lundi 26 août 2024

LECTURE ESTIVALE

LES JOIES DE L'ART ROMAN

PILOU-PILOU EN FAÇADE et diverses choses issues de l'actualité

Sheela des Hébrides (photo Gerd Eichmann)

 
On peut dire que 2024 n’est pas l’année la plus sympa, mais c’est pas une raison pour glandouiller.

L'histoire de l'art, ça peut servir

Il y a quelques semaines, en juillet, s’est produit un événement mondial qui, étant donné tout ce qu’on a pu entendre et lire, a justifié de rendre obligatoire les cours d’histoire de l’art… Pas depuis les impressionnistes à nos jours, hein. Non, d’avant. Ou de pendant (pour les imp’)…

Je vais pas revenir sur le débat, Cène ou pas Cène. Juste… Il n’y a pas qu’un sujet avec des gens autour d’une table en art. On en a un qui s’appelle le Festin de Pélée, ou les Noces de Pélée et Thétis, ou encore le Festin des Dieux. Je vous renvoie à votre dico de mythologie pour savoir de quoi il en retourne (c’est quand même important comme sujet… Sans cette histoire on fait une croix sur l’Illiade et l’Odyssée, et tout ce qui s’ensuit. Une broutille). 

Burne-Jones, The Feast of Peleus, 1872-1881, Birmingham, City Museum and Art Gallery. (domaine public)

Fait amusant. Ce sujet a été traité par Burne-Jones, qui s’est lui-même inspiré, pour sa composition, d’un autre festin dans la nature, par Botticelli cette fois. Donc, même à la Renaissance, on avait des repas non religieux. Ceci dit, ce ne sont pas ces deux là qui ont fait sensation, c’est un autre repas où participera, amusante coïncidence, Eris. (Elle fait bien son boulot celle-là !). Ah, et je vous épargne les sujets religieux avec table.

Botticelli, histoire de Nastagio degli Onesti, 3e panneau, 1485, Madrid, Prado (domaine public). Toute ressemblance relève de la pure coïncidence : en effet, la série de Botticelli a appartenu à une proche relation de Burne-Jones. Le hasard, tout de même...

 En plus de la maldonne sur la référence artistique, on a aussi entendu et lu beaucoup de réactions horrifiées parce que monsieur presque tout nu, arrivée impromptue d’une coucougnette faisant sa Eris (pas invitée, mais elle s’invite), à grands cris de « qu’est-ce qu’on montre à nos enfants » « et en plus dans une scène religieuse » (uniquement si on voue un culte aux divinités gréco-romaines, qui en ont vues d’autres) », « mais c’est dégoûtant » etc., etc., etc. et patati et patata.

Derechef, on a une bonne raison de rendre les cours d’histoire de l’art obligatoires. 

Ca sert vraiment !

Et là, art médiéval et renaissance.

Déjà… Renaissance… Des Christ (carrément) tout nus, on en a (eus, hélas, faut parfois employer le passé) des floppées.

Michel Ange, Christ de Sta Maria Sopra Minerva, Rome. Rhabillé par le comité de censure.
Allez, l’un des plus beaux de tous… Le sublime Christ de Michel Ange, de Santa Maria Sopra Minerva. Il est pas tout nu ? Ben, il ne l’est plus… Hélas… Mais ça vaut toujours le coup de le voir à Rome.

Et puis, tant qu’on est chez Michel Ange, on reparle du Jugement Dernier, et de son rhabillage ?

Allez, un petit dernier pour la route. Piero della Francesca, à Arezzo, basilique Saint-François. La très belle série de la Légende de la Croix. Eh oui, encore une coucougnette coquinette qui se balade hors des zones réservées à cet effet. Dans une église. Visible des enfants (comme les Michel Ange avant rhabillage). Ce n’est pas une nudité gratuite ou par amour de l’anatomie masculine, mais un moyen de figurer un personnage vulgaire et pas gentil. Contexte, tout ça.

