dimanche 10 janvier 2021

LIVRE MYSTERE

CATHEDRALE SANS NOM

C'est pas parce que c'est imprimé que c'est correct.

Puisqu'on parle d'une cathédrale sans la citer, on va mettre une cathédrale imaginaire de Schinkel.

Généralement, je parle de livres que j'ai appréciés. Pas cette fois.

Il y a un livre, acheté il y a quelques années à la boutique d'un musée, qui m'a profondément marquée.

On se dit "boutique de musée, ça doit être sérieux". Or, c'est loin d'être toujours le cas (la preuve, mon bouquin se trouvait au musée de Cluny, comme quoi ! )

En fait, on trouve de tout. Des ouvrages de références, et des choses qui sont généralement destinées au grand public, et qui ne sont pas forcément des cadeaux. 

Or, donc, j'ai un jour acheté un de ces ouvrages (plus d'une fois, mais celui-là... ouh la la). J'ai feuilleté, les thèmes avaient l'air sympa, ça concernait les sculptures de la cathédrale locale, et y avait de belles photos. 

Quand j'ai commencé à le lire... J'ai trouvé une chose très discutable, puis une autre, encore une autre, et encore, et des erreurs phénoménales ! 

C'était bien écrit. Vraiment. Après recherches, l'autrice s'est révélée être prof de lettres. Donc, ça peut être bien écrit. Je ne vais pas vous faire la liste de toutes les émotions par lesquelles je suis passée, il y en a eu beaucoup, parce que trop de choses qui n'allaient pas. Et, sur la fin, il y a quelques infos qui sont intéressantes (pour être gentille, on va dire une petite dizaine de pages, sur 64. Une toute petite dizaine...). Vraiment.

Un truc dans le genre...
Je ne donnerai pas le titre du bouquin. Il concerne une cathédrale célèbre, est vendu au musée, et à la cathédrale, il est pas épais, ça cause sculpture. Après, 10 euros pour avoir de très belles photos, ça peut le faire. 

Mais pour ce qui est du texte (en dehors de la mini dizaine finale)... 

Surtout qu'à côté on a eu, quelques années plus tard, un ouvrage de référence sur la sculpture de la cathédrale de Biiiiip. Là, c'est de l'historien de l'art réputé, bien calé sur la sculpture médiévale. Il y a beaucoup plus de pages, des photos en noir et blanc (dans l'autre, c'est en couleur !), les recherches sont plus poussées... C'est marrant, au final, y a pas photo entre les deux livres. Le livre en noir et blanc se permet même le luxe d'être plus haut en couleur.

Allez, qu'est ce qui ne va pas (ou qui va) dans ce fameux bouquin qui est planqué au fond d'une boite chez moi ? (Sort que je ne réserve pas aux livres écrits par "Historien de l'art dont je ne citerai pas le nom", donc, forcément, je parle de l'autre). 

Ce serait quand même laborieux de faire la liste de toutes les erreurs du livre. Je vais évoquer ce qui m'a le plus dérangée.

Une vraie cathédrale isolée.
 Déjà, un problème majeur : il est focalisé sur UNE cathédrale. Ca ne parle QUE de cette cathédrale. Et rien d'autre. Or, quand on veut mettre en valeur les particularités d'une cathédrale gothique... on parle des autres chantiers. Obligé. Les sculpteurs de Biiiip venaient de quelque part et allaient quelque part, à la fin du chantier (ou lors d'interruptions trop longues), sauf décès, accident, changement professionnel, contrat juteux dans une autre église de la ville. Là, rien. La cathédrale de Biiiiip est une sorte d'île qui n'a aucun contact avec le monde (j'exagère à peine). C'est pas bon. C'est un signe d'ouvrage à éviter. On parle d'un livre, pas d'un article de 10 pages ou d'un petit ouvrage de présentation. Là, c'est un livre qui veut montrer l'intérêt de certains détails du monument.

Méconnaissance flagrante de l'image médiévale. Ca, c'est courant... Par exemple, aucune compréhension des enjeux de la représentation de la nudité (il y a plusieurs pages pleines d'envolées lyriques là dessus... Ca fait mal). Un seul aspect de la représentation de la nudité est envisagé. Or, l'image médiévale est polysémique. Et là, pas d'bol, le sens pris en compte n'est pas le bon. Une image médiévale, c'est une chose et son contraire et plein d'autres choses encore. Ce n'est pas un sens unique ou un stationnement interdit.

