lundi 26 août 2024

LECTURE ESTIVALE

LES JOIES DE L'ART ROMAN

PILOU-PILOU EN FAÇADE et diverses choses issues de l'actualité

Sheela des Hébrides (photo Gerd Eichmann)

 
On peut dire que 2024 n’est pas l’année la plus sympa, mais c’est pas une raison pour glandouiller.

L'histoire de l'art, ça peut servir

Il y a quelques semaines, en juillet, s’est produit un événement mondial qui, étant donné tout ce qu’on a pu entendre et lire, a justifié de rendre obligatoire les cours d’histoire de l’art… Pas depuis les impressionnistes à nos jours, hein. Non, d’avant. Ou de pendant (pour les imp’)…

Je vais pas revenir sur le débat, Cène ou pas Cène. Juste… Il n’y a pas qu’un sujet avec des gens autour d’une table en art. On en a un qui s’appelle le Festin de Pélée, ou les Noces de Pélée et Thétis, ou encore le Festin des Dieux. Je vous renvoie à votre dico de mythologie pour savoir de quoi il en retourne (c’est quand même important comme sujet… Sans cette histoire on fait une croix sur l’Illiade et l’Odyssée, et tout ce qui s’ensuit. Une broutille). 

Burne-Jones, The Feast of Peleus, 1872-1881, Birmingham, City Museum and Art Gallery. (domaine public)

Fait amusant. Ce sujet a été traité par Burne-Jones, qui s’est lui-même inspiré, pour sa composition, d’un autre festin dans la nature, par Botticelli cette fois. Donc, même à la Renaissance, on avait des repas non religieux. Ceci dit, ce ne sont pas ces deux là qui ont fait sensation, c’est un autre repas où participera, amusante coïncidence, Eris. (Elle fait bien son boulot celle-là !). Ah, et je vous épargne les sujets religieux avec table.

Botticelli, histoire de Nastagio degli Onesti, 3e panneau, 1485, Madrid, Prado (domaine public). Toute ressemblance relève de la pure coïncidence : en effet, la série de Botticelli a appartenu à une proche relation de Burne-Jones. Le hasard, tout de même...

 En plus de la maldonne sur la référence artistique, on a aussi entendu et lu beaucoup de réactions horrifiées parce que monsieur presque tout nu, arrivée impromptue d’une coucougnette faisant sa Eris (pas invitée, mais elle s’invite), à grands cris de « qu’est-ce qu’on montre à nos enfants » « et en plus dans une scène religieuse » (uniquement si on voue un culte aux divinités gréco-romaines, qui en ont vues d’autres) », « mais c’est dégoûtant » etc., etc., etc. et patati et patata.

Derechef, on a une bonne raison de rendre les cours d’histoire de l’art obligatoires. 

Ca sert vraiment !

Et là, art médiéval et renaissance.

Déjà… Renaissance… Des Christ (carrément) tout nus, on en a (eus, hélas, faut parfois employer le passé) des floppées.

Michel Ange, Christ de Sta Maria Sopra Minerva, Rome. Rhabillé par le comité de censure.
Allez, l’un des plus beaux de tous… Le sublime Christ de Michel Ange, de Santa Maria Sopra Minerva. Il est pas tout nu ? Ben, il ne l’est plus… Hélas… Mais ça vaut toujours le coup de le voir à Rome.

Et puis, tant qu’on est chez Michel Ange, on reparle du Jugement Dernier, et de son rhabillage ?

Allez, un petit dernier pour la route. Piero della Francesca, à Arezzo, basilique Saint-François. La très belle série de la Légende de la Croix. Eh oui, encore une coucougnette coquinette qui se balade hors des zones réservées à cet effet. Dans une église. Visible des enfants (comme les Michel Ange avant rhabillage). Ce n’est pas une nudité gratuite ou par amour de l’anatomie masculine, mais un moyen de figurer un personnage vulgaire et pas gentil. Contexte, tout ça.

Piero della Francesca, Transport de la Poutre Sacrée, 1452-1466, église St-François, Arezzo (domaine public)
 Beaucoup ont été rhabillés (dans le meilleur des cas), mutilés, ou totalement détruits à partir du concile de Trente (1545-1563). On a commencé à se dire que fallait arrêter de faire des omelettes à partir du milieu du XIXe, environ. Perte artistique énorme entre temps, évidemment.

Une Sheela polonaise, un peu abîmée... (Kapitel)
 Ce petit préambule pour rappeler que notre vision de l’art chrétien dépend totalement de notre perception actuelle de cet art. De ce qu’on veut bien nous montrer, de ce qu’on a bien voulu nous laisser, de ce qui ne s’est pas pris une bombe ou un incendie, de ce qu’on veut voir, aussi… L’art chrétien actuel, ce n’est pas celui d’il y a 900 ans, scrogneugneu !

