jeudi 26 janvier 2017

LES ARNOLFINI

ON EFFACE TOUT ET ON RECOMMENCE
La dure réalité de l'interprétation des images... 
Ou 
C'est pas facile tous les jours d'être historien (ne) de l'art... 

Je ne vais pas refaire ici mon article qui vient de paraître.
Mais, je peux compléter.
Je trouve que le cas de ce tableau, l'un des plus fantastiques portraits qui soit, est passionnant.

Pendant 60 ans, une interprétation a prévalu, et les autres possibilités n'arrivaient pas à convaincre.
Et patatras. On trouve LA preuve que cette interprétation était fausse. (Vous ne m'en voulez pas de ne pas dire de quoi il s'agit ? Ceux qui connaissent le tableau doivent le deviner... Et puis... C'est dans le dernier Moyen Age ! )
Bref, Panofsky... Il avait tout faux, ou presque.
Il faut donc tout revoir.
Qui a dit qu'historien de l'art était un métier de tout repos ?

Gros indice...
 Ce qui est encore plus surprenant, comme si la remise en cause de l'interprétation prévalente ne suffisait pas, c'est le peu d'écho, en dehors d'un milieu restreint, de cette remise en cause.
En gros, cela fait 20 ans que l'on sait que c'est faux. Mais l'info ne passe pas !
Quand on commence à chercher, on trouve. Mais... Il faut pour cela se demander pourquoi un auteur sérieux, au détour d'une conf, dit ce qui était rejeté jusque là.

Et on découvre que pendant 30 ans, on a cru un truc faux, et qu'on l'a enseigné pendant plus de 20 ans.

Comme il serait totalement stupide de se voiler la face... Il n'y a plus qu'à remettre ce qu'on sait à jour.
Jusqu'à la prochaine découverte. Parce que là, on est parti sur de nouvelles interprétations, qui pourront aussi se révéler fausses.
Mais, finalement, ça tient la route, cette histoire. Je suis assez pour prendre le contrepied total de ce que je croyais dur comme fer il y a encore 6 mois.

On se retrouve avec un cas d'école, en ce qui concerne l'analyse iconographique, l'importance de croiser les sources...
Et ça reste un chef-d'oeuvre, qui prend quelques niveaux en "mystère".

Il demeure l'un de mes tableaux préférés. Et l'un des plus intéressants.
Le rêve de Ned ? Faire un plancher aussi parfait que celui de Van Eyck. Il a reconnu qu'il n'avait jamais pu le faire...

Et puis, j'en connais un que cette histoire aurait bien fait rire. Le fan numéro un incontesté des Arnolfini. Mon cher Ned...
Le plus grand fan répertorié des Epoux Arnolfini, Sir Edward Burne-Jones himself !

Donc, voilà...
MADAME ARNOLFINI EST PEUT-ETRE ENCEINTE !
Eh oui ! Comme quoi...

Ca y est, c'est dit !
(et à mon avis, elle l'est)

Et ce tableau en devient encore plus humain...

C'est pas faute d'avoir essayé...

MOYEN AGE N° 108


Il est paru, et il y en a pour tous les goûts... Comme toujours !

Au sommaire :
Le château de Suscinio
Les Vikings en Bretagne
L'écriture runique
Le Palais de Justice de Rouen, sous un aspect peu connu
L'argent
Les Malet, sires de Graville
Les jetons, méreaux et médailles à double lecture
Le coffre de Sion
Les trésors enluminés de Normandie

Et de ma part :
Les Epoux Arnolfini de Van Eyck, et la façon dont un costume peut nous en apprendre beaucoup sur le sens d'une oeuvre... (Après, enceinte ? Pas enceinte ??? A vous de vous faire votre opinion)
(Avec, en prime, un tuto freppes express par Laurette Estève !)

Oui ? Non ? Grande question !


Le premier d'une série d'articles sur la Chapelle Brancacci. Les deux Adam et Eve.

Du Gothique à la Renaissance, en gros... Le meilleur de la Renaissance...

Bref, deux chefs-d'oeuvre de l'art du début du XVe siècle...




dimanche 15 janvier 2017

COSTUME CAROLINGIEN

Période CHARLES LE CHAUVE
Le doupion c'est le Mal !

