lundi 29 janvier 2018

ROMAN ROMAN

LA NEF DES LOUPS
Yann Kervran

Une fois n'est pas coutume, on va causer d'un roman...



Résumé :
Gênes, 1156. Le Falconus quitte le port. À son bord, pèlerins, marchands, membres d’équipage et… un crime.
«À ainsi te mêler de tout, tu sais que tu t’attires des ennuis.»
Tandis que le jeune Ernaut mène l’enquête, l’exaltation des débuts laisse place à la maturité. 
Et si le voyage vers la Terre Promise était aussi un cheminement spirituel ?

Bien connu du milieu de la reconstitution, Yann Kervran nous propose un roman policier historique de qualité. Sa connaissance des croisades et de la période choisie (le milieu du XIIe siècle) rend les aventures de son héros parfaitement crédibles, et d'autant plus passionnantes. Les petits détails « qui font vrai » sont savamment distillés ça et là, sans devenir envahissants ou tourner à l'étalage d'érudition. Le roman policier et le roman historique s'équilibrent. Il saura ravir les amateurs de suspense et les férus d'histoire médiévale. La Nef des Loups est la première enquête d'Ernaut de Jérusalem, une série plus que prometteuse. A découvrir d'urgence !

Et c'est pas parce que c'est un copain que je dis que c'est bien (ça marche pas comme ça avec moi !)

 

L'ouvrage avait été une première fois édité en 2011, aux éditions La Louve.

Yann Kervran, 
La Nef des Loups, 
Framabook, 2017 (réédition), 346 pages. 18€
Roman policier historique.

dimanche 14 janvier 2018

COSTUME MEDIEVAL

D'UN FIL A UNE CHEMISE
UNE BIEN BELLE EXPOSITION A PRAGUE

Prague quoi...

VITE ! à Prague, au Dum U Zlatého prstenu, c'est à dire la Maison à l'Anneau d'Or, une exposition sur les textiles au Moyen Age. Je croyais que l'expo était finie, mais elle est prolongée jusqu'au 18 février ! (téléphonez avant pour être sûrs de la date... Des fois qu'ils la prolongent encore)

Quelques mots sur le musée. Il est situé dans l'un des grands quartiers touristiques praguois. Et est oublié des touristes. C'est dommage pour eux, et tant mieux pour ceux qui découvrent les lieux. Petit musée dans une vieille maison, il fait découvrir la ville au Moyen Age, à travers l'évolution de son architecture, de son étendue...

Fragment de déco murale ancienne au rez-de-chaussée, et fragment d'animation murale contemporaine.

On apprend plein de choses sur l'histoire de la ville. C'est plein de petits objets comme on les aime quand on s'intéresse au Moyen Age.
Les chevaux qui galopent. Animation murale.

Il y a un espace enfant qui paraît rigolo tout plein (mais... J'suis un peu grande pour entrer... C'est pas juste). Les animations sur les murs et les sols sont super bien faites.

Animation sur le sol.

C'est magique.

Même endroit un peu plus tard.

Beaucoup d'animations aussi à base d'enluminures qui bougent.


Un exemple d'animation à base d'enluminure.



 Bref, un endroit à visiter absolument à Prague. C'est sûr, l'expo est finie, mais le musée vaut vraiment la visite (vous voyez la place avec la grande tour ? Vous voyez l'église en face ? Longez l'église sur la droite, et hop, vous y arrivez direct.)
Enseigne de pèlerin, avec la Croix et la Lance, 2e moitié XIVe (très bonne réplique en vente à la boutique du musée, si ça vous intéresse)


 En plus, le personnel est vraiment adorable et est prêt à vous aider, à vous expliquer (beaucoup parlent anglais), ils anticipent même la demande, on a des explications en deux langues. On s'en sort très bien.

L'expo en elle même...

Les femmes, ces créatures inspirées par le diable... Le diable apprenant à une femme à filer, 2e moitié XVe (provient du musée de la ville de Prague)

Eh bien, ça valait la peine d'aller affronter les aoûtiens ! (Qui étaient restés sur la place... Tant pis pour eux).
Comme dans tout lieu consacré aux textiles anciens, on trouve les fondamentaux : les différentes matières, les teintures, et le matériel.

XIXe, mais ça reste intéressant.