Pilou-pilou et zigounette

Et c’est là qu’on en arrive au bouquin du jour.

Le titre annonce la couleur :

Images of Lust.


 

Et le sous-titre précise que non, on ne va pas parler de manuscrits profanes cachés aux yeux de tous.

Sexual Carvings on Medieval Churches

Par Anthony Weir et James Jerman,

Routledge, 1986.

Ca date un peu, c’est vrai. 

Solignac... Il fait quoi le monsieur ?
 Si vous avez déjà levé (pas forcément) le nez dans des églises romanes, surtout dans le sud-ouest, vous avez dû voir qu’il y avait « parfois » des représentations un peu olé-olé (je vais finir par être à court de termes chastes).

Moissac
 C’est pas toujours en l’air que ça se passe. Voir la femme aux serpents de Moissac, on jette un coup d’œil sur la gauche en entrant, et on lui dit bonjour directement (c’est pas la plus sexy, faut le reconnaître).

Bref, vous devez l’avoir compris, ce bouquin parle des sculptures, qui font pas plaisir aux pudibonds, qu’on trouve dans les édifices religieux, romans (ça, c’est pas clair dans le titre, mais c’est roman).

Poitiers, église Ste Radegonde
 

La chasse aux idées reçues

Le livre a le mérite de mettre le doigt sur 2, 3 idées reçues.

1.     On trouve ça surtout dans les îles britanniques (Moissac est donc dans les îles britanniques).

2.     Le but de ces sculptures est essentiellement apotropaïque (porte-bonheur, fait revenir l’être aimé en 24h chrono plus vite que La Redoute, éloigne le mauvais-œil, les démons, vous voyez l’idée), et prophylactique (ça éloigne tous les microbes et virus, guérit le rhume en une semaine…)

C   C'est une récupération des déesses mères.

Cela part surtout d’un sujet, la Sheela-Na-Gig, et là, pour elle, j’étais ok pour ces idées.

exhibitionniste acrobate, Clinchamps sur Orne (roi Dagobert)
 Et j’adore quand on vient bousculer mes petites certitudes, avec des arguments qui deviennent de plus en plus pertinents au fur et à mesure que j’avance dans la lecture. 

Défauts et qualités

Avant d’aller plus loin, le livre a quelques défauts notables, dont certains très gênants.

-        C’est tout en noir et blanc (on survivra).

-        Y a pas de notes de bas de page !!! Alors là, oui, ça va pas du tout. Il y a quelques références, entre parenthèses, nom de l’auteur et année de publication. Mais elle est où la page ??? C’est le plus gros reproche que je ferai à l’ouvrage, parce qu’on aimerait en savoir plus. Surtout quand c’est dans un pavé de 600 pages.

-        Ca ressemble parfois à une énumération de sites et de descriptions rapides. Alors, c’est juste pour montrer que ce ne sont pas des cas isolés et stéréotypés, mais, c’est un peu barbant.

Points positifs express (avant d’entrer dans le vif du sujet).

-        Cartes

-        Listes des sites pays par pays

-        Encore des listes

-        Beaucoup d’illustrations (photos et dessins)

-        Et aussi des listes, sur 7 pages, parfois.

      Sheela, lutte finale ?

La plus célèbre, celle de l'église de Kilpeck, près de Hereford, Angleterre (Amandabhslater)

Donc, la Sheela… Le nom fait irlandais, mais même les Irlandais savent pas trop d’où ça vient… Sa pose d’une grande délicatesse a souvent laissé penser qu’il s’agissait d’une divinité païenne, type déesse mère, récupérée par l’art chrétien pour, au choix protéger les églises (apotro tiré par les cheveux, surtout qu’elle est généralement chauve) ou aider à avoir des nenfants (prophyl atypique). Faut dire que des pilou-pilou ex-voto, c’est comme les zizis volants, on en a plein les musées d’art antique, ainsi les Britanniques et les Irlandais ont fait la même chose, ils mettent des protections-ex-voto-traitement magique en forme de zigounettes et pitiminou partout, et la christianisation a gardé le folklore, ça mange pas de pain… La Sheela apparaît comme le dernier rempart contre les mauvais esprits !

Ces Romains, quand même ! Rheinisches Landesmuseum Trèves

LeLes païens ont bon dos.