 
Le Caro, c'est beau.

Je reviens sur un ancien costume, qui est, à un "léger" détail près, toujours d'actualité. C'est rare, vu les progrès qu'on fait en reconstitution. Il date de début 2010.
Mon costume 870. 
Bienvenue en 870 (ou presque...)

J'annonce tout de suite ce qui ne va pas... Le tissu. C'était l'époque où on nous serinait comme quoi "le doupion et la soie sauvage c'était histo". 
Eh bien non. Ce sont des tissus à éviter comme la peste avant... Ouh la ! Pour le Moyen Age, laissez tomber pour les costumes occidentaux. (En déco, ça peut passer). A mon avis, faudrait carrément fuir avant le XXe, à l'exception des parties peu visibles (j'ai un dos de gilet en soie sauvage du XVIIIe quelque part)
Donc, ce costume est correct... Sauf pour les tissus (sale gag, quoi).

La sous robe a été remplacée par une robe en samit bleu (et en vraie soie), mais cette dernière a depuis été retransformée pour faire une doublure. Sinon, Je la portais, à l'occasion, avec une sous robe en soie blanche. 
Avec la sous-robe en soie blanche.

La robe principale, il n'y a rien à faire. A part en recouper une autre. Joie. Mais comme je n'ai plus l'occasion de la porter en ce moment, il n'y a pas urgence.


Les différents voiles sont en fait des saris (zaris quand il y a du fil d'or, ce qui est le cas du voile gris), compatibles par leur décor. La longueur et la matière en font le parfait palium. 
Les saris, c'est le bien pour la reconstitution...

Je pourrais vous dire que la démarche principale a consisté à faire le ménage parmi les différentes sources carolingiennes. Supprimer tout ce qui avait l'air oriental. (Bref, ce costume est garanti sans Stuttgart !)
Forcément, à la fin, il ne reste plus grand chose. Surtout pour du féminin. 
Les sources les plus fiables sont les images de dédicaces. Or avec des femmes, il reste... La Bible de Saint Paul Hors les Murs, dite Bible Carolingienne. Date incertaine. L'une des femmes de la page de dédicace est l'épouse de Charles le Chauve, Hermentrude ou Richilde. 
Hermentrude ou Richilde et une suivante, Bible Carolingienne.

Mais laquelle ? La date dépend de l'identité... Richilde est épousée en 870, très peu de temps après la mort d'Hermentrude. La reine est suivie d'une dame. On note tout de suite la différence de costume : pas de bande centrale. La bande constituant une référence aux souverains d'un peu plus loin (les Byzantins) qui servent de modèle aux souverains de l'ouest.
Oui, je pourrais dire cela.
MAIS 
A l'époque, je n'en avais aucune idée. J'ai choisi ces modèles parce que tout le monde s'inspirait de Stuttgart, et j'avais envie de faire autre chose. J'ai donc tapé dans du Charles le Chauve, et je suis tombée dans un autre univers. 
Et c'est justement cette différence de déco entre les ouvrages qui a fini par me mettre la puce à l'oreille (le chat n'y est pour rien !) et à réfléchir sur la méthodologie à appliquer en matière de costume carolingien. 

Ce costume est histo (on ne parle pas des tissus, merci) uniquement parce j'ai trouvé plusieurs sources qui montraient des costumes sans bande déco... Et que je me suis dit "pourquoi pas ?".
A quoi ça tient, quand même !
Après, j'ai cherché, fouillé, fouiné, comparé... Et... Surpriiiiiiiiise ! Stuttgart, et d'autres se sont avérés être à haut risque (risque maximum pour Stuttgart).
Ceci dit, les infos sur les personnages, les manuscrits de base, les remarques sur Stuttgart, etc. sont correctes. C'est juste que j'ai eu vraiment un énorme coup de bol en basant mon costume sur du Charles le Chauve. 
Bible Carolingienne, ou Bible de Saint Paul Hors les Murs. Page de dédicace. Avant 875

Ca tombe bien : mon costume est un costume de noble, mais pas de reine, du coup, l'abandon de la bande centrale était vraiment une bonne idée (après, vu la couleur et la déco, le costume peut passer pour un costume royal, sans bande centrale). Car la bande centrale est le détail orientalisant ou royal/impérial par excellence. On ne la voit d'ailleurs pas sur les hommes dans la Bible Caro. Comme par hasard... Pour Charles le Chauve, difficile de le savoir, à cause du manteau. Le détail est aussi absent dans la Bible de Vivien (Première Bible de Charles le Chauve). Mais là, les courtisans ont de fines bandes décos (galons ???) en bas de leur tunique, et il semble que Charles le Chauve ne porte pas de bande centrale. 