Méconnaissance de l'art en général. Alors, parfois, il y a des "comme dans l'antiquité grecque". Euh... Ben, oui, justement. Mais pas grecque... Romaine... Y a des ruines romaines à Biiiiip ! Comme par hasard ! Remployées au Moyen Age, en prime. Donc connues. Et les liens sont supposés par les historiens de l'art, entre la statuaire de la cathédrale et certaines ruines locales. Et, pour en remettre une couche... L'influence antique, on se la trimbale au moins depuis Chartres, sur les chantiers des cathédrales (donc, c'est pas Chartres. En fait, de l'influ antique, on en a plein, chez les méros, les caros, les romans...). L'influence antique de Biiiiip est indiquée dans un ouvrage très généraliste sur la cathédrale. Pourquoi ne pas avoir souligné que le fait était connu ?

Nous sommes deux frères jumeaux, nés sous le signe de l'Antiquité... Et on vient de Chartres.
 Coïncidence ? le chantier de Biiiip est proche, chronologiquement de celui de Chartres... Tellement qu'on se dit qu'on a des chances d'y retrouver les mêmes gugusses (et sur Noyon ensuite, entre autres destinations -donc, c'est pas Noyon non plus). Ca sert un peu de sortir de sa ville ! Je sais bien que le nombre de pages est très réduit. Mais... Purée, au lieu de faire des belles phrases, ben... Une petite ligne peut signaler les rapports avec l'antiquité (rapports établis, pas juste du "comme"), peut signale le fait que ça a été étudié. C'eut été une excellente idée, cette petite ligne. A part ça, on en cause de l'Ecole de Biiiip ? Y aurait pas des manuscrits à influence antique qui en viennent, dont certains pourraient même avoir des points communs avec les sculptures de la cathé ? J'demande, juste en passant... C'est pas parce qu'on est dans la sculpture gothique qu'on doit oublier les autres arts, même plus anciens.

Je garde quand même le sourire


Je préfère pas parler de ces histoires du refus de portraiturer les gens du peuple avant le XIXe siècle. Un peintre comme Hals saura apprécier. (Et il y en a avant). Ca va tellement loin dans l'incompréhension qu'emportée par son élan, l'autrice finit par dire que les portraits, même de gens célèbres, se retrouvent au bout de quelques générations dans les greniers... 

 

 

Pas de grenier pour LA Star !
 

 

Euh... La Joconde ??? Youhou ??? Les marchands d'art ? Les collections princières ? Les Epoux Arnolfini sont passés, au XVIe, dans les collections de Marguerite d'Autriche, pour passer ensuite dans les collections royales espagnoles, et se retrouver entre les mains d'un Ecossais qui l'a vendu aux Anglais. C'est ça un grenier ? (Ca y est, je suis encore énervée...) C'est pas de l'énormité, ça ? Y avait de la clientèle pour les portraits, de gens connus ou d'anonymes !

 

 

 

 

 

Méconnaissance du costume. Et que je te cause de bliaud pour du XIIIe. L'autrice a bien utilisé un ouvrage sur le costume... Mais un ouvrage qui ne devient pertinent que quand ça y cause de ce qui se passe après 1340. Avant, vaut mieux éviter de le regarder. Ca fait mal. 


Aberrations sur la religion. Parler du Purgatoire pour les périodes d'avant le XIe, quand la notion de Purgatoire n'apparaît que fin XIIe... Voir Le Goff... C'est une notion compliquée, très mal amenée, et restituée. 

 

 

 

Et alors, là où ça part en cacahouète total, c'est quand on arrive aux têtes. Possibles que ce soient des portraits. On le suppose pour pas mal de ces sculptures, ailleurs. Portraits de maîtres d'oeuvre, d'ouvriers. On ne sait pas trop la signification réelle de ces têtes, surtout quand elles deviennent grimaçantes, et qu'elles se trouvent hyper haut. Camille a des idées intéressantes. Je vous renvoie à son bouquin Image on the edge, qui a été traduit en français, et que l'autrice a utilisé. 

Vive le téléobjectif pour mieux me voir !
 Sauf que la traduction a fait perdre le second degré, et que l'autrice n'a pas l'air d'avoir saisi le second degré. Oui, les sculptures ne se voient bien qu'au téléobjectif... mais ça n'a rien de surprenant d'avoir des statues en hauteur dans les cathédrales. Il y a moyen de monter, déjà... Et même, il y a aussi l'existence d'un monde invisible (anges, démons...) qui peut les voir. Et les têtes sculptées auraient une fonction protectrice, tenant les démons à distance. Cherchez pas ça dans le bouquin, faut pas rêver. Le pire, c'est que le livre laisse l'impression que ces têtes en hauteur, qu'on ne peut voir qu'au téléobjectif sont une spécificité de Biiiiip. Il y en a beaucoup, c'est vrai, mais on en trouve partout. Dans toute l'Europe. Or, tout le livre est ainsi. Tellement focalisé sur une cathédrale qu'on a l'impression que tout ce qui est présenté est unique.