Très vite, les auteurs nous annoncent que, non, c’est pas ça ! Et puis, elles sont grandes les îles britanniques… En fait, ça concerne une bonne partie de l’ouest de l’Europe, en partant de la Galice (en Espagne, donc… où il y a St Jacques de Compostelle) jusqu’en Irlande, en passant par l’Aquitaine, le Maine, la Normandie, la Bretagne, l’Angleterre… et sortant parfois de cette zone (les Seine-et-Marnais sont de petits canailloux ! Bourgogne, vallée du Rhône… J’eusse aimé que l’auteur -l’autre a surtout fait les photos- se fût attardé un peu plus sur une célèbre sculpture d’Italie du Nord et son copain… On en trouve aussi un peu plus au nord)

Cathédrale de Nidaros, Norvège (Morten Dreier), ça sent un peu la restauration...
 Là où ça devient marrant, c’est quand on fait correspondre ces lieux avec des routes de pèlerinage… Coïncidence ?

Misogynie et pèlerinages

Sur les chemins de St Jacques... Padilla de Arriba (MottaW)

Je vais pas tout vous raconter, mais en gros, ça coïncide bien avec les chemins de pèlerinage au 12e siècle (au sens large, milieu 11e et une bonne partie du 13e) ET les pétages de plombs anti-nanas de cette même période. Le moment où on interdit au clergé de batifoler en justes noces, par exemple. La misogynie en pleine action. Et toutes ces figures d’exhibitionnistes (mais pas que…) sont liées à la luxure (et autres péchés capitaux, comme l’avarice).

Et on apprend plein de choses sur des petits gestes de nos jours anodins, mais qui étaient à forte connotation sexuelle il y a quelques siècles. Pour certains, on s’en doutait, pour d’autres… Et même le V de Churchill a des origines un peu grivoises (tout en envoyant un message aux méchants).

On apprend ainsi pas mal de trucs rigolos sur les pèlerinages, mais aussi sur l’usage d’autres zizis, vraiment destinés à chasser le mauvais sort et les maladies, à d’autres époques, dans des endroits particulièrement sacrés (j’avoue, ça m’a soufflée…). Car la question de la datation est très importante pour ces sculptures, qu'on peut trouver en domaine laïc, ce qui laisse entendre que l'image protectrice n'est pas forcément à bannir.

Vous l’avez compris, je sors convaincue de la lecture de cet ouvrage alors que les premières pages m’avaient laissée sceptique.

Une trop belle démonstration ?

C’est que les éléments sont amenés les uns après les autres, chacun renforçant ce qui précède et ce qui suit. Peut-on échapper à cette construction (en apparence ?) logique ? Est-ce un piège ? J’ai l’impression d’avoir été prise par la main et emmenée là où les auteurs voulaient que j’aille. Les cartes parlent d’elles-mêmes, c’est certain. On ne peut qu’élargir le domaine géographique. Et les femmes aux serpents comme celle de Moissac montrent que les joies du biiiip, c’est pas bien. Sans mentionner le fait que ces sculptures nous renvoient aussi aux jugements derniers des portails, plutôt dans le genre terrifiant, comme les différentes incarnations de la luxure, placées plus ou moins haut. Ca remet dans le contexte. Il y a bel et bien, au 12e siècle, une volonté de terrifier par une exposition peu ragoûtante des vices et péchés.Et, en même temps, on se retrouve parfois devant des cas où l'explication "dangers de la luxure" paraît difficile à accepter.

Tympan de l'abbatiale de Conques

Autre chose intéressante : les constants rappels de l’implication des commanditaires dans ce qui était sculpté… Très difficile de prévoir un programme entier se moquant de ceux qui paient comme cela a été avancé dans un bouquin que je regrette d’avoir lu (et surtout payé, voir là : https://parolesdarts.blogspot.com/2021/01/livre-mystere.html La cathé en question, c'est Reims. Chut). On apprend même l’existence d’un moine tailleur de pierre. Des moqueries bien salaces envers des édiles, on en a eu quelques-unes… Mais bien placées, bien en vue, et pas un peu cachées. Sinon, ça ne sert à rien. Oui, parce que certaines de ces sculptures sont effectivement en hauteur, et nécessitent, du sol, au choix, un téléobjectif, des jumelles, ou hubble. Mais même d’en bas, on devine le côté grimaçant de ces visages. 

Les acrobates, la mauvaise vie incarnée... Solignac
 En tout cas, lecture conseillée, à commander chez votre bouquiniste, c’est pas trop cher.

Et pour ceux que les Sheela intéressent, il y a aussi un petit guide du musée de Dublin, même pas 50 pages, pas cher. Où il y a des photos couleurs, et qui ne parle que des Irlandaises. C’est succin, cela dit… Mais c'est pas gâché (contrairement à un petit livre sur Reims)