Piero della Francesca, Transport de la Poutre Sacrée, 1452-1466, église St-François, Arezzo (domaine public)
 Beaucoup ont été rhabillés (dans le meilleur des cas), mutilés, ou totalement détruits à partir du concile de Trente (1545-1563). On a commencé à se dire que fallait arrêter de faire des omelettes à partir du milieu du XIXe, environ. Perte artistique énorme entre temps, évidemment.

Une Sheela polonaise, un peu abîmée... (Kapitel)
 Ce petit préambule pour rappeler que notre vision de l’art chrétien dépend totalement de notre perception actuelle de cet art. De ce qu’on veut bien nous montrer, de ce qu’on a bien voulu nous laisser, de ce qui ne s’est pas pris une bombe ou un incendie, de ce qu’on veut voir, aussi… L’art chrétien actuel, ce n’est pas celui d’il y a 900 ans, scrogneugneu !

Pilou-pilou et zigounette

Et c’est là qu’on en arrive au bouquin du jour.

Le titre annonce la couleur :

Images of Lust.


 

Et le sous-titre précise que non, on ne va pas parler de manuscrits profanes cachés aux yeux de tous.

Sexual Carvings on Medieval Churches

Par Anthony Weir et James Jerman,

Routledge, 1986.

Ca date un peu, c’est vrai. 

Solignac... Il fait quoi le monsieur ?
 Si vous avez déjà levé (pas forcément) le nez dans des églises romanes, surtout dans le sud-ouest, vous avez dû voir qu’il y avait « parfois » des représentations un peu olé-olé (je vais finir par être à court de termes chastes).

Moissac
 C’est pas toujours en l’air que ça se passe. Voir la femme aux serpents de Moissac, on jette un coup d’œil sur la gauche en entrant, et on lui dit bonjour directement (c’est pas la plus sexy, faut le reconnaître).

Bref, vous devez l’avoir compris, ce bouquin parle des sculptures, qui font pas plaisir aux pudibonds, qu’on trouve dans les édifices religieux, romans (ça, c’est pas clair dans le titre, mais c’est roman).

Poitiers, église Ste Radegonde
 

La chasse aux idées reçues

Le livre a le mérite de mettre le doigt sur 2, 3 idées reçues.

1.     On trouve ça surtout dans les îles britanniques (Moissac est donc dans les îles britanniques).

2.     Le but de ces sculptures est essentiellement apotropaïque (porte-bonheur, fait revenir l’être aimé en 24h chrono plus vite que La Redoute, éloigne le mauvais-œil, les démons, vous voyez l’idée), et prophylactique (ça éloigne tous les microbes et virus, guérit le rhume en une semaine…)

C   C'est une récupération des déesses mères.

Cela part surtout d’un sujet, la Sheela-Na-Gig, et là, pour elle, j’étais ok pour ces idées.

exhibitionniste acrobate, Clinchamps sur Orne (roi Dagobert)
 Et j’adore quand on vient bousculer mes petites certitudes, avec des arguments qui deviennent de plus en plus pertinents au fur et à mesure que j’avance dans la lecture. 

Défauts et qualités

Avant d’aller plus loin, le livre a quelques défauts notables, dont certains très gênants.

-        C’est tout en noir et blanc (on survivra).

-        Y a pas de notes de bas de page !!! Alors là, oui, ça va pas du tout. Il y a quelques références, entre parenthèses, nom de l’auteur et année de publication. Mais elle est où la page ??? C’est le plus gros reproche que je ferai à l’ouvrage, parce qu’on aimerait en savoir plus. Surtout quand c’est dans un pavé de 600 pages.

-        Ca ressemble parfois à une énumération de sites et de descriptions rapides. Alors, c’est juste pour montrer que ce ne sont pas des cas isolés et stéréotypés, mais, c’est un peu barbant.

Points positifs express (avant d’entrer dans le vif du sujet).

