vendredi 19 octobre 2018

METHODOLOGIE 6-3

ICONOGRAPHIE MEDIEVALE
Welcome to the jungle, c'est qui ce type ?

Jonas et les sales types

Où l'on va parler de...
Typologie.
Un des principes de fonctionnement de l'image médiévale.
Vous allez voir, c'est rigolo tout plein (et évidemment, ça peut entraîner de sacrées erreurs de lecture...)
Faut bien commencer par un de ces principes. Et celui là, je l'aime bien.
(Et je vous fais mes excuses par avance pour les quelques blagues qui vont surgir...)

Cékoidon la typologie ?
Disons que l'art médiéval est très joueur. Très très joueur. Les artistes et théologiens aussi. Tant qu'à faire. Et ils vont jouer à chercher des rapports entre Ancien (AT) et Nouveau Testament (NT).
C'est à dire que des scènes de l'Ancien Testament annoncent celles du Nouveau. Et on a le choix.
Un exemple au hasard, qui pourrait marcher : La Mise au Tombeau.
L'une des histoires bibliques qui peut lui être associée est Jonas jeté dans le ventre de la baleine.
Le Christ passe trois jours aux Limbes entre sa mort et sa résurrection.
Jonas passe trois jours dans le ventre de la baleine.
Pendant ces trois jours, les deux sont totalement hors du monde des vivants. On montre le moment où ils disparaissent.
On a trouvé un point commun entre ces deux histoires. On peut les mettre en parallèles sur une oeuvre.
La scène de l'AT est le TYPE
La scène du NT est l'ANTITYPE
C'est très marrant parce qu'il n'y a pas une seule combinaison. On peut trouver deux, trois, voire plus, types pour chaque antitype. C'est selon l'envie du commanditaire, de l'artiste, et de la place disponible sur l'oeuvre, des messages à faire passer, etc.

Joseph jeté dans le puits... Autre type de la Mise au Tombeau


On peut même faire des types de types...
Mettre en rapport un antitype avec des séries de deux types. (comme Jonas, Joseph et la Mise au tombeau, comme par hasard...)

Nicolas de Verdun, ambon/retable de Klosterneuburg, 1181, abbaye de Klosterneuburg, près deVienne. Ca brille, c'est beau, et c'est super à étudier.
C'est le principe de l'une des plus belles oeuvres du XIIe, le retable de Klosterneuburg, de Nicolas de Verdun, datant de 1181. (A l'origine c'était un ambon, mais avec les changements dans la liturgie, on l'a remonté derrière l'autel, en le transformant en retable.)
On a une rangée de scènes de l'Ancien Testament de la Genèse jusqu'à Moïse (en haut) et une rangée de scènes de l'Ancien Testament à partir de Moïse (en bas). Et au centre, les épisodes du Nouveau Testament correspondant. Bref, tout s'organise à partir des registres.
Et n'allez pas vous imaginer que les scènes des types se suivent chronologiquement. Ce qui compte, c'est la chronologie des antitypes. Pour les autres, on pioche ce qu'il faut quand il faut. 

On a ainsi plusieurs oeuvres qui jouent avec ces mises en rapport.
Histoires de Moïse
L'ambon de Klosterneuburg est le plus impressionnant, mais ce n'est pas la seule oeuvre de ce type (c'est le mot juste). Je vous laisse les découvrir.
Mais je vais quand même vous en présenter une autre un peu plus bas, parce que là, il se passe des petites choses intéressantes niveau costumes, qui ne sont pas aussi apparentes à Klosterneuburg (quand on l'habitude, on l'écrit sans réfléchir... sérieux)

Et en pratique, ça fait quoi ?
Disons que ça joue un peu...  La typologie met en rapport des événements se produisant à des époques variées. Et qui correspondent à deux parties (ou plus) distinctes de la Bible.
On remarque que... Oui... On peut trouver des utilisations du costume selon qu'on soit devant un type ou un antitype.
A Klosterneuburg, on a des costumes surdécorés, selon la bonne vieille tradition de représentation des Orientaux.  On remarque aussi des éléments totalement contemporains.