Première Bible de Charles le Chauve, Charles le Chauve reçoit la bible du comte Vivien. BNF, latin 1, 423.
Tout au plus peut-on voir une fine bande latérale sur la tunique de Vivien, un détail qu'on croise couramment sur la Bible de St Paul.
La Bible de Saint Paul est l'une des sources les plus intéressantes pour le costume carolingien. Même s'il convient de toujours ouvrir l'oeil. Il y a des petits signes d'orientalisme ou des détails antiquisants par-ci par-là. Mais, dans l'ensemble, c'est l'une des plus utiles... Et pas très utilisée, hélas (la différence entre un manuscrit absolument pas fiable, mais totalement numérisé, et un fiable... Qui se trouve en bouquin... Pourquoi parfois on est histo ? Grâce à ça. Et à un gros coup de bol -en dehors des tissus... *part pleurer*)
Sainte, détail du Sacramentaire de Charles le Chauve.

J'ai pris une petite liberté par rapport à la robe de la reine. J'ai choisi une encolure triangulaire, provenant d'une sainte du Sacramentaire de Charles le Chauve, BNF, ms lat 1141, fol. 5v. Pour varier un peu. La liberté est donc sourcée.


Trouvez le chat !

La robe est taillée d'une seule pièce, en trapèze. 



L'encolure est décorée de perles et pierres diverses : perles de verre, d'eau douce, améthyste, lapis lazuli, chalcédoine, grenat, aventurine, azurite, oeil de tigre, cristal de roche, cousues ou en serti tissu, et de fil de soie.
Serti tissu, le début... (Tuto complet dans Moyen Age 77)

Le poids des pierres à l'avant a nécessité la pose d'un contrepoids au dos, fait de perles de verre assez lourdes. Sinon, tout partait sur l'avant.

Le reste de la déco est fait surtout de perles d'eau douce, de fil d'argent, de lapis lazuli, d'azurite, de chalcédoine. Sobre, quoi. 
Détail manche
 
Bas de la robe



Déco centrale

En dehors du voile, je porte aussi des boucles d'oreille, accessoire encore à la mode à cette époque, que l'on voit sur plusieurs sources (y compris la Bible caro). 

J'ai choisi des boucles avec pendeloques, qui par leur forme et les matières correspondent aux objets portés au IXe siècle. J'ai aussi un modèle de pendants avec dôme et pierres en pendeloques. 
BO et épingles

Là aussi, cela est compatible (j'avais d'ailleurs fait changer la pendeloque principale, taillée à facettes, par une pierre polie).

Les trois grosses perles et les spinelles (atelier Drachenhort)
 Le voile peut être porté avec un diadème en argent, orné de perles (dont 3 grosses d'un cm, le diamètre maximum si on veut rester histo), de grenats et de "rubis", qui sont en fait des spinelles, mais la différence n'était pas faite au Moyen Age. 
Avec le diadème (et un arbre qui n'a rien à faire chez les caro)

Des épingles ornées de pierres complètent le costume et fixent le voile s'il est porté sans diadème.

Biblio :
Marco Cardinali, La Bibbia carolingia dell'Abbazia di San Paolo fuori le Mura, Edizioni Abbazia San Paolo, Vatican, 2009



L'article complet sur cette robe, et le tutoriel pour le serti tissu se trouvent dans ce numéro de Moyen Age : MA 77, juillet-août 2010

Les photos en extérieur (joli) ont été prises en l'église d'Ottmarsheim, à Marle, dans mon jardin ou dans le cloître des Quatre Saints Couronnés à Rome. J'aime bien ces photos, c'est pour ça qu'il y en a plein (et j'en ai encore... Le choix est terrible...)

mardi 10 janvier 2017

COULEUR

ROUGE
HISTOIRE D'UNE COULEUR
Michel Pastoureau

Avertissement : j'ai volontairement choisi d'illustrer cet article avec des images ne figurant pas dans le livre. (sauf la couverture...)




