dimanche 9 avril 2017

COSTUME XIIIE

UNE JOLIE PETITE ROBE BLEUE
Ma première robe XIIIe 
et pourquoi elle est ratée, avec le recul.

Elle était mignonne cette robe, mais ça ne va pas du tout...

C'est l'histoire d'un petit coupon de tissu.

Il y a longtemps (2010, pour être précise) j'avais craqué pour un beau coupon de laine bleu pâle. La couleur me plaisait. J'étais encore toute jeunette dans la reconstit. En plus, à cette date, je venais juste d'éliminer de mon entourage une personne persuadée être une référence textile, qui savait très bien causer, jouait sur l'affectif, les cadeaux... Mais qui, au final, m'a surtout offert des conseils absolument catastrophiques... Donc, tout ce que j'ai pu faire avant 2010... Faut trouver un moyen de recycler (et c'est pas gagné).
J'ai alors demandé conseil à une autre ancienne de la reconstitution qui m'a dit que la couleur était ok, mais, pas pour du noble (ce que je comptais faire). J'ai pris quand même, des fois que je tombe sur la tête et décide de faire la pécore.

Remarque : la question de la cohérence couleur/statut était parfaitement établie à cette époque. En revanche, la question de la cohérence couleur/qualité de laine/statut... Euh...
Joker ?
La couleur (un peu plus pâle) ne va pas du tout avec la qualité du tissu... Ne pas oublier d'en tenir compte !

Bref, j'étais l'heureuse propriétaire d'un magnifique drap de laine bleu pâle d'extrêmement belle qualité pour faire éventuellement une pécore XIe.

Ah oui... La question cohérence qualité de laine/date... Ca commençait à circuler, mais ceux qui avertissaient passaient encore pour de doux illuminés qui risquaient de faire refaire les costumes, ah non alors ! (Et j'avoue ne pas en avoir fait partie... J'étais en phase d'éveil, là... Piaaaaaaaaaaaaano piaaaaaaaaano...)

Remarque : tant qu'on n'admet pas la possibilité qu'on se soit totalement planté et que les costumes soient totalement à refaire... Ben, on ne peut pas prétendre faire de la reconstitution...

Et je n'attendais donc qu'une chose : que l'occasion de l'utiliser se présente.

Un an passe.

- Toc-toc.
- Oui ?
- Bonjour, je suis l'Occasion !
- Enchantée l'Occasion !

Ma première participation à Bouvines (1214). J'avais même pas envie. Se faire une robe de pécore... Mais ça me donnait l'opportunité d'utiliser un certain coupon de laine bleu pâle.

Comme le XIIIe était l'Inconnue... J'ai demandé conseil. Et j'ai sorti une robe qui correspondait à ce qui se faisait à l'époque.
J'avais même ajouté des broderies discrètes.
Pas bien.

Robe considérée comme histo.
Maintenant, même pas en rêve.
C'est quoi ce truc ? Fallait pas !

Et pourquoi ?

En gros, dès le départ, dès l'instant où j'avais acheté ce coupon, c'était fichu...

La qualité du tissu ne correspondait pas à la couleur et au statut. Il s'agissait d'un très beau drap de laine, bien lourd. Le top du top de l'industrie lainière du début XIIIe. Du tissu destiné à la haute noblesse, pour l'hiver.
Pas à une pécore.
Or, la couleur correspond à de la couleur pour pécore.
Ce qui veut dire que où qu'on se place au Moyen Age, ce tissu était inutilisable tel quel. Il aurait fallu le reteindre pour obtenir un bleu plus saturé (ce que j'ai fait avec un autre coupon de laine, qui attend d'être transformé en quelque chose), qui correspondait à sa qualité.

Voilà voilà voilà...

Mais quitte à faire ce qu'il ne faut pas faire, autant y aller jusqu'au bout !

La taille du coupon est un autre problème : faire une robe pour un machin comme moi dans un coupon de 300 x 150... Y a comme un malaise. (faut 450 pour avoir quelque chose de correct dans mon cas. Avec 300, je peux faire un surcot, et c'est tout. Tiens, d'ailleurs, le coupon que j'ai fait reteindre par Micky -de l'Atelier de Micky, pub gratuite et spontanée- fait 300. Acheté en 2009. Il finira en surcot)

A partir de là, tout s'enchaîne gaiement pour la catastrophe. Y a une démarche derrière, hein... Mais la démarche, ça vous emmène là où il faut, ou en bas de la falaise à la vitesse V... Là, c'était la falaise.
La robe ne fait, devant, que 155cm de long. L'arrière, un peu plus... Légère traîne.
C'était avant que je ne voie la robe de sainte Claire et que je n'aie ses mesures, mais j'avais déjà envisagé la traîne. A force de voir des robes remonter derrière, alors qu'elles étaient de la même longueur devant et derrière, je me suis dit que rétablir l'équilibre serait une bonne idée. Et c'était une bonne idée.
Juste que c'était malgré tout bien trop court.