La Reine de Saba, à la dernière mode.
La reine de Saba porte ce qui ressemble beaucoup à une cotte très plissée. Les équipements militaires ont l'air fin XIIe, quel que soit le registre où ils sont.
Chapeaux pointus et maille qui m'aille...
 En revanche, on a un élément qui ne figure que dans les registres "Ancien Testament".
Nativité de Samson (je vous laisse deviner quel est l'antitype)
 Le chapeau pointu. Cet objet dont on n'est pas sûr qu'il a existé, et qui caractérise bien les Juifs et autres exclus, par extension (et qui est toujours très à la mode à Poudlard)
Coïncidence ? Les sorciers figuraient-ils parmi les bons chrétiens au Moyen Âge ?
On note ainsi une utilisation de cet accessoire pour caractériser les parties les plus anciennes. Celles où l'Ancien Testament et donc les Juifs dominaient. L'accessoire devient obsolète quand on passe au Nouveau Testament.
Circoncision de Samson... Type de ?

Et ça, c'est très intéressant ! Cela confirme une utilisation raisonnée des vêtements afin d'indiquer une certaine chronologie. Pas aussi précise que celle que nous aurions maintenant avec les découvertes archéos et tout le toutim, mais avec des éléments de costumes mis en rapport entre différentes scènes, et situant ces scènes les unes par rapport aux autres. (Il y a d'autres petites choses sur le retable, niveau costumes, mais ça demande vérification...)
(vous le sentez venir le refrain pinterpest ? Un peu de patience !)
C'est aussi à la mode en Terre du Milieu... Chez certains.

Rencontres du troisième type
(désolée, c'était trop tentant...)

On va un peu plus loin, là.

(Tant qu'à faire des blagues pourries... Autant aller jusqu'au bout)
Il y a un manuscrit que j'aime beaucoup, le Heilsspiegel, datant de 1360, et conservé à Darmstadt.
Je vous pose le lien là. Allez voir. C'est superbe.
Heilsspiegel, Darmstadt, site officiel


Et comme le laisse entendre le titre de cette partie, on a ici trois types par antitype.
Mais histoire de ne pas sombrer dans la monotonie... Parfois, c'est 1 NT 3 AT. Parfois 2 NT, 2 AT (quand même plus rare)
Il arrive, parfois, qu'une scène du Nouveau Testament soit un type d'une autre scène du Nouveau Testament. Par exemple les Mages adorant l'Etoile est un type de l'Adoration des Mages...
Les quatre premiers folios concernent l'AT, avec la Chute de Lucifer, avec trois scènes Adam et Eve, histoire de bien annoncer que la Chute de l'homme, c'est à cause de la femme... Puis quatre autres scènes de l'histoire de la pomme jusqu'à Noé.
Et enfin, on passe à une typologie plus traditionnelle : NT (avec Annonciation) et trois (généralement) AT.
Dans les dernières pages, de nouveau, les scènes observent la typologie d'une manière moins évidente. On retrouve la logique du début. On note l'utilisation des paraboles. Et on peut trouver un couple antitype/type par folio.
Vierges Sages et Vierges Folles, Eglise et Synagogue... Alors, c'est associé à quoi ? 69r, haut. (Pas bien de tronquer la double page comme ça)
On est dans une organisation des scènes moins stricte que Klosterneuburg. Et on n'y trouve pas forcément les mêmes associations.
La présentation du Heilsspiegel est, dans la grande majorité des cas : Antitype, surmontant un type, sur une page verso, et deux types sur la page recto en vis-à-vis.

Dans l'ensemble, les costumes sont assez conformes à ce qui se porte vers 1360. Les tenues courtes sont plutôt réservées aux méchants, mais c'est normal, les nouveautés de la mode, surtout quand ça dévoile les cuisses, ça choque... Et c'est connoté négativement. On n'a rien inventé avec la perception de la mini-jupe pour femmes 600 ans plus tard.