Tout ceux qui s'intéressent au costume médiéval, et à l'art médiéval, connaissent évidemment les ouvrages de Michel Pastoureau. Le spécialiste de la couleur est parfois décrié, par certains qui, bien souvent, se sont contentés d'une lecture rapide. Or, si on lit bien les textes de M. Pastoureau, si l'on suit ses conférences (certaines sont disponibles en ligne), on ne peut que reconnaître la richesse de sa documentation, la pertinence de ses remarques, et la sagesse des précautions qu'il prend. J'apprécie la sincère humilité de ce grand monsieur. 

Ceci étant dit, passons maintenant à son dernier ouvrage, qui concerne LA couleur la plus à la mode au Moyen Age, la valeur sûre (normalement) pour ne pas se tromper dans son costume : le Rouge.

Skyphos à figure rouge, vers 450 av. J.-C. Hessisches Landesmuseum, Darmstadt.

Je reconnais avoir un préjugé favorable envers ce livre, en raison des autres publications ou interventions de Michel Pastoureau. En outre, étant moi même très sensible à la question des éclairages d'origine des oeuvres que l'on voit maintenant à la lumière électrique, quelqu'un qui insiste aussi sur ce fait, forcément... Je sais par avance que le propos a de très fortes chances de m'intéresser. Je sais que je vais lire l'ouvrage de quelqu'un qui se pose les bonnes questions, et qui permet au lecteur de se poser, à son tour, de bonnes questions. Il n'y a pas de bonne démarche sans bonne méthode. Il n'y a pas de bonne méthode sans bonne question. Et certaines des remarques de Pastoureau concernant la méthodologie devraient être écrites en majuscules (rouges, évidemment) devant les bureaux des chercheurs. (Ca, pour me retrouver souvent face à des problèmes de couleurs dans l'image... Je connais bien les interrogations que l'on se pose dans ces cas là... Où des fois ça marche comme ci, et des fois ça marche comme ça, et là ça marche comment ?). Tout ceci paraît éloigné de notre sujet (le rouge), mais non. La méthodologie est essentielle, primordiale, et indispensable dès que l'on se plonge dans les autres époques. Une bonne méthodologie, qui reconnaît ses limites, est la marque d'un travail sérieux. Que l'on soit d'accord ou pas avec les conclusions, d'ailleurs.
Tiens, petite colle... Qu'est-ce qu'une couleur, déjà ? On voit dans ce livre que ce n'est pas si simple. 

Et maintenant...
Négativons-un peu. (Oui, je néologise)
Il n'y a pas d'index (ce qui me rappelle la critique de mon livre, tiens. Comme quoi, c'est vrai que c'est utile). Je préfère nettement les notes en bas de page aux notes en fin de volume. (Nous sommes dans les remarques négatives capitales, tout le monde en conviendra). 


Vittore Carpaccio, détail du Miracle de la Croix, 1494, Galerie de l'Académie, Venise. LE peintre du rouge... Un grand nombre de nuances sur ce simple détail... Son absence (parmi les illustrations) est le principal défaut du livre. (Oui, parce que j'adore Carpaccio. Voilà, c'est dit !)
Mais, surtout... Voilà... Un livre sur le rouge. Richement illustré... Sans... Le maître absolu du rouge. Pas un petit Carpaccio en photo... Mais ! Qu'est-ce à dire ? C'est vrai, l'admiratrice du peintre vénitien que je suis est un peu déçue... Rassurez-vous, son nom apparaît dans le texte. Ouf ! Le contraire eut été dommage. (Comme Rubens. Mais lui, il a son tableau.) Mais, après tout, ce n'est pas à moi de choisir les illustrations.

Entrons dans le (rouge) vif du sujet.