Certaines pièces archéologiques montrées datent du XIXe siècle (et proviennent du musée des arts décoratifs). Mais cela n'est jamais gratuit. En effet, ces pièces sont mises en rapport avec des enluminures, provenant en particulier du Hausbuch der Mendelschen Zwölfbrüderstiftung, Amb.317.2°, du XVe siècle, et conservé à Nuremberg (qui n'est pas si loin que ça de Prague) Consultable ici. Si l'aspect des objets diffère, l'usage est le même.
Mais on a aussi un paquet d'objets médiévaux. Dont des pièces très anciennes, certaines extraordinaires. En particulier une quenouille du Xe siècle. Vraiment bien conservée.
Quenouille du Xe siècle... Impressionnant.

On peut ajouter des pointes de peigne à laine, de la même époque, des fusaïoles, un fragment de lissoir en verre du XIIe, et plein d'autres choses...
Aiguilles à filet du IXe siècle en os et en fer.


Au niveau des fibres, une fois n'est pas coutume, l'ortie n'a pas été oubliée. Quelque chose qui mérite d'être signalé. Sinon, on a les classiques : lin, laine, chanvre, soie... Et coton (avec la réserve quand à son utilisation comme matière pour tisser les vêtements... Uniquement sur la fin du Moyen Âge.)
Soie naturelle avant teinture.

Et le gâteau est plein de cerises.
J'aime toujours quand on insiste sur les changements dans les textiles au milieu du XIIIe siècle. Les nouveautés, l'industrialisation grandissante, les progrès dans les outils, la spécialisation, l'apparition des guildes, l'indépendance des teinturiers, et le lin, qui dépend des récoltes et est un peu à la traîne, le pauvre... Les panneaux explicatifs sont vraiment très bien faits, il n'y a pas à dire. Un travail très sérieux.
Hausbuch der Mendelschen Zwölfbrüderstiftung, Amb.317.2°, 90v, Nuremberg, Stadtbibliothek. Ben en fait, c'est pas exagéré, la taille des ciseaux. A noter : les petits crochets pour fixer le tissu sur la table. La laine ôtée était récupérée. (Photo Stadtbibliothek, Nuremberg)

Ah, tiens... On remet les choses au clair. J'ai toujours tendance à me méfier des proportions des objets sur les images. Surtout quand ça paraît démesurément grand. Souvent à raison... Et parfois à tort. Il y a un type de ciseaux qui est absolument énorme. Celui utilisé à la fin du processus de création du drap de laine, pour raser les fils. Il y en avait une paire, du XIXe. Euh... Tout simplement impressionnant.
Les gros ciseaux pour raser le tissu. Ceux-ci datent du XIXe. A côté, fragment de lissoir en verre du XIIe.


Voir ce genre d'objet permet de mieux comprendre tout le boulot qui est derrière ces tissus.

Tentative ratée de donner une échelle avec le doigt, sachant que je suis loin de l'objet. Mais c'est vraiment énorme.

Et donc leur valeur. Et le luxe qu'ils représentaient. Pourquoi ils ont fini par totalement remplacer les tissus à l'ancienne mode... Plus doux... Et signe extérieur de richesse, étant donné tout le travail (peignage, rasage... etc.) Je mets la photo wiki du vitrail de Semur-en-Auxois (reproduit à l'exposition), montrant tout le processus :
Vitrail des drapiers, Semur en Auxois (photo wikimedia commons)

On sort la laine, on la carde, on l'essore, on la tisse, on la foule, on la peigne une fois teinte, on la rase, et enfin on la brosse.

Rubrique économique... Où l'on apprend que les deux principales exportations tchèques au Moyen Âge étaient la bière et le drap de laine (pas de commentaire...). Quant aux importations : laine et lin de haute qualité, soie. Rien de bien étonnant à ce niveau.

Les démos de teinture, les matières, les mordants, les comparaisons... Là aussi, c'est un peu du déjà vu, mais toujours intéressant. (Je commence à avoir l'habitude, mais ce n'est jamais présenté de la même manière).
Teintures sur soie


Et il y a même un vert obtenu sans mélange de bleu et de jaune ! Juste le bon mordant et la bonne plante... Et c'est fadasse. Néanmoins, cela peut donner des idées pour ceux qui veulent faire du pauvre.