-        Cartes

-        Listes des sites pays par pays

-        Encore des listes

-        Beaucoup d’illustrations (photos et dessins)

-        Et aussi des listes, sur 7 pages, parfois.

      Sheela, lutte finale ?

La plus célèbre, celle de l'église de Kilpeck, près de Hereford, Angleterre (Amandabhslater)

Donc, la Sheela… Le nom fait irlandais, mais même les Irlandais savent pas trop d’où ça vient… Sa pose d’une grande délicatesse a souvent laissé penser qu’il s’agissait d’une divinité païenne, type déesse mère, récupérée par l’art chrétien pour, au choix protéger les églises (apotro tiré par les cheveux, surtout qu’elle est généralement chauve) ou aider à avoir des nenfants (prophyl atypique). Faut dire que des pilou-pilou ex-voto, c’est comme les zizis volants, on en a plein les musées d’art antique, ainsi les Britanniques et les Irlandais ont fait la même chose, ils mettent des protections-ex-voto-traitement magique en forme de zigounettes et pitiminou partout, et la christianisation a gardé le folklore, ça mange pas de pain… La Sheela apparaît comme le dernier rempart contre les mauvais esprits !

Ces Romains, quand même ! Rheinisches Landesmuseum Trèves

LeLes païens ont bon dos.

Très vite, les auteurs nous annoncent que, non, c’est pas ça ! Et puis, elles sont grandes les îles britanniques… En fait, ça concerne une bonne partie de l’ouest de l’Europe, en partant de la Galice (en Espagne, donc… où il y a St Jacques de Compostelle) jusqu’en Irlande, en passant par l’Aquitaine, le Maine, la Normandie, la Bretagne, l’Angleterre… et sortant parfois de cette zone (les Seine-et-Marnais sont de petits canailloux ! Bourgogne, vallée du Rhône… J’eusse aimé que l’auteur -l’autre a surtout fait les photos- se fût attardé un peu plus sur une célèbre sculpture d’Italie du Nord et son copain… On en trouve aussi un peu plus au nord)

Cathédrale de Nidaros, Norvège (Morten Dreier), ça sent un peu la restauration...
 Là où ça devient marrant, c’est quand on fait correspondre ces lieux avec des routes de pèlerinage… Coïncidence ?

Misogynie et pèlerinages

Sur les chemins de St Jacques... Padilla de Arriba (MottaW)

Je vais pas tout vous raconter, mais en gros, ça coïncide bien avec les chemins de pèlerinage au 12e siècle (au sens large, milieu 11e et une bonne partie du 13e) ET les pétages de plombs anti-nanas de cette même période. Le moment où on interdit au clergé de batifoler en justes noces, par exemple. La misogynie en pleine action. Et toutes ces figures d’exhibitionnistes (mais pas que…) sont liées à la luxure (et autres péchés capitaux, comme l’avarice).

Et on apprend plein de choses sur des petits gestes de nos jours anodins, mais qui étaient à forte connotation sexuelle il y a quelques siècles. Pour certains, on s’en doutait, pour d’autres… Et même le V de Churchill a des origines un peu grivoises (tout en envoyant un message aux méchants).

On apprend ainsi pas mal de trucs rigolos sur les pèlerinages, mais aussi sur l’usage d’autres zizis, vraiment destinés à chasser le mauvais sort et les maladies, à d’autres époques, dans des endroits particulièrement sacrés (j’avoue, ça m’a soufflée…). Car la question de la datation est très importante pour ces sculptures, qu'on peut trouver en domaine laïc, ce qui laisse entendre que l'image protectrice n'est pas forcément à bannir.

Vous l’avez compris, je sors convaincue de la lecture de cet ouvrage alors que les premières pages m’avaient laissée sceptique.

Une trop belle démonstration ?

