mardi 24 octobre 2017

COSTUME XIIIe ?

DES TENUES SI ORIGINALES
Méfiez-vous, encore et toujours.

XIIIe, vraiment ? (photo : History of Royal Women)


La jolie église, vestige de l'abbaye de Roermond (Photo : Dany Landman)

Une fois n'est pas coutume, on va vers le nord. Plus exactement aux Pays-Bas, dans la jolie Munsterkerk de Roermond (Ruremonde en français).

On va pas trop s'étaler là dessus. C'est un cas classique, connu parmi les historiens du costume (qui savent ce qu'il faut en penser), des historiens de l'art (qui hésitent entre deux possibilités) et qui fait le bonheur de ce cher pinterest, où ça circule en tant qu'exemples de costumes XIIIe. Ce qui me met fort en joie... (Comme si je n'avais pas assez de raisons de pester contre pinterest).


Vu de loin, on voit déjà qu'il y a comme un problème... (Source Rijksdienst voor het Cultureel Erfgoed)



Et on va donc s'attaquer (sans le casser) au monument funéraire de Gérard de Gueldre et Marguerite de Brabant. Orné de deux gisants, bien colorés. Déjà, les couleurs bien éclatantes on sait que ça veut généralement dire "peinture fraîche".

Peinture très fraîche (restauration récente) (Source Rijksdienst voor het Cultureel Erfgoed)


Margaret de Brabant est née vers 1190, et morte en 1231. Son mariage avec Gérard III de Gueldre eut lieu à Louvain en 1206. Lui est né vers 1185 et mort en 1229.  Gérard se fit tuer au combat (ou mourut de ses blessures, c'est au choix). Une vie calme, quoi. Ils ont été enterrés dans l'abbaye qu'ils fondèrent en 1218.

On ne va pas tourner autour du pot. Dans le meilleur des cas, ce gisant a été très lourdement restauré au XVIe siècle. Dans le pire des cas, il date totalement du XVIe siècle, en tentant d'imiter le style gothique.

Et ça se voit vraiment. Déjà, les visages ne sont pas vraiment gothiques. Ca, c'est fait. Mais surtout, au niveau des costumes, c'est un magnifique exemple de non compréhension des costumes des siècles passés. Le Moyen Age fourmille d'exemples d'incompréhension des costumes antiques (Ah ! Les fameuses ailes sur l'oreille qui renvoient sûrement au casque de Mercure !). Le moins qu'on puisse dire c'est que la Renaissance a fait des progrès en compréhension du costume antique, mais pour le costume médiéval, c'est pas encore tout à fait ça. A vrai dire, le costume du XIIIe était déjà incompris à la fin du XIVe. Et c'est là qu'on se dit que Viollet-le-Duc et consorts ont quand même eu bien du mérite. Ils sont partis de très loin ! (Et c'est pour ça qu'on ne doit pas trop leur jeter la pierre.)

Voyons donc maintenant ce qui ne va pas. Par galanterie, nous commencerons par Madame la Comtesse.

Une si jolie coiffure !
Marguerite de Brabant. (photo : History of Royal Women)
Déjà, les yeux entrouverts comme ça, j'aime pas énormément. Mais surtout, on voit un gros problème au niveau du col et du laz (le cordon du manteau). Une encolure haute comme cela, au XIIIe, que nenni ! Ca n'existe pas (jusqu'à preuve du contraire). Ensuite, on dirait que le sculpteur a interprété le las (oui, les deux orthographes existent) comme un galon séparant deux vêtements distincts, ce qui explique la différence de plissés. Le cordon du haut est-il le témoignage d'un double las sur le gisant original ? Personnellement, je pense à une incompréhension totale du fermail, passé de mode à l'époque, pris pour un pendentif. Plus ça va, plus on s'éloigne de la restauration d'une sculpture, pour aller vers une recomposition complète à partir d'un original trop endommagé (Les Pays-Bas, ce n'est pas toujours très calme au niveau historique).
Quant au filet à cheveux... Euh... Comment dire ? Il est très mode au XVIe siècle, mais au XIIIe, les mailles sont très fines. Très très fines. Et les petits losanges à l'intérieur des mailles ? Ca renverrait aux perles qu'on peut voir plus tard ? Bref, rien de très bon.
Attaquons le touret... Où l'on retrouve une déco dorée en bordure... Or ce type de décoration, sur touret, on n'a pas au XIIIe en Europe du nord (Naumburg, c'est un cas à part, on a des donatrices mortes depuis un certain temps). Tous les exemples de tourets avec une décoration quelconque sont du XIXe pour la peinture. On aurait trouvé leur ancêtre ? La barbette multi plissée, pourquoi pas ? Mais, on va voir que là, il y a peut-être un peu trop de plis.

Deux tourets l'un dans l'autre, et alors des plis à n'en plus finir (photo en provenance directe de Pinterest, album sur le XIIIe)

Vu de dessus, les plis n'en finissent plus... Un effet pareil, sur un gisant médiéval, c'est un peu exagéré. Les deux tourets l'un dans l'autre se voient (il y a un exemple célèbre en Ecosse, bien du XIIIe), on a aussi le touret qui fait deux tours (version bon marché, généralement). Mais ce sont souvent des tourets bien plus fins que ce modèle. Et on retrouve notre décoration dorée. En outre, on voit que le touret est à largeur variable... plus large sur l'arrière que sur l'avant. Ce qui se voit sur des tourets victimes du temps. Comme à Joigny.
Touret à largeur variable, victime de l'érosion, du temps, des vandales... Au choix. On peut noter aussi la différente conception des yeux, et le sommet de la barbette bien plus lisse. (Photo Tina Anderlini)
Autre élément choquant sur le gisant de Margaret : les manches. Extrêmement plissées. Exagérément plissées toujours par rapport aux modèles XIIIe.

Et passons à Gérard.

Une si belle chemise !
Gérard de Gueldre, et madame. (photo Bodoklecksel)
Et de nouveau un fermail transformé en pendentif. Je ne vois pas ce modèle comme se rapprochant des bijoux médiévaux. L'encolure est devenue la chaîne portant le bijou. Le laz fait encore office de séparation entre couches de vêtements. Le décolleté de la tunique bleue évoque les tenues largement ouvertes de la Renaissance. La chemise visible qui monte sur le cou... Euh ? Qu'est-ce à dire que ceci ? On est dans l'improbable total. La coiffure est, elle, correcte. Mais, je demande à voir le dorelot d'un peu plus près, quand même.Les boutons ne ressemblent pas vraiment à des boutons XIIIe.
(photo Bodoklecksel)

Il y a malgré tout des éléments corrects dans ce groupe. La forme générale du costume est respectée. en particulier les manches. Les ceintures bien visibles nous indiquent qu'on est dans la première moitié du XIIIe