En bas à gauche, vert obtenu en trempant la laine dans du vert de gris puis en la teignant avec le genêt des teinturiers.


Et là, c'est l'avalanche de cerises ! Les restes textiles ! Y en a plein ! Peu de lumière... C'est plutôt bruni... Mais purée que c'est intéressant ! Et on n'est pas laissé là comme des abrutis. On a droit à des camemberts explicatifs. Les matières, les tissages, les couleurs, les usages (là, je saute de joie), etc. Le paradis sur terre. (Si le catalogue n'est pas très bavard, il y a un autre ouvrage qui est génial et développe le tout... Avec illustrations légendées en anglais et un résumé en anglais à la fin... Plus de 450 pages, le pavé !).
Camembert, sur les types de laine trouvés.


Que ressort-il de cette débauche de restes textiles (XIVe-XVe) ?
Que les laines sont majoritaires (91%). On a ensuite les crins de chevaux, les soies et les végétaux divers, bons derniers, qui sont les textiles qui se conservent le moins (donc, ceci n'est pas très représentatif de leur présence réelle). 
Que les tissus foulés sont largement majoritaires.
Que les draps de laine sont largement majoritaires.
Que les tissages diamants et chevrons ont disparu de la circulation (milieu urbain).
Que le bleu n'est ni dans les lainages, ni dans les soies.
Que le proportion de soies est faible... Et là dedans, les damas sont rarissimes. Les soies en tissage simple (certainement unies) représentent plus de la majorité.
Qu'on peut avoir une laine doublée de laine, mais ce sont des cas très intéressants, vu la manière dont c'est fait.
Laine doublée laine, avec cette originale déco en soie qui coud les deux couches. Du coup, je reste perplexe quand à la pertinence de la doublure laine, car les deux exemples sont particuliers (l'autre, c'est une rangée de boutonnières). J'aimerais bien savoir sur quel type d'objet ça se trouvait, et où...


Et que l'ourlet au point de grébiche, ça ne se fait pas qu'à Assise, que ça peut se faire en soie. Mais je le retrouve pas dans mes photos (mais il est dans le gros catalogue...)
Et qu'il y a des exemples de plissés magnifiques, aussi.
Très beau plissé (expliqué dans le gros catalogue), et lumière qui gâche tout...


Douche froide dans la dernière salle. Ca partait d'une bonne intention : reconstitution de costumes du XIIIe au XVe. Le XIIIe m'a donné envie de fuir. Robe trop courte, pas de manteau ni de surcot... Et avec la couleur du filet en plus... Ils ont trouvé le moyen de représenter une femme de mauvaise vie... Le costume XIIIe était un ratage total. Heureusement qu'il y avait un touret pour qu'on reconnaisse l'époque. La longueur des tenues féminines est un réel problème dans cette salle. Ainsi que les ceintures, mises... Comme il ne faut pas. Le costume masculin XIIIe, c'est encore pire...

J'ai les yeux qui saignent. Beaucoup. En revanche, sur la gauche, belle reconstitution d'étal.

Malgré cette dernière partie plus que décevante, cette expo était, dans l'ensemble, une grande réussite. Très bien faite, compréhensible. Riche. Les éléments anachroniques étaient néanmoins justifiés et mis en rapport avec des objets médiévaux. La quantité de tissus exposés était impressionnante. Un régal.

Des cartes à tisser en ramure. Je savais pas que ça existait... Maintenant, oui.

L'expo est presque terminée, mais je vous conseille de vous procurer le catalogue, qui privilégie l'iconographie.
Le catalogue de l'expo, richement illustré.

Et surtout le gros volume sur les textiles dont je ne comprends même pas le titre (mais vive le résumé en anglais !). Et si vous avez un week end libre (et les sous)... Direction Prague hors saison !
Le gros catalogue hyper utile, avec les camemberts.

Si c'est trop tard, n'hésitez surtout pas à vous rendre dans ce musée bien tranquille, et très intéressant !

Infos sur le musée :
Adresse :
Týnská 630/6
110 00, Prague 1 – Vieille Ville
Contact :
Informations, billetterie : +420 601 102 961

Ouverture :
Tous les jours sauf le lundi,  9h-20h.

Ceci est un point de repère pour trouver le musée.