C’est que les éléments sont amenés les uns après les autres, chacun renforçant ce qui précède et ce qui suit. Peut-on échapper à cette construction (en apparence ?) logique ? Est-ce un piège ? J’ai l’impression d’avoir été prise par la main et emmenée là où les auteurs voulaient que j’aille. Les cartes parlent d’elles-mêmes, c’est certain. On ne peut qu’élargir le domaine géographique. Et les femmes aux serpents comme celle de Moissac montrent que les joies du biiiip, c’est pas bien. Sans mentionner le fait que ces sculptures nous renvoient aussi aux jugements derniers des portails, plutôt dans le genre terrifiant, comme les différentes incarnations de la luxure, placées plus ou moins haut. Ca remet dans le contexte. Il y a bel et bien, au 12e siècle, une volonté de terrifier par une exposition peu ragoûtante des vices et péchés.Et, en même temps, on se retrouve parfois devant des cas où l'explication "dangers de la luxure" paraît difficile à accepter.

Tympan de l'abbatiale de Conques

Autre chose intéressante : les constants rappels de l’implication des commanditaires dans ce qui était sculpté… Très difficile de prévoir un programme entier se moquant de ceux qui paient comme cela a été avancé dans un bouquin que je regrette d’avoir lu (et surtout payé, voir là : https://parolesdarts.blogspot.com/2021/01/livre-mystere.html La cathé en question, c'est Reims. Chut). On apprend même l’existence d’un moine tailleur de pierre. Des moqueries bien salaces envers des édiles, on en a eu quelques-unes… Mais bien placées, bien en vue, et pas un peu cachées. Sinon, ça ne sert à rien. Oui, parce que certaines de ces sculptures sont effectivement en hauteur, et nécessitent, du sol, au choix, un téléobjectif, des jumelles, ou hubble. Mais même d’en bas, on devine le côté grimaçant de ces visages. 

Les acrobates, la mauvaise vie incarnée... Solignac
 En tout cas, lecture conseillée, à commander chez votre bouquiniste, c’est pas trop cher.

Et pour ceux que les Sheela intéressent, il y a aussi un petit guide du musée de Dublin, même pas 50 pages, pas cher. Où il y a des photos couleurs, et qui ne parle que des Irlandaises. C’est succin, cela dit… Mais c'est pas gâché (contrairement à un petit livre sur Reims)



 

 

 

mardi 30 avril 2024

PUBLICATION

LIVRE SUR LA MODE

LA MODE AU MOYEN AGE



    Je suis vraiment désolée, chère collègue... Mais j'ai suffisamment d'ennemis comme ça.

    Je ne comprends pas. Je ne comprends pas. Votre biographie (doctorat en histoire médiévale sous la direction de Jacques Le Goff, doctorat en histoire de l'art) ne laissait pas présager d'un accident industriel de telle envergure. 

    Quand je dis que je suis désolée, c'est sincère. Je n'ose même pas m'étendre sur les innombrables erreurs de votre ouvrage.

lundi 27 mars 2023

Publication

Lire l’Autre dans l’image. L’utilisation d’éléments du costume comme marques d’altérité dans l’image médiévale

Actes du colloque de Catane (2019, publication 2021)

 Voici enfin l'article résultant de ma participation au colloque tenu à Catane à l'automne 2019. Une rencontre très intéressante, dans un cadre superbe, qui a permis quelques petites excursions à Taormina et à Raguse. Autant joindre l'utile à l'agréable !

Y a des facs... et y a des facs... (et en plus, on a bien mangé)
 

Evidemment, il est question de vêtements, d'images médiévales, de comment on utilise les vêtements et accessoires et tout ce qui concerne l'apparence dans l'image médiévale. Avec, en prime, une première ébauche de classification de tout ce petit bazar, qui est, on s'en doute, perfectible (d'ailleurs, c'est la 2e ébauche, la véritable première ayant été présentée au congrès de Leeds quelques mois auparavant...).


