samedi 15 avril 2017

COSTUME XIIIe

LA VIE DES SEINS
Méfiez-vous... Encore et toujours...

La Vierge aux Pieds d'Argent, calcaire de Saint-Leu, vers 1270.
Plusieurs articles de ce blog montrent combien la lecture des images médiévales est risque d'erreur pour le costume. Nous avons vu des cas très différents, allant d'un mélange des genres à des erreurs de dates pour X raisons, en passant par ce qu'on pourrait qualifier de restaurations abusives (Merci le XIXe siècle...), et la liste n'est pas exhaustive...
Nous allons voir maintenant deux oeuvres, du même sujet, mais d'époques différentes, qui ont subi la même modification. Elles ont en commun d'être dans le même musée, et il est fort probable que les transformations datent de la même période. L'une des sculptures a été bien plus modifiée que l'autre, et, pas de bol, c'est celle du XIIIe siècle. Autant dire que là, ne pas faire attention peut provoquer de sacrées catastrophes en reconstitution...

Mais, nous allons commencer par l'oeuvre la plus récente.
 Et... En route pour Compiègne, au Cloître Saint-Corneille, reste de l'ancienne abbaye, qui contient les sculptures médiévales et XVIe siècle. Un endroit à visiter, parce qu'il y a quelques pièces très très belles. Dont des Vierge à l'Enfant.

Vierge à l'Enfant, calcaire lorrain, XIVe siècle.
 Nous allons donc commencer, sans aucun chauvinisme, par une Vierge lorraine, du XIVe siècle. Marie est assise, portant Jésus sur son genou. La sculpture est évidée à l'arrière. Pour l'alléger, mais peut-être aussi pour y placer des reliques (cf. rapport d'intervention). Jadis entièrement peinte, la statue a perdu sa polychromie, qui ne subsiste que dans certains creux.

Une tenue originale...
 D'un point de vue iconographique, je trouve la tenue du Christ fort intéressante : torse nu, avec un manteau. Une image plutôt rare, qui renvoie en fait à la représentation du Christ ressuscité. Ce groupe serait en quelque sorte en train d'annoncer le rachat du péché originel par la venue du Christ, en habillant l'Enfant-Dieu comme l'adulte après sa Résurrection.

L'apparente banalité du thème de la Vierge à l'Enfant tend à nous faire oublier la richesse de ce sujet, plein de symbolisme, qui va bien au delà de la simple représentation d'une femme et de son enfant. Il ne faut jamais oublier qui sont les deux personnages en présence, et que ce sujet est tout sauf gratuit.
Cette petite parenthèse iconographique faite, intéressons-nous à une modification subie par l'oeuvre, en plus de la perte de polychromie, et de quelques bouts de corps.

Un certain manque de volume...
 Une étude du torse montre que les seins ont diminué de volume. Il est difficile de savoir à quelle date précisément, mais toujours est-il que les seins ont été retaillés à la gouge (cf. rapport d'intervention)... Une pratique pas si rare que cela, hélas.

Un manque évident de volume.
 Heureusement, sur cette oeuvre, le retaillage n'a pas trop de conséquence en ce qui concerne la lecture du costume.

Il en va tout autrement pour l'autre sculpture, qui est la pièce maîtresse du musée : la Vierge aux Pieds d'Argent, datant d'environ 1267-1270.

Autant le dire tout de suite, la statue est loin d'être dans son état d'origine. Les transformations sont nombreuses.
Pied du Christ... Réparé.
 Je ne vais pas faire ici un article complet sur cette très belle (malgré tout) sculpture. Je me contenterai de relever quelques gros problèmes liés en particulier au torse. On ne parlera pas du pied, petit détail pourtant si important au Moyen Age, ni des traces de polychromie (il y en a... ), la statue ayant été décapée en 1936 (cf. rapport d'étude préalable à la restauration).
Arrière de la statue. Moins travaillé car la sculpture était certainement adossée. (Et mon bazar en prime)
 Un point me paraît significatif : la statue a perdu son bras droit. Ce que l'on voyait déjà sur la Vierge lorraine (et le Christ). Il est fort possible que la Vierge tenait quelque chose dans sa main droite. Le rapport d'étude évoque un éventuel sceptre, que l'on trouve sur d'autres sculptures contemporaines. On pourrait aussi envisager une pomme, en allusion à Marie, opposée à Eve.

Le torse a été totalement retaillé. De manière grossière, cela se voit nettement sur l'original ou sur une bonne photographie.
Un costume XIIIe bien trop original pour être honnête !
 Retaillé n'importe comment, quand on connait le costume XIIIe. Voir l'original ôte toute équivoque. Les traces de gouge sont visibles sur toute la sculpture, y compris sur le manteau. Mais revenons au torse.
Le fermail est trop épais. Il permet d'évaluer la masse éliminée.
 Le responsable a pris soin d'épargner en partie le très beau fermail. Une vue de profil donne une idée de la surface qui a été ôtée au torse, autour du bijou.
L'amigaut, pratiquement effacé.
 Mais, si l'on s'attarde sur cette broche, on constate un timide témoignage de l'amigaut, au centre du fermail. Une partie de la surface a là aussi été rognée, alors que l'ardillon a été épargné.

Un bout de cordon déguisé en bord de corsage ?
 Le reste du torse relève de la fantaisie. Les drapés ne correspondent à rien, tout en tentant désespérément de justifier la broche, et d'en résulter. Mais ça ne fonctionne tout simplement pas. Il y a, de la part de la personne qui a retaillé cette statue, une réelle incompréhension du costume médiéval qui fait que dès qu'on essaie de comprendre, ça ne marche pas du tout. Mais alors, vraiment pas du tout. Ou alors on se trouverait devant un exemple unique. On commence à avoir l'habitude des cas unique, et on commence à savoir qu'un cas unique a souvent une explication qui vient très rarement du XIIIe siècle. Encore un exemple.

Un plissé pas gothique.
 La statue a aussi été retaillée clairement sous la ceinture. Les plis n'ont rien à voir avec un plissé XIIIe. Je pense qu'il peut y avoir aussi d'autres problèmes, mais ce serait à vérifier avec soin, à tête reposée, en comparant avec d'autres oeuvres.

Tête du Christ, avec trace de recollage.
 Une question se pose évidemment : pourquoi a-t-on mutilé ces deux Vierge à l'Enfant, de cette manière ? On peut comprendre une perte de tête (les têtes du Christ et de la Vierge ont d'ailleurs été recollées), de couronne, de sceptre, liée à la Révolution. Mais... les seins ? Il est vrai que les parties à caractère sexuel sont aussi les cibles privilégiées des iconoclastes de tout poil. Est-ce le cas ici ? Ou sommes-nous devant des tentatives, maladroites, voire malheureuse pour la Vierge aux pieds d'argent, de réparer tant bien que mal des dégâts antérieurs ?

Le rapport d'étude préalable à la restauration propose en effet ceci  :
"hypothèse pour expliquer la retaille de la poitrine : travail peu soigné pour dissimuler la trace d'arrachement de l'attribut par une retaille grossière ou élimination des restes de l'attribut".
L'absence du bras droit perturbe grandement la compréhension du torse, de la taille, et du ventre. J'avoue que certaines parties ont été un vrai casse-tête, et je commence un peu à y voir plus clair pour certaines zones. Il est effectivement fort probable que la mutilation de la sculpture a laissé des traces et qu'une équipe trop zélée a abusivement décidé de corriger les effets de la perte du bras.
 
La même chose serait-elle envisageable pour la sculpture du XIVe siècle? Il aurait pu s'agir, ici, de "réparer" les résultats de la perte du bras droit du Christ, et peut-être aussi de celle du bras de la Vierge. Mais la position des deux corps semble contredire cette possibilité.
Bref... Réparation malvenue ou vandalisme lié à une certaine pudibonderie ? Difficile d'en être sûr.

Le sourire gothique...
 La Vierge aux pieds d'argent est la plus belle sculpture de la collection du cloître Saint-Corneille. Et pourtant, elle est dans un état de conservation moyen. Cela n'ôte rien à son intérêt. Elle reste admirable par son hanchement caractéristique, et par son visage souriant, ses yeux en amande, héritiers de l'Ange au Sourire de Reims.
Et le hanchement gothique, toujours là, malgré les modifications.
 Les modifications subies par cette statue font partie de son histoire. Et surtout, elles lui apportent un intérêt nouveau, qui la distingue des autres Vierge à l'Enfant contemporaines : il y a ici matière à réflexion, et tout un travail à fournir pour essayer d'imaginer, de manière raisonnée, son aspect originel.
Petit détail costume qui ne manque pas d'intérêt maintenant qu'on aborde la question.
 Si la statue est finalement d'un intérêt mineur pour les historiens du costume (quoique... les restes de polychromie peuvent amener quelques informations précieuses, et le fermail est splendide, et puis... et puis...), elle est un très beau sujet d'étude pour les historiens de l'art.
Là aussi, ça manque quand même de volume...

Remerciements :
Un énorme merci à l'équipe du musée Vivenel (et du cloître Saint-Corneille) de Compiègne, en particulier à madame Delphine Jeannot, attachée de conservation du patrimoine/directrice par intérim des musées de la ville de Compiègne, pour leur accueil et leur aide précieuse.

Documents consultés : 
Alice Wallon-Tariel : Fiche d'intervention, Vierge à l'Enfant (SN.Inv./prov.111), avril 2011.
Amélie Méthivier : rapport d'étude préalable à la restauration, Vierge aux pieds d'argent, inventaire B. 445, mai 2011.
Amélie Méthivier : rapport de restauration, Vierge aux pieds d'argent, inventaire B. 445, mai 2011.



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