Un accessoire de mode apparaît, rarement, uniquement dans les types. Il s'agit du touret.
Avec un voile, en prime sur l'arrière... (ou alors, le rendu des cheveux est à revoir)
La Cène, antitype, la Pâque des Juifs, type. Avec de jolis chapeaux et tourets... (28v)

Dans cette configuration, aux heures de gloire du touret, on n'a jamais vu cela.
Et, surtout, à cette date... On n'a plus de touret ! En prime, c'est du touret haut ! Totalement altmodisch déjà au début du XIVe.
On a donc la reprise d'un accessoire de mode totalement obsolète, mais connu, car visible sur les gisants ou les vieilles sculptures, pour signifier que nous sommes dans l'Ancien Testament.

Le danger
Et on cause de Pinterpest et de tout autre catalogue de détails de costumes que ce soit en blog, sur forum, sur flick, que sais-je encore. Même si on a la référence totale, isoler ces détails sert tout simplement à induire en erreur.  (sauf si c'est dans le but d'illustrer un propos précis)
Légende type pinterpest "coiffes de 1360, Allemagne" PAS BIEN !
 En effet, les jeunes juives du folio 65r, datées 1360 laissent entendre qu'on peut porter des tourets avec voiles en 1360... Alors que cette scène (les Israélites recevant les Dix Commandements) se comprend par rapport à l'image supérieure du folio 64v (Pentecôte), et les deux autres types de la Pentecôte (Tour de Babel et Le don d'huile à la pauvre veuve).

TOUJOURS PAS BIEN
 Les coiffures sont là pour signifier que ce sont des Juifs et Juives de l'Ancien Testament. Donc du passé. Le tout en lien avec le don du Saint Esprit, pour les Chrétiens, et le temps présent (même si la Vierge et les Apôtres, conformément à la tradition, sont vêtus à la romaine. Le vieux est plus jeune que le plus récent. Si, cette phrase à un sens. Beaucoup de phrases absurdes ont un sens dans l'iconographie médiévale. C'est pour ça que c'est drôle)
Bref, minute radotage, toutes ces accumulations d'images, de détails, retirées de leur contexte, ne servent strictement à rien, et, pire, ont pour effet de donner des idées fausses sur le costume médiéval (et le monde médiéval en général).
La Pentecôte et ses trois types.. (normalement, en double page)
Là, c'est bien, on a tout... On voit qu'on nage dans la typologie, qu'il y a des scènes de l'AT, et des risques d'archaïsmes et de marqueurs d'altérité (judéité en l'occurence). On sait alors qu'on doit analyser avec soin et se méfier de tout ce qui sort de l'ordinaire pour la date.

Le paradoxe de l'utilisation des images.
Pour reproduire ou étudier le costume médiéval, on est tenté d'utiliser majoritairement les images. Or, on voit, depuis un moment, que les images sont des sources perpétuelles d'erreurs.
Se servir des images pour étudier le costume médiéval ne peut se faire QUE SI on a déjà de bonnes bases sur le costume médiéval, afin de repérer les pièges. Et pour repérer les pièges, il faut aussi connaître l'iconographie médiévale. 
Pour limiter les erreurs, il vaut mieux commencer par les (rarissimes) pièces archéologiques, en tenant compte de leurs contextes, et par les sources textuelles (qui ne nous donnent pas les informations relatives aux formes, ou alors, quand elles en ont envie... On voit plus souvent la comète de Haley). Il faut aussi savoir repérer les images les plus fiables. Celles qui ont peu de lien avec la religion, avec le passé. C'est là qu'on trouvera les infos... Mais même ces images sont sujettes aux conventions... (Et on ne reparlera pas des restaurations et des diverses altérations).
Mais tout baser sur les images ?
Très mauvaise idée. 

 


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