dimanche 12 février 2017

AMOURS, GLOIRE ET RONCHON

EFFIE GRAY
De Richard Laxton
2014



Celui là aussi, il était temps que je le regarde. 
Un film qui gravite autour des Préraph, forcément, à un moment ou à un autre, je ne laisse pas passer. Et comme en prime j'adore Emma Thompson... On va pas se priver. 


Arrivée au Home Sweet Home pour Mr and Mrs Ruskin (Greg Wise, remarquable en ronchon coincé et cuistre, et Dakota Tanning)

Une jolie histoire de mariage entre Effie Gray, une jeune et jolie écossaise, et John Ruskin, le plus célèbre critique d'art anglais du XIXe siècle... Celui qui a fait beaucoup pour Turner, et pour les Préraphaélites (même s'il est arrivé à la fin de la bataille... On y reviendra).

En fait, dans la catégorie mariage foireux, celui-ci met la barre très haut ! 
Une belle-famille qui vend du rêve (Julie Walters et David Suchet)

Entre, le mari ronchon qui ne s'intéresse qu'à ses écrits, la belle-mère ultra méga possessive qui ne jure que par son fifils chéri et qui donc déteste la bru, et va même la bourrer de laudanum histoire de calmer l'hystérique, et le beau-père qui vaut pas mieux et est aussi béât d'admiration devant fiston... La pauvre Effie va un peu déguster. 


Aaaaaaaaaah... Ce bleu ! (pardon... Je m'égare)

Le mariage non consommé,  c'est déjà top. J'ai bien aimé le travail en filigrane autour de la jeune soeur d'Effie... C'est à peine suggéré, mais ça laisse deviner le problème de Ruskin. Effie, qu'il courtisait plus ou moins quand elle avait 12 ans, aurait-elle été un peu trop vieille quand il l'épousa à 18 ? On n'a jamais su les vraies raisons de la non-consommation (on a suggéré le dégoût soit des poils, soit des règles). 
Sophie Gray, portrait de Millais, 1857, coll. part.

Jouer sur le personnage de Sophie et rappeler qu'Effie était très jeune quand elle et Ruskin se sont fréquentés serait une discrète touche qui pointerait dans la direction du problème. (Et si en plus on ajoute la fiancée suivante de Ruskin... Qui était aussi très jeune... On a l'individu trèèèèèèèèèèèès sain... Pour rassurer tout le monde, la famille de Rose La Touche -oui, y avait une blague- a pris des infos auprès d'Effie et a empêché le mariage).
Ruskin par Millais, 1853-54, Ashmolean Museum, Oxford.

On devine donc très vite que le mariage est un fiasco et que la vie chez les Ruskin est très fun, si on aime le bruit des pendules, des repas silencieux, et les belles-mères abusives. 


Ambiance chaleureuse...

Et Effie dans tout ça ? Elle préfère la vie mondaine. Et elle va se faire une amie, Lady Eastlake (Emma Thompson). Lady Eastlake est un perso assez important dans l'art anglais de la 2e moitié du XIXe. Et je suis très contente de la voir dans le film. Parce que, quand même, si on parle des muses (Jane Morris, Fanny Cornforth, Alexa Wilding), des femmes artistes -souvent muses aussi (Liz Siddall, Marie Stillman, Maria Zambaco, Evelyn de Morgan -euh... Help !), des amies intimes-confidentes (Frances Horner, Helen Mary Gaskell, Aglaia Coronio), les femmes qui ont écrit des choses intéressantes sur l'art de leur époque, ou des époques précédentes... Elles sont scandaleusement zappées. Je pense en particulier à Julia Cartwright, qui, selon Burne-Jones, avait écrit les choses les plus intelligentes à son sujet. Et il y a surtout Mrs Jameson, qui travailla énormément sur l'iconographie et à laquelle Ruskin piqua quelques idées. Mrs Jameson n'a pas pu finir son dernier ouvrage "Story of our Lord" (illustré de gravures faites par Poynter, le beau-frère de Burne-Jones, au passage). C'est Lady Eastlake qui a fini le boulot. 
La vraie Lady Eastlake dans les années 1830 (donc, premier mariage, donc pas encore Lady Eastlake...)
 