Hello ! Je suis pas très haut, c'est vrai. Il y a bien plus haut sur la cathédrale locale, n'y a-t-il pas ?

Et alors en plus, on a des passages en mode lyrique... Avec un sentimentalisme XIXe, cherchant à se propager au XIIIe. Mais non !!! 

Avec, la cerise sur le gâteau... L'interprétation "critique sociale ou politique".

Excusez-moi, je vais pleurer un petit peu... 

Que des personnages soient difformes et grimaçants, c'est dans la nature de ces images en hauteur... Comme expliqué précédemment. On peut ajouter les scabreux, scatologiques, etc. Tout ceux qui donnent des raisons de regarder en l'air parce que c'est rigolo. 

Je suis un atlante, j'en ai plein le dos, et pourtant je ne viens pas de Biiiiip. Alors, c'est quoi l'explication de ma présence sur ma cathédrale ? De quelle oppression suis-je le symbole ?

Grosse théorie autour d'un événement historique réel. Des émeutes contre les autorités religieuses locales, durant la construction, le chantier de Biiiip, pendant les "émeutes" (quelques années) a été arrêté. Si on suit le livre de  ce vrai spécialiste qu'on ne citera pas, les sculpteurs (qui, les ingrats, ont besoin de manger) se sont barrés, parfois avec des sculptures déjà faites, ailleurs. Dans le petit livre, on a droit à un gros passage sur les atlantes, symboles de l'oppression (je simplifie peut-être un peu trop, mais c'est ce qui ressort du propos)... Le problème, c'est qu'à Noyon, on a un atlante, qui pourrait avoir été prévu et sculpté pour Biiiip. Avant les émeutes. Avant l'éventuelle oppression que les atlantes symboliseraient discrètement. Et des atlantes, on en a ailleurs qu'à Biiiip ou Noyon. Ca sert vraiment, d'aller voir ailleurs. Une cathédrale, ce n'est pas un chantier isolé fait avec des sculpteurs locaux. Ca s'inscrit dans un tout. Et, en prime, là, on a une cathédrale faite de chantiers successifs, avec des parties régulièrement remaniées, des parties restaurées à diverses dates (ça, c'est précisé. C'est bien)...  

Youhou ! Vous m'voyez ? Oui, faut un télé, je sais ! Je ne suis pas à Biiiip ! Qui m'oppresse ? C'est la lutteuh finaleuh !

Je sais, c'est pas bien de démonter un livre comme ça (mais y a  ni l'autrice, ni le titre, ni la cathé... Ca, à la limite, ça peut se deviner). C'est visiblement l'oeuvre d'une passionnée par l'histoire de sa ville et ce monument, qui a vraiment cherché à se documenter. Mais... Il manque de toute évidence les bases en histoire de l'art. Même le recours à Michael Camille (qui pourtant savait de quoi il causait) est mal venu, car mal compris (quand on n'a pas les bases en iconographie médiévale, on passe à côté de beaucoup de détails importants et on considère comme info majeure ce qui est à prendre au second degré). 

Passionnée par sa ville, elle en oublie cependant certaines créations locales qui auraient dû être mises en rapport avec l'édifice. Un épisode historique a eu un réel impact sur la décoration de l'édifice, oui. Mais pas comme cela est avancé dans l'ouvrage, qui part vraiment en portnawak, sans aucun élément valable. Juste une lecture partiale des images, sans tenir compte de ce qui se passe ailleurs, et avant. Se focaliser sur un unique bâtiment, sans chercher à le contextualiser, en fonction des autres, a tourné à la catastrophe. Même s'il y a quelques remarques intéressantes. S'il y a de belles photos, et d'autres qui sont des documents très importants (parties aujourd'hui disparues). 

En gros, on retrouve un problème majeur :  pour pouvoir tirer des informations utiles de ce livre, il faut déjà avoir des bases très solides. Des lecteurs non avertis pourraient prendre pour argent comptant tout ce qui est avancé dedans. Or, ici, la balance est sans appel. Il y a trop peu de positif. 

Il y a des passionnés, des amateurs éclairés qui peuvent faire des études de qualité, qui font avancer les choses, qui rendent un réel hommage, mérité et pertinent, au monument qu'ils présentent. Là, ce n'est pas le cas. Pourtant, il reste quelques infos qui valent la peine. Très peu, au final. 





Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire