légèrement vers l'arrière. On va le décorer, planter des plumes, mettre des perles, des pendants, faire pousser des citrons. Un truc clââââsse, quoi. 
Pesellino, Triomphe de David et Saül, autour de 1450, NG Londres. Boudins pour hommes et pour femmes.
En fait, c'est marrant de voir que la multiplication des boudins féminins coïncide pile poil (ou pile plume selon les modèles) au moment où les hommes font du boudin de chaperon. 
Maître du Castello della Manta. Fin XIVe. Aloisia de Ceva en Sémiramis. Qu'est-ce qui est exotique, qu'est-ce qui est réaliste dans ce costume ? Très joli balzo quand même.
Allez, comme c'est jour de fête, je vous donne la définition du balzo d'après Elisa Tosi Brandi, dans son petit livre très intéressant Abbigliamento e società a Rimini Nel XV Secolo, p. 93

 il balzo era (...) un'acconciatura appariscente, di foggia rotondeggianteve formata da tessuti avvolti a mo' di turbante, che raccoglieva la massa dei capelli lasciandone in vista solo la radice.
Jacopo della Quercia, gisant d'Ilaria del Carretto, vers 1406-1408, original cathédrale de Lucca (mais là, c'est le moulage).
Ce qui, en langage qu'on comprend mieux par chez nous : "le balzo était (...) une coiffure voyante, avec une forme arrondie formée de tissus enveloppés comme un turban, qui rassemblait la masse de cheveux ne laissant que la racine en vue."
En gros, les cheveux sont pris dans la masse de tissu du boudin. Ce n'est pas simplement posé sur la tête. 
 Le même, de profil. Moulage se trouvant au musée Pouchkine de Moscou.
Elisa Tosi Brandi nous apprend aussi que sur Rimini, une dame en avait un de soie noire, et un autre orné d'une frange de soie bleue et rouge. Des exemples parmi d'autres, la mode à Rimini semblant durer assez longtemps (là, on est dans les années 1460). Mais, en Italie, les modes vont vite, et varient d'une ville à l'autre. On va avoir différentes variétés de balzo.
Pisanello, St Georges, détail (de la princesse, pas de saint Georges). Avant 1440, Eglise sant'Anastasia, Vérone. C'est quoi cette structure ? Y a un plan de montage ?
Après, on a des autres formes de coiffures féminines extravagantes, qui se distinguent de la mode de notre côté du Mont Blanc quand même. De toute manière, cette période va un chouïa vers le gros délire et l'exposition du luxe. 
Pisanello s'amuse... Pour certains, c'est aussi du balzo... Au balzo, balzo masqué, ohé ohé...
Ca se calme un tantinet niveau boudin plus tard dans le siècle, selon les endroits, comme on l'a dit. 
Portrait de jeune femme, vers 1440, Uccello, NY, Met. Un peu plus discret quand même (mais peut-on encore dire que c'est un balzo ? Ca y ressemble, en version "simplifiée". Tout est relatif). Les cheveux sont dans le machin... Vous voyez la différence entre le Nord de l'Italie (genre, Vérone), et la Toscane ?
Ca veut pas dire qu'on va toujours faire dans la discrétion... Des voiles transparents, des perles, des plumes, des postiches, des rubans. Ca reste l'éclate capillaire ! Faut pas déconner non plus ! Mais le bon gros boudin de mamy fait de la résistance.

Le Boudin version Avenue Mozart.
Et forcément, il va devenir le boudin de fifille... Puisque fin XVe-début XVIe, le revoilà à la conquête de toute la péninsule ! Et, pas discret du tout ! Elles ont pu le reconstruire, elles en ont la possibilité technique. Il sera supérieur à ce qu'il était avant l'accident. Le plus gros, le plus riche. En un mot, le meilleur. C'est le balzo qui valait trois milliards !
Madame, on vous a déjà dit que vous portiez la même robe que Sidonia Von Bork ? Ah, vous saviez... En fait c'est elle qui vous a copiée. D'accord... Forcément, Hampton Court, c'est à côté de Londres, alors c'était facile pour Burne-Jones d'aller vous voir... Et pour votre carrière ciné ? On vous a dit ? Tim Burton, tout ça. Oui, encore une sorcière, je sais. C'est pas juste.
Il se porte un peu plus sur l'arrière de la tête que précédemment (ou pas, illusion d'optique, parce qu'on a cessé de s'épiler le front ?), s'orne de résilles, filets, pendants, émaux, fourrures, plumes, broderies, rubans, perles, noeuds, scoubidous, les clés de la voiture... Une invasion. C'est tout juste si on n'a pas des oiseaux qui font leur nid là dedans... (en même temps, ça ferait lecteur MP3)
Lotto, c'est pas facile, c'est cher, et ça rapporte gros si vous en trouvez un chez vous.
Et... Ben ça correspond aussi à un moment où ces messieurs se mettent à porter une espèce de turban, moins développé, moins orné, sur la tête... C'est comme le chaperon en boudin, ça se répond, ça se répand. Oserais-je dire que ça part en eau de boudin tellement y en a partout ? 
Le turban pour homme début XVIe. PLUS HAUT ! (Marrant son tatouage ! Un fan, sûrement.)
Et finalement, à un moment, ça prend la bonne signification de l'expression. Ca disparaît. On le voit plus. Pour les Italiens, y a plus de boudin. Sauf dans quelques tableaux du XVIIe, où l'on peut soupçonner une utilisation de cet accessoire désuet comme marqueur archaïsant. Simon Vouet, je t'ai vu !
J'étais pourtant bien cachée, avec ma robe renaissance en plein XVIIe... La prise de tête !
Mazzocchio et explication de texte
Alors, c'est rigolo, parce que mazzocchio, c'est l'un des noms utilisés pour désigner le chaperon en italien. 

Ca part en eau de boudin, cette histoire de Déluge... Admirez au passage la manière dont les cheveux remontent dans le balzo de la dame.
Or, en histoire de l'art, ça sert à désigner ce volume un peu compliqué, parce que souvent plein de facettes, qu'Uccello adorait mettre dans ses tableaux, à toutes les sauces (aux pommes, c'est bon, le boudin avec sauce aux pommes, mais aux échalotes aussi, c'est pas mal). 

Il s'en sert comme coiffe, mais pas que. L'ami Uccello, il faisait ça pour montrer que c'était un top chef de la perspective, et en tant que tel, il maîtrisait parfaitement l'arrangement du boudin. 
Ca fait bouée, aussi... Mais pas que.
Faut dire qu'on a une anecdote qui dit que quand madame Uccella lui demandait de venir au lit, monsieur Uccello répondait "Ah ! Quelle douce chose que la perspective !"... De là à en déduire qu'il préférait dessiner des boudins, que madame Uccella était un boudin, ou que monsieur Uccello avait des problèmes de boudin (oui, en Italien renaissance le boudin... Si je vous faisais un dessin, ça ressemblerait pas trop à un Uccello... Michel Ange les dessinait -et sculptait- assez bien ces boudins là. Bref, le petit oiseau d'Uccello avait peut-être du mal à sortir et du coup, il se concentrait sur les boudins -on atteint un niveau supérieur dans la vanne pourrie). 

Donc, on a plein d'interprétations de cette petite anecdote ornithologico-culinaire.

Après le chaussée aux moines, le boudin au moine. Vieille recette passée de mode. On se demande bien pourquoi.
On récapépète :
Au final, les diverses coiffes portées autour de 1400 ou en pleine Renaissance qui tiennent du boudin :

1. C'est italien et ça le reste.
2. C'est autour de 1390-1470 (avec exceptions locales), et ça revient dans le premier tiers du XVIe
3. Ca ressemble pas à ce qu'on peut voir sur les fêtes médiévales actuelles.
4. Y a pas de voile qui pendouille derrière ou sur les côtés (c'est quoi, au final ce machin ? Le fils caché du balzo et de la "touaille" ?)
Ca compte pas, je suis la reine de Saba. Ma coiffure est exotique et anachronique ! (et puis, je suis chermanique)
5. C'est pas en polie Esther, en Assuréus, ni même en vrai velours qui arrive pas à démarrer.
6. Ca ne se portait pas du temps d'Aliénor ou de Blanche de Castille.
7. Les cheveux sont pris dedans dans la quasi totalité des cas.
8. Les exemples hors Italie sont rares, et ne ressemblent pas à ce qui se vend.

9. Non ! Ca fait pas médiéval du tout ! Renaissance, si c'est bien employé (et on va pas repartir dans le débat "quand commence la Renaissance", on cause de l'Italie, donc, c'est avant tout le monde).

10. Après, si c'est pour se faire plaisir, ou rigoler un bon coup...



Vous notez que je n'ai pas fait la blague que tout le monde attendait !

SALUT LES RECONSTS !

2 commentaires:

  1. Il convient également de noter que cette coiffe existait de l'autre côté des Pyrénées:
    https://www.museodelprado.es/coleccion/obra-de-arte/la-decapitacion-de-san-juan-bautista/1a539971-61dd-45f1-8215-a100c7befea6

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  2. Merci pour cette source. Le sujet prête à caution. Salomé et Hérodiade sont souvent vêtues et coiffées d'éléments fantaisistes. L'exubérance des coiffes et la richesse sont très certainement à mettre en rapport avec l'altérité.

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