Y a des hôtels hyper confortables avec vue sur la cour pas belle, et y a des hôtels où on a mal au dos avec vue sur le château XIIIe et l'Etna...



vendredi 3 mars 2023

COMMUNICATION

TEXTILES 

ENTRE ORIENT ET OCCIDENT, ART, ARCHEOLOGIE ET IMAGES, EHESS Sorbonne

 



Textiles orientaux, usages et senefiance en Occident médiéval


J'ai été invitée à un séminaire de l'EHESS le 16 février dernier à Paris, et l'intervention était filmée. 

Je mets le lien, avec les "euh", mes oublis divers en direct live, mon portable qui sonne, et panique à bord, parce que j'ai dépassé le temps imparti (et pourtant j'avais une heure... Il m'en fallait plus.)

C'est une version plus longue (et en français) de mon article dans Medieval Clothing and Textiles. 


 

Avec quelques nouveautés... En particulier mes réflexions concernant des restes trouvés au Danemark, et quelques discussions et remarques enrichissantes (dont une légende arménienne). 

Et la communication suivante est aussi très intéressantes, surtout si on est branché XIXe anglais.

C'est par là qu'il faut cliquer


Merci à Anna Caiozzo, Frédéric Hitzel et Isabelle Gadoin (qui a eu la patience d'attendre la fin de mes bavardages... ) pour ce petit passage à Paris, à Nadeem Ahmad, Fabien Piriou, Thomas Charpentier pour les photos (si j'ai oublié quelqu'un, je rectifierai l'oubli dès que possible), à Tasha Dandelion Kelly pour son compte-rendu des tissus de Prague, ainsi qu'à toutes les institutions ayant fourni des clichés. Et évidemment à Anne-Béatrice Muller and cie, pour plein de bonnes raisons !



mercredi 23 novembre 2022

COSTUME XIIIE

CORRECTION LIVRE XIIIE

Il y avait erreur sur l'erreur

Ca reste dans la famille (photo Chinpat, wikimedia commons)

Il a fallu du temps, mais j'ai eu le fin mot de l'histoire !

Comme déjà dit, quand on écrit beaucoup, on fait des fautes qui n'ont généralement pas un grand impact sur le fond. Juste une suite de lapsus, fautes de frappe, inversions de lettres, etc. J'avoue avoir un faible pour mon hommage involontaire à Desproges (confondre une sauce avec un point de broderie, c'est choupi). Mais, je suis loin d'être la seule à faire ce genre de boulettes. J'en ai déjà parlé. Je n'ai aucun problème à reconnaître mes gaffes. Et, la quasi totalité des chercheurs avec lesquels je suis en contact non plus, d'ailleurs. Et aussi des "chercheurs" que je préfère éviter ("gribiche", sauce, au lieu de "grébiche", point, "payen", paysan, au lieu de "païen", non-chrétien... Bref, personne n'est à l'abri d'une coquille).

Evidemment, quand une erreur a un impact sur le fond, c'est un peu gênant.  


 

Cette fois, on se retrouve p. 101. En bas de la première colonne. 

Qu'est-ce que j'ai bien pu écrire comme ânerie ?

"La largeur de deux aunes était en fait la largeur maximale établie à la fin du XIIe siècle par Henry II"

La source en est l'excellent article de Benjamin Wild sur le Roll of Cloth d'Henry III, si utile pour établir les ampleurs de vêtements. 

Vous notez que je reste vague sur la date. Et pour cause. 

Benjamin Wild cite la date. 1197. Et donc là... il y a un bug.

1197, Henry mangeait depuis quelques années les pissenlits par la racine à Fontevraud. 

D'où mon imprécision chronologique. 

Il y avait 2 options : soit la date était mauvaise, soit le roi était mauvais. La source de Wild est la thèse de doctorat de Frédérique Lachaud, non disponible en ligne. Comment vérifier ? Bonne question. A laquelle je n'avais pas de réponse en 2013.