2011/2016... Pas la même quantité de tissu. Même si la bleue est une robe pauvre, ça ne suffit pas à justifier la faible longueur et le manque d'ampleur... (la rouge est une robe noble. On a plus du double d'ampleur entre les deux robes. Et elle ne dévoile pas les pieds...)
Je résume la robe de sainte Claire : la sainte mesurait dans les 1.60m. La robe fait 170cm devant, 175 derrière. Donc la robe est plus longue qu'elle ne l'était.
Robe de sainte Claire, Assise


155cm, c'est pas vraiment plus long que 1.82m, je crois...
Epic fail...

[Tant qu'il est question de la robe de sainte Claire, je me dois de faire une rectification importante, qui concerne mon bouquin sur le costume 13e...

Euh... Grooooos lapsus. La manche de la robe de sainte Claire n'est pas finie par une couture au point de gribiche, mais une couture au point de grébiche ! Voilà ce qui arrive quand on écoute des recettes de cuisine données par Desproges tout en travaillant. Lapsus fiesta ! (J'avoue, ça me fait bien rire. Mais ça m'ennuie de m'en être rendu compte si tard !)]


Maintenant, pour une robe de pécore, je vise, au moins, ma propre hauteur. Les oeuvres médiévales sont sans appel, même pour les représentations de femmes au travail (exception faite des personnages bibliques et des allégories, mais là, on est dans une tradition iconographique paléochrétienne... Parfois transformée. Qu'il vaut mieux éviter). Il y a des astuces pour ne pas être gênée par la longueur quand on travaille, qu'on se déplace les bras chargés. Elles sont figurées. La plus simple consiste à blouser sa robe un peu plus, quitte à dévoiler les chevilles (horreur !).

La Luxure, cathédrale de Reims. Il s'agit d'un Vice, qui en montre donc bien trop (taille, noter la largeur de la ceinture qui attire l'oeil vers l'une des zones les plus érotisées au XIIIe siècle, dessous visibles), mais cette sculpture présente l'intérêt de montrer la masse de tissu, et une astuce pour pouvoir se déplacer sans les mains. Méthode testée dans des escaliers.

Nécessité fait loi. Et dès qu'on le peut, on redevient présentable.
Il est impossible de blouser cette robe, car trop courte. Donc, la taille est apparente. Je rappelle que c'était pour Bouvines, à cette date, ça peut encore passer. Par la suite, la taille est couverte par le blousage, généralement sur tout le tour, ou parfois seulement sur les hanches.
Une Vertu de la cathédrale de Strasbourg, vers 1280. On blouse quand même sur les hanches... L'absence de surcot ou de manteau peut s'expliquer par le fait qu'il s'agit d'une allégorie. Ainsi, et en tant que jeune fille, elle peut dévoiler une partie de sa taille. Ceci serait totalement inconvenant pour une femme.

Je tiens d'ailleurs à signaler que Séverine Watiez (Perline) était la seule à l'époque à avoir souligné le problème de longueur. Elle a l'oeil ;)
Et j'avais fait la réponse classique "oui, mais sinon, on peut pas bosser avec".
La réponse qui est le leitmotiv de justification des robes XIIIe trop courtes, en dépit des sources, et des diverses méthodes montrées par les sources. 
Une robe XIIIe, c'est long. Même si on travaille ! 

2011-2016, encore. (Toujours tenir compte de la différence de statut. Et sinon, oui, j'ai le pied grec...)

Le patron, c'était pas mal aussi.
J'étais partie sur un grand panneau rectangulaire, à l'avant et à l'arrière. Je pars toujours ainsi. A un léger détail près. Maintenant, le panneau fait, au maximum, 50 cm de large (parfois seulement 45), et je creuse un peu pour l'emmanchure, ce qui le réduit à 40 cm, voire moins (37cm après rentrés, une fois les manches cousues, et ça reste très confortable). Et cela part en trapèze, très tôt, avec l'ajout de godets latéraux montant haut.
Là... Ben, ça partait tout droit. Avec les emmanchures, droites, tombant sur les biceps.
Le truc à éviter en XIIIe, même si on fait du pécore. La coupe trapèze XIIIe, qui est vraiment caractéristique... Y a pas.
Tunique de saint François, Assise. Le trapèze est nettement visible. Et même l'ampleur (sachant que saint François était plus petit que sainte Claire...) Et on ne peut pas vraiment parler d'emmanchure droite...

Les manches... Je me rattrape un peu là dessus... Amples en haut. Serrées sur l'avant-bras. J'avais quand même un truc bon (j'avais peut-être pas encore vu sainte Claire, mais j'avais vu Saint Louis, et j'avais commencé à étudier la forme des manches XIIIe. Juste que l'emmanchure n'avait pas la bonne forme et n'était pas au bon endroit. Une broutille...
Ou pas...
Ce qui est marrant, c'est que j'avais été attaquée sur le resserrement sur les avants bras (et l'ampleur en haut) comme n'étant pas XIIIe.
Euh ?
Ben, justement, c'est totalement XIIIe. C'est ce qui est le plus caractéristique du style XIIIe.
Manche faite en deux parties, par souci d'économie de tissu...

Les godets. Là aussi, merci Saint Louis. Voir des godets plissés m'avait fait me poser des questions... Et je me suis rendu compte que les godets triangulaires... N'étaient, à l'origine pas si triangulaires que ça, mais étaient des trapèzes plissés en leur plus petit côté pour donner la forme d'un triangle.
On dirait que j'ai pas raté ça.
En dehors du fait que c'est pas assez long et ample à ce niveau, évidemment.
Parce qu'il n'y a que 3m d'ampleur au sol... Impossible de faire correspondre ça avec les tenues de l'époque... Même sur des représentations de pécore...

Je les avais accumulées les âneries !


En prime, il n'y a qu'une robe. Pas de manteau, pas de surcot. Insortable, en fait !
Le fait de n'avoir qu'une seule pièce fait encore plus pécore (parce que je ne suis plus une jeune fille, chez qui cela peut être toléré). Et du coup, le tissu colle encore moins avec cette vraie misère, qui n'a même pas de quoi s'habiller décemment...
Je rappelle qu'une femme respectable ne sort pas en corps. Sauf si elle n'a pas de sous... Ou si elle va travailler pour en trouver, avec son corps, en gros.
Après, à la campagne...
Différence de statut marquée par le vêtement... La femme de rang supérieur a plus de couches, et une coiffure plus sophistiquée. On remarque aussi les blousages et longueurs. La femme noble se serait-elle déplacée chez la future nourrice ? (Le Régime du Corps, vers 1285, British Library, Londres, ms Sloane 2435, 28v)

Un festival !!!

Je récapitule 

Ce qui ne va pas (erreurs à éviter) pour cette robe supposée être 1214, pauvre :
INCOHERENCE TOTALE entre tissu/statut/couleur/date : qualité qui ne correspond pas au statut, ni à la couleur. Et qui est même rare pour 1214 chez les riches.
Trop courte, trop étroite.
Patron qui n'est pas trapézoïdal dès les épaules. 
Emmanchures trop basses. Emmanchures droites.
Godets insérés trop bas.
Absence de surcot : robe portée seule (trop vieille pour ça, allez, c'est dit !) : indécence, ou indigence ? (Je pense cependant qu'à la campagne, pour du pauvre, ça peut se tolérer)
Mais c'est quoi ces broderies ??? 
Oui ! C'est quoi ces broderies ???

Ce qui va :
Arrière un peu plus long. 
Manches resserrées sur les avants-bras. 
Couleur. 
Godets plissés au sommet.



Le Tentateur et une Vierge Folle, vers 1280. Cathédrale de Strasbourg. De l'ampleur, de l'ampleur, de l'ampleur. Plus on avance dans le siècle, plus on a de tissu. Déjà qu'on en a beaucoup au début du siècle... (Evidemment, replacer selon les statuts, aussi...). En bonne "allumeuse", la Vierge Folle joue à tenter le Tentateur en lui montrant sa taille, quitte à déchirer son surcot. A noter que la Vierge Folle de droite dévoile plus sa taille, y compris sur les flancs, que la Vertu vue plus haut... Coïncidence ?


Ce qu'il aurait fallu faire IMPERATIVEMENT :
Prendre un autre tissu, plus grossier. 
Dans les 180 de haut devant (pour mon 1.82cm...)
4 à 4.50m d'ampleur minimum.
Patron trapézoïdal.
Emmanchures plus ergonomiques.
PAS DE BRODERIES, SCROGNEUGNEU !
Prévoir une seconde pièce. C'est quand même préférable, même à la campagne.
Savoir écouter les bonnes personnes... 

Verdict :
Copie à revoir totalement.
Y a du boulot.
Edit, des années après... Vous savez que dans des sources XIVe, on trouve, chez les riches, des mentions de bleu ciel ??? Finalement, la couleur n'est peut-être pas si impossible. Pour du XIVe. 

Comme quoi, ça bouge, ça bouge, les connaissances. Mais, ce qui ne bouge pas, c'est que la coupe est ratée...

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