Pour le reste. Iconographie riche, donc. Ce qui est toujours appréciable. Les oeuvres choisies ne sont pas forcément les plus connues, mais cela est enrichissant, car la sélection est réussie (à part le grand absent). Si Michel Pastoureau s'intéresse surtout à une période allant de l'Antiquité romaine au XVIIIe siècle, il n'hésite pas à déborder. Et, là encore, c'est quelque chose que j'apprécie grandement. Connaître, au moins un minimum l'avant et l'après, est, à mon sens, l'une des bases d'une recherche sérieuse.

Lucas Van Leyden, Les Joueurs d'Echec, vers 1510 ?, Gemälde Galerie, Berlin. Le changement de statut du rouge se voit sur ce tableau. Si l'échiquier continue à être blanc et rouge, les pièces rouges ont déjà été remplacées par des noires, comme sur nos échiquiers actuels. (photo pinterest)

Le découpage du livre est intéressant. On trouve quatre grandes parties, faisant chacune une bonne quarantaine de pages. Les choix des grandes parties regroupant les grandes périodes historiques sont signifiés par des titres éloquents, évoquant le rôle de la couleur durant l'époque évoquée.  
Il serait tentant d'aborder la critique de ce livre en détaillant chacune de ces quatre parties. Mais je pense que cela ôterait une partie du plaisir de la lecture. 

On apprend tellement de choses dans Rouge. Sur toutes les époques, même celles que l'on connaît déjà bien. Ces découvertes constantes nous rappellent qu'il est impossible de tout savoir. Et les surprises sont nombreuses. Dès la Préhistoire.

Arrestation du Christ, vers 1260, Musée de l'Oeuvre Notre Dame, Strasbourg. Judas, représentant du rouge négatif...
 Michel Pastoureau aborde tous les aspects du rouge dans la civilisation occidentale (en incluant l'Egypte et le Proche Orient antiques). Ses histoires, comment il est perçu selon les époques. Comment on l'obtient, pour teindre ou pour peindre. Ce qu'on en fait. Rouge féminin. Rouge viril. Rose. Les contes. Quand le porter. Son pouvoir sémantique. Le rouge, symbole du pouvoir, mais aussi symbole du parvenu. Le drapeau rouge. Du vêtement au maquillage, en passant par la polychromie, l'héraldique, les cheveux, les jeux, les talons rouges... Quand il est à la mode. Quand il ne l'est plus. Quand il devient dangereux. Ses symboliques. Quand il est négatif, quand il est positif. Et pourquoi. Et comment cela se manifeste. Aristote, Pline, Newton, Goethe. Etc. 

La lecture est agréable. Les anecdotes sont toujours pertinentes. Les faits sont documentés. On se surprend à s'interroger sur ce qu'on croyait savoir en lisant tel ou tel passage. Le rouge est aussi régulièrement mis en rapport avec les autres couleurs. 
Les notes de fin de volume (grrr) apportent les renvois bibliographiques indispensables, ainsi que de petites précisions, remarques, apartés qu'on trouve finalement nécessaires.

Anton Van Dyck, Jupiter et Antiope, vers 1620. Musée des Beaux Arts, Gand. Le rouge des peintres du XVIIe.

C'est un livre abordable par tous, et d'une grande richesse. Qui plus est, très utile. 

L'amateur d'art sera ravi. Surtout l'amateur d'art antique ou médiéval. Les passionnés de costume seront attirés par les parties sur les teintures, et par les implications de certains passages, par la place du vêtement rouge dans la société. On en apprend beaucoup sur la vie quotidienne, sur la beauté, sur les sciences... 

Alphonse Allais. Tout est dans le titre. J'adore. 
Bref un excellent livre, que j'ai dévoré. Je n'ai pas été déçue (car rien n'est pire que de découvrir que le livre qu'on attendait n'était pas à la hauteur). Peut-être le meilleur des ouvrages de Michel Pastoureau sur les couleurs, à mon avis. (Et pourtant, je suis, comme la majorité des gens, plus attirée par le bleu...)

ROUGE
HISTOIRE D'UNE COULEUR
Michel Pastoureau
Seuil, Paris, 2016
39 €

A LIRE ABSOLUMENT. 



samedi 7 janvier 2017

MODE ETE

PORTER SA ROBE QUAND IL FAIT CHAUD

Petites expériences pratiques du port de la robe à trois garnements



Mmm... Il fait chaud, mais je dois sortir... Et je n'ai que de la laine. Que faire ?

