EN VERT ET CONTRE TOUT
Problème de teinturerie...
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Van der Weyden, Madeleine Lisant, avant 1438, National Gallery, Londres (photo T. A.) |
S'il y a une couleur qui fait couler beaucoup d'encre, c'est bien le vert.
De nos jours, on ne se fatigue pas. On prend du bleu, du jaune, on mélange, et ça fait des chocapic à la pistache.
Au Moyen Âge, ce n'est pas exactement tout à fait pareil.
Causons Pastoureau
Quiconque a suivi quelques conférences de l'historien des couleurs, Michel Pastoureau, a sûrement entendu l'anecdote de ce teinturier de Nuremberg qui s'amusait à avoir chez lui une cuve de bleu et une de jaune, s'est fait prendre et a été prié d'aller voir à Augsbourg si l'herbe était plus verte. C'est dommage, c'est joli Nuremberg (surtout quand ça rime avec Dürer. L'autre nom "propre" associé à la ville, on oublie, c'est caca...)
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Quitter ça pour finir à la diète à Augsbourg, c'est triste... (Photo T. A.) |
Pour faire des verts, sans en avoir l'air, on peut utiliser certaines plantes qui donnent des teintures pas très solides, toujours d'après Pastoureau (fougère, plantain, etc.).
Pour lui, le vert n'est pas vraiment une couleur à la mode parmi la noblesse. Pas tout à fait d'accord, vu les infos qu'on a sur la garde robe du roi d'Angleterre Henry III. Mais toujours est-il que le peu de fiabilité des teintures fait que ça ne passe pas trop. Ou alors, pour avoir un beau vert, il faut y mettre le prix. Et pour cause... On va voir ça un peu plus tard. Et puis, en plus, c'est pas très solide, il paraît.
Alors, pour commencer, pourquoi les teinturiers médiévaux ne pouvaient-ils pas faire de vert en mélangeant, dans la même cuve, le jaune et le vert ?
Déjà, le mélange, il va un peu à l'encontre des traditions datant de la Bible... En outre il y a des séparations entre les teinturiers... Par matières (laine et lin, soie, voire coton en Italie) et par couleurs (rouge et bleu, c'est pas le même business).
Et c'est là que le bât blesse...
Chacun sa spécialité
On va s'attarder un peu sur la soie. D'après Farmer, aussi bien à Florence qu'à Paris, par exemple, et on peut supposer qu'il en est de même dans d'autres régions travaillant la soie, comme la péninsule ibérique, les teinturiers ont une tout autre maîtrise de la teinture que ceux de laine. D'autre part, ils avaient accès à toute la palette, et non à une ou deux teintes en particuliers. Sans parler d'une différente qualité d'eau qui était nécessaire (ils étaient pas installés au bord de la Seine). La difficulté de la teinture de la soie est visible dans la mésaventure vécue par une comtesse de Flandres qui acheta de la soie, la fit teindre en Belgique par des teinturiers de laine, reprit ses fils pas contente, et les expédia vite fait à Paris pour avoir des couleurs correctes...
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La comtesse de Flandres, après un séjour en Egypte, récupérant ses fils de soie confiés à un atelier flamand. |
Ajoutons qu'un teinturier de soie parisien alla s'installer à Cologne, autre ville où on aimait travailler la soie. Il serait le premier teinturier de soie dans cette ville. On est en 1349.
Pour la laine, le jaune, c'est traité par les teinturiers du rouge. Pas du bleu. Donc, en théorie, un teinturier de bleu ne touche pas au jaune. Il semble ainsi clair qu'on ne traite pas la soie comme la laine et que toute étude sur le vert (ou n'importe quelle autre couleur, ou tissu) doit tenir compte de ceci, au risque d'être caduque. Sans parler de l'évolution des techniques à travers le temps... Toujours en tenir compte (je radote).
Mais donc, il y a du vert.
Langue verte...