Donc, comment faire ? Que décider ? D'après mon expérience des gaffes, bévues et boulettes, l'erreur la plus probable est une inversion de chiffres. 1179 au lieu de 1197 ? Mine de rien, ce genre d'erreur arrive plus souvent qu'on ne le pense (j'aurai certainement l'occasion d'en reparler, et il en a déjà été question ailleurs...). Erreur de saisie au niveau du clavier numérique...
 

J'ai ainsi opté pour cette solution, en décidant de rester vague sur la date... 

Depuis, j'ai eu l'occasion de reprendre ce passage de l'article de Wild, pour un autre article. Or, cet été, qui je croise à Leeds ? Madame Lachaud. Je lui explique que j'ai une info venant de sa thèse, visiblement mal retranscrite, à vérifier, si elle est d'accord. Echange d'adresses mail... Je lui écris une fois rentrée en France et elle a la gentillesse de m'envoyer le passage en question.

Effectivement, il y avait bien une erreur de retranscription de la part de Wild. 

Et j'aurais mieux fait d'être encore plus vague et d'écrire : 

"La largeur de deux aunes était en fait la largeur maximale établie à la fin du XIIe siècle." 

STOP ! FALLAIT PAS ALLER PLUS LOIN !

La date était la bonne. Le roi, non. Richard Coeur de Lion. L'erreur de Wild peut facilement se comprendre. Il écrivait sur Henry III. Bref, ça cause souvent de Henry... La suite est facile à imaginer. Il a mis Grand-Papa au lieu de Tonton.

Papy et Mamy d'Henry III (Photo wikimedia commons)
Ainsi, la phrase exacte aurait dû être : "La largeur de deux aunes était en fait la largeur maximale établie en 1197 par Richard Coeur de Lion". Se méfier des proba. C'est pas toujours la majorité qui a raison.

Ceci dit, Madame Lachaud m'a dit que peut-être qu'Henry II avait déjà légiféré sur la question du lé des draps anglais, mais, elle n'en avait pas souvenir. 

Voilà... Ce n'était pas Henry II, mais Richard Coeur de Lion. 

C'est moi qui l'ai fait ! (Photo Jonathan Cardy, wikimedia commons)
 Vous pouvez noter que, quand même, j'ai de la suite dans les idées... Je l'ai eue, ma réponse ! 



dimanche 30 octobre 2022

TROUVAILLE ARCHEOLOGIQUE

LE SAC DE ROME SUEDE

QUAND TEXTE ET ARCHEO SE REJOIGNENT

Reconstitution faite à partir de la découverte archéologique d'Aborga.

Un grand merci à Sofia Berg et Henrik Summanen pour m'avoir communiqué les précieux documents, photos, etc. Crédits photos et recherches : Sofia Berg et Henrik Summanen (publiées avec autorisation) Les recherches google map sont personnelles.

Revenons sur la question du sac de pèlerin, aimablement présenté il y a quelques temps par Lady Castel. 

(Ici )

Le sac de pèlerin est un accessoire que l'on voit régulièrement reconstitué, et généralement, c'est en lin... 

En me basant sur les sources écrites, j'avais précisé que celles-ci étaient sans équivoque : cuir. Avec, en prime, des raisons symboliques.

 Voilà ce qui est écrit sur la besace dans le sermon Veneranda Dies, datant du XIIe siècle :

"la besace est étroite car le pèlerin doit placer en Dieu sa confiance et non en lui-même, elle est en cuir d’animal pour rappeler à l’homme qu’il doit mortifier sa chair et elle est ouverte car le pèlerin doit partager ses biens et être prêt à donner et à recevoir."

(cf l'excellent ouvrage d'Adeline Rucquoi, Mille fois à Compostelle, Pèlerins du Moyen Âge, Les Belles Lettres, Paris, 2014, 95)

J'avais supposé que cela pouvait très bien être un sac de forme rectangulaire, déformé par le port et le poids.