Le fait que les couches externes du costume médiéval soient constituées de laine génère souvent une réaction d'effroi. Cela doit être importable en été !
Plusieurs expériences ont été faites, par grandes chaleurs, avec des ensembles complets.


Evidemment, les laines choisies étaient fines. Idéales pour l'été. Certaines étaient doublées de soie.
Il s'agit de laines non foulées, de type worsted. Sergés losangés pour la plupart.

Une première précaution est à prendre : revêtir la tenue tôt le matin ou dans un endroit frais, quand le corps n'est pas à haute température. La laine est un isolant, et grâce à cela, le corps restera au frais.


Les expériences ont été réalisées en Italie, en France et en Angleterre, sur différents sites, généralement médiévaux.


Ne porter que la cotte est une solution. Mais, on ne sort pas "en corps". Il faut savoir rester correcte.

Aout 2015
Abbaye de San Galgano (Toscane), extérieur. Après midi. Ruines médiévales, vallée. Température : 38°. Léger vent. Tenue : Chemise de lin, cotte seule ou avec surcot en laine. Surcot doublé de satin. Voile en lin et voile en soie. Barbette. Gants.
Cotte, surcot doublé de satin, voile de soie. Ensemble très léger.


Massa Marittima (Toscane). Extérieur et intérieur. Fin d'après midi. Ville médiévale en altitude. Cathédrale. Température : 36°, léger vent. Tenue : Chemise de lin, cotte et surcot en laine. Surcot doublé de satin. Voile en soie. Barbette. Gants.

Devant la cathédrale de Massa Marittima (la fontaine, bien plus fraiche, n'est pas accessible. Dommage, on a raté un beau décor...)


Cecina (Toscane). Extérieur et intérieur. Début de soirée. Station balnéaire moderne. Béton. Température : 38°, très léger vent. Chemise de lin, cotte et surcot en laine. Surcot doublé de satin. Voile en soie. Barbette.

La tenue est très agréable à porter, en contexte médiéval. Un peu chaud sur les avants-bras (mode 13e oblige, la cotte est serrée à cet endroit). La chaleur est surtout au niveau des jambes (sous-vêtements modernes). Que ce soit à S. Galgano ou à Massa Marittima, le costume était totalement adapté.

Seul élément un peu gênant : la barbette. Proche du corps. Elle prend toute la transpiration.

Une vue rafraichissante de Cecina... Costume médiéval déconseillé.

En revanche, les choses ont changé du tout au tout à Cecina. La ville est bétonnée. La circulation des voitures est importante. La tenue est devenue insupportable. En intérieur (appartement moderne), c'était encore pire. Et ce quels que soient les vêtements (médiévaux, actuels, naturels, synthétiques. Seul le maillot de bain est supportable. Vive la plage !). Ceci amène à se poser des questions sur les matériaux de construction modernes, invivables par grande chaleur sans climatisation ou au moins un ventilateur...


Ceri (Latium), extérieur et intérieur. Fin d'après midi. Village médiéval en hauteur (route d'accès bétonnée). Température : 34°. Peu ou pas de vent. Chemise de lin, cotte et surcot en laine. Surcot doublé de satin. Voile en lin. Barbette. Gants. 

En terre étrusque... (Ce qui explique les boucles d'oreille que l'on pouvait encore porter en Italie à cette date. Même si c'est limite...)


Rien de spécial à signaler. Aussi agréable dedans que dehors.


2. Juin 2016
Château de Malbrouck (Lorraine). Extérieur et intérieur. Après-midi. Château médiéval restauré.
Température en fin d'après-midi : 34°. léger vent. Chemise de lin, chausses de laine, cotte, surcot et manteau en laine. Surcot doublé de soie légère. Manteau doublé de samit. Voiles en lin et en soie, barbette, bandeau. Gants.
Trois moyens de porter le costume. En jouant avec les garnements. La tenue qui montre le plus le statut est la dernière, avec cotte, surcot et manteau dans la même laine.