Rien que ça, même si ce n'est guère appuyé, remet quelques petites pendules à l'heure, en montrant que la femme du directeur de la Royal Academy, et de la National Gallery n'était pas une potiche. Mais une historienne de l'art reconnue de son temps. Et aussi de nos jours par les rares qui tiennent compte des victoriennes qui écrivaient.


Lady Eastlake (Emma Thompson) et Effie, devant un tableau de Millais... Je trouve l'arrière plan assez intéressant dans le contexte.
Il y a d'ailleurs un parallèle intéressant entre le couple Eastlake et le couple Ruskin. L'un a fini par très bien fonctionner, par un attrait mutuel pour l'art. L'autre a mal tourné... Et pourtant Effie est tout aussi passionnée. Bref, l'une est bien tombée. Pas l'autre. 
On ressent évidemment de la sympathie pour Effie. Ruskin fait un peu pitié. Ses parents, surtout la mère, sont carrément antipathiques (mais on est prévenu dès le début du film...). 
Je passe sur le relou vénitien.
Le relou vénitien

Et il y a Millais... Qui au moins la comprend. Lady Eastlake aidera Effie à quitter Ruskin. Millais n'a plus qu'à attendre l'annulation.Autrement dit, Millais est intelligent, sensible, et amoureux... Et en plus, il sait peindre.
Millais (Tom Sturridge)


La suite pas racontée... Effie et Millais ont 8 enfants. Ruskin. Rien. Evidemment, celui-ci ne joue plus trop le rôle de mécène pour Millais (étonnant...). Effie devra abandonner la vie mondaine qu'elle adorait. La reine Victoria n'appréciant pas l'histoire de l'annulation de mariage. 

Effie Gray, par Millais, 1853.

C'est la seule ombre au tableau. On accusera Effie d'être responsable de la peinture moins intéressante, plus commerciale de Millais, qui avait 8 enfants à nourrir. Mais, elle n'a pas l'air de l'avoir poussé dans cette voie. 
Et puis, sur la fin, elle aura le droit, une fois, d'approcher la reine. Si, si... 
My second sermon, 1864, Victoria and Albert Museum, Londres. L'une des filles d'Effie et Millais.

Le mouvement préraphaélite explose peu après que Ruskin ne s'y intéresse. Mais ça repart avec l'arrivée de mes duettistes favoris, Ned et Topsy. Ruskin se tournera vers Rossetti, puis Burne-Jones. Il paiera même le voyage de noces de Ned et Georgie. Ned devait fournir des dessins. Juste que... Ruskin les a accompagnés. Etre en voyage de noces à Venise, avec un ronchon pareil. Bonjour l'ambiance !

Et, contrairement à Desperate Romantics, les tableaux ne sont pas des copies affreuses des originaux. Ouf !!!
The Order of Release, 1852, Tate Gallery, Londres. Effie posa pour le tableau. Il n'y avait encore rien entre elle et Millais à cette date...


Ah, oui, les costumes...
Ben... En fait, j'ai pas trop regardé. A priori, la plupart collent bien à l'époque (peut-être une ou deux robes trop tardives). Le piège crinoline a été évité, puisqu'on est au début des années 1850, pas à la fin. 
Les coiffures... Au fur et à mesure qu'Effie vieillit, les cheveux montent, heureusement. Je crois que certaines coiffures de Lady Eastlake sont plus tardives. A vérifier. Mais, s'il y a de petits arrangements, ça ne nuit pas au film.
Bref, pas d'anachronisme à s'arracher les cheveux...

Finalement, on se laisse prendre.
Parce qu'en plus, les acteurs sont excellents.  

A VOIR 
SURTOUT POUR LES AMATEURS DE PRERAPHAELITES, évidemment...

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