Régulièrement, on va trouver des critiques de Pastoureau (ça fait au moins 15 ans que ça dure... Je me souviens de quelqu'un qui avait trouvé la preuve ultime de l'incongruité des travaux de Pastoureau parce qu'il y avait "teinture à l'oseille" au lieu de "teinture à l'orseille" dans un de ses textes. Le gag étant que dans tous ses autres écrits, on trouve bien "orseille". Bref, ceci s'appelle une faute de frappe, une coquille... Ca arrive. Le plus cocasse étant que cette remarque qui se voulait assassine a été faite par quelqu'un qui n'a jamais rien publié).
On trouve de gros sous-entendus. Pastoureau prétendrait qu'on ne fait tout simplement pas de vert avec du jaune et du bleu. Et on nous ressort ça régulièrement, de manière péremptoire.
Avec raison ?
QUE NENNI !
Lisons un peu
Si on lit les livres de Pastoureau un peu plus précis que, par exemple, Le Petit Livre des Couleurs, qui est un petit livre d'entretien avec Dominique Simonnet, ben, on se rend compte que Pastoureau ne dit pas que le vert n'était pas fait avec du jaune et du bleu, mais qu'il n'était pas fait avec du bleu et du jaune dans une même cuve ou au même endroit (cf Hans Töllner, notre teinturier malhonnête de Nuremberg).
C'est pas pareil ! C'est pas pareil du tout ! C'est totalement différent ! C'est ignorer purement et simplement les recherches de l'auteur. Même s'il y a toujours des petits trucs qui coincent. J'y reviendrai.
Ici, Pastoureau présente la possibilité de faire du vert en superposant le jaune et le bleu, et non en mélangeant. Ce qui change tout. Mais, là où Pastoureau se trompe, c'est en prétendant l'inverse impossible.
Dominique Cardon a travaillé sur deux draps verts (Italiens). L'un est fait d'une base bleue, recouverte de jaune. L'autre, et c'est très intéressant, est fait de fils de chaîne et fils de trame préalablement teints en bleu, tissés, puis plongés dans un bain de jaune. Fait intéressant, les travaux de Cardon figurent dans la bibliographie de Pastoureau. Peut-être ne les a t-il pas mentionnés pour des questions de date ou de lieu ? C'est en tout cas le plus gros reproche que je ferais à Pastoureau sur cette question. Pour être honnête, Pastoureau évoque quand même la "méthode germaine", consistant à superposer bleu, puis jaune, qui dure jusqu'à l'époque féodale. Il semble ne pas être toujours d'accord avec lui-même... Ce qui est le lot des chercheurs, parce qu'un chercheur, ça trouve des nouveaux trucs parfois, ou il a des copains qui trouvent des nouveaux trucs, et du coup, comme un vrai chercheur ça doute de lui-même, il se remet en cause. Et ça peut changer d'un bouquin à l'autre (faut regarder les dates, ça permet de suivre la progression).
De nouveau, il n'est pas ici question de mélange, ce mélange que Pastoureau considère illégal. Et il semble qu'il ait raison. La superposition, elle, est possible. Une superposition qui engendre des coûts supplémentaires : plus de bains, le passage d'un teinturier à un autre, des teinturiers dont on doit être sûr, donc, avec une certaine réputation, et les tarifs qui vont avec, forcément. Tout ça, ça coûte une blinde. Sans parler du ratage possible (le léger ratage, à savoir un peu plus clair ou un peu plus foncé, est signifié dans les contrats, et est considéré acceptable). Ah oui, il y a les mordants aussi... Faut en tenir compte...
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Je pense avoir mis assez d'exemples comme ça, non ? |
RESUMONS
Avant de taper sur Pastoureau :
- Se renseigner sur les règles régissant les teintures (COULEURS ET MATIERES).
- Ne pas mélanger la laine et la soie, c'est pas pareil.
- Ne pas mélanger mélange et superposition.
- Garder un oeil sur les origines et les périodes.
- Lire plusieurs livres du monsieur, parce que c'est un jeu de piste quand même.
- Ne pas négliger les notes de bas de page.
Et maintenant qu'on a regardé tout ça, on peut chipoter avec le reste.
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