Visite de tout le château en costume. Escaliers, chemin de ronde, salles diverses. Le costume en lui même ne tient pas chaud. En revanche, toujours un peu de chaleur au niveau des avants-bras. La barbette et le bandeau sont les seules parties où la transpiration est notable, ce qui devient désagréable au bout de 2 heures. Néanmoins, au moment du déshabillage, la transpiration de tout le corps se ressentait au niveau de la chemise, sans que cela ait gêné auparavant.
La robe XIIIe complète, avec ses trois garnements dans le même tissu. La cotte et le surcot font chacun plus de 6m d'ampleur. La soie très fine qui double le surcot pourrait correspondre au cendal, type de soie que l'on retrouve fréquemment dans les livres de compte pour les doublures. Et qui est un cauchemar à travailler !


3. Juillet 2016
Leeds (Yorkshire). Extérieur (un peu) et intérieur + transport en commun (le bus en costume méd, un poème)... Bâtiments universitaires 19e siècle. Par endroit très peuplés. Costume porté toute la journée. Température : 16°. Certaines salles étaient climatisées. Chemise de lin, chausses de laine, cotte, surcot et manteau en laine. Surcot doublé de soie légère. Manteau doublé de samit. Voile en lin, barbette, bandeau. Gants.

Encore une fois, les seules parties du costume qui se révèlent inconfortables au bout de quelques heures sont la barbette et le bandeau, soit les lins en contact direct avec le corps. Toujours les mêmes effets : transpiration accrue sur le front, l'ovale du visage et sous le menton (alors que le reste du corps ne transpire pratiquement pas). 
Handicap : sac informatique porté en bandoulière. On voit que l'un des éléments ne colle pas... C'est en fait très gênant avec le manteau. (Etonnant !)
La tenue est agréable aussi quand il ne fait pas trop chaud.


Version automnale, cathédrale de Reims.

Le costume complet a ensuite été porté plusieurs fois, en été ou en automne. La différence principale, niveau confort, se situe toujours au même niveau : le tour du visage. 

Conclusions
* Porter ces types de laine en été est finalement possible. Les doublures de soie, très fine pour le surcot, épaisse pour le manteau, n'amènent pas un réel surplus de chaleur.  
* L'ampleur des vêtements permet à l'air de circuler.
* Ceci est une tenue pour personnes d'un certain statut. Donc, il n'est pas question de porter ceci lorsqu'on travaille. En outre, si on peut déambuler en ville avec, il est préférable de ne pas rester trop longtemps en plein soleil par fortes chaleurs. Mais ceci est valable aussi en tenue actuelle. Bien sûr, on risque moins le coup de soleil avec le costume médiéval !  


Le bandeau et la barbette, portés dans des conditions supportables... On note aussi le problème posé par le poids du manteau sur le fermail du surcot... A travailler !

* Ce qui pose problème, ce n'est pas la laine, c'est le lin de la barbette et du bandeau sous le voile, que ce dernier soit de lin ou de soie. Il y a un inconfort flagrant, lié à la transpiration. Ceci nécessite des lavages réguliers, par mesure d'hygiène (à vrai dire, il faudrait le laver le soir même).

La nécessité de ces lavages, et la méthode de lavage (eau bouillante), peuvent expliquer pourquoi ces accessoires en contact direct avec la peau (ce qui n'est pas le cas des voiles et crêpines) sont systématiquement représentés en blanc (lin, très certainement). Les seules couleurs vues sur ce type d'accessoires étant, sinon, de couleur or. Nous n'aborderons pas les cas précisément (les personnages étant "à risque" -donatrices depuis longtemps décédées), nous nous contenterons de signaler que l'or peut être bouilli. Le même traitement appliqué à des fils teints risque, en revanche, d'avoir de fâcheuses conséquences. Mais... la sueur aurait déjà eu quelques effets sur une telle décoration, avant même le premier lavage, sur la peau ! 

* Si porter l'ensemble de laine n'apparaît pas comme désagréable quand on l'a sur soi... Quand on l'enlève, on apprécie, quand même ! 

L'ombre, c'est le Bien !


Photos : Patricia Fogli-Iseppe, Emilie Brustolin, Catherine Lagier/GMA