Bon, là, mea culpa. Il y a de l'idée, comme on va le constater. En tout cas, on oublie le trapèze (tant qu'on n'a pas de source sûre).

Le sac d'Arboga (Suède)



On a retrouvé un sac récemment en Suède, à Arboga, plus précisément. Il y en existe un autre en Suisse, également de cuir, qui sera présenté plus bas. Bref, les trouvailles archéos confirment la matière.  

 Datation : vers 1300-1500. 


Comme indiqué dans le sermon, nous sommes bien sur une forme étroite. Ceci laisse entendre que, ô surprise, les artistes auraient eu tendance à exagérer la taille de l'objet, afin de le rendre bien identifiable en tant que sac de pèlerin, et ainsi confirmer l'identité du porteur.

La lanière de suspension
Le lieu de trouvaille se situe sur un chemin de pèlerinage, reliant Köping (en Suède) à Nidaros (Trondheim, Norvège). Et c'est même au tout début. (Soit le propriétaire de la besace a vite abandonné, soit il a tout balancé au retour ! Compter 140 heures pour faire le voyage aller). Un trajet de 687 km, avec les chemins actuels (et 687 km à pied, ça use les souliers, on s'en doute).

C'est pas tout plat...
Reconstitution par Sofia Berg (ne ratez pas la vidéo !)


 

Bref, c'est ce qui s'appelle de la belle trouvaille, qui répond aux questions de "matière et forme ?"

A noter qu'on trouve aussi un petit système de fermeture. La recommandation du sermon n'est pas totalement respectée, ou alors, le sermon évoque un système plus sophistiqué (deux brides ?)

 La forme, pour l'exemple suédois, c'est plus une poire.

Voilà le lien vers publication facebook d'Arkeologgruppen Örebro

Et un autre vers cette vidéo de Sofia Berg, présentant l'objet et sa reconstitution (les sous-titres anglais fonctionnent !)


 Il semble vraiment qu'il faille oublier les sacs en trapèze et en lin, puisque même les sources archéologiques s'y mettent.

 

Le sac de Stein am Rhein (Suisse)

Un autre sac a été trouvé il y a une quinzaine d'années, en Suisse. A Stein am Rhein, à la frontière allemande, entre Winterthur et le lac de Constance. Illustrations issues de l'ouvrage ci-dessus (transmis par Henrik) (Rédaction : Markus Höneisen et Daniel Gerboth, Baudepartement des Kantons Schaffhausen, Kantonsarchäologie, 2006)

Là encore, le sac est envisagé comme étant un sac de pèlerin, même si, évidemment, il restera toujours un léger doute. On reste sur un sac de cuir, avec base arrondie.  

Le sac est daté de la première moitié du XIVe siècle.


 L'état de la pièce :

 Proposition de reconstitution. Nous sommes un peu plus sur un rectangle que sur une poire, exception faite, évidemment, de la base arrondie. Mais, selon Marquita Volken, le sac a été modifié... C'était aussi une poire. (Merci à elle pour cette précision)


La bride. Le système de fermeture diffère donc de celui d'Arboga.

Conclusion
Ces deux pièces archéologiques viennent ainsi confirmer la description du sac de pèlerin faite dans le sermon du XIIe siècle, et dans d'autres sources écrites : cuir et étroit. Il est certes impossible d'affirmer que ces deux sacs sont bel et bien des sacs de pèlerin... Mais, la description du sermon semble le confirmer. Sources écrites et archéologiques se répondent et paraissent se confirmer, en fait. 

La question de la fermeture reste en suspens, ceci dit. Néanmoins c'est, encore, une preuve de la nécessité de manipuler les sources iconographiques et la question des proportions des objets figurés avec énormément de prudence. Les sources ayant tendance à présenter des sacs beaucoup plus grands que nos deux exemples archéologiques, dans le but, certainement, de bien identifier le porteur. Chapeau, bourdon et sac, voilà ce qui fait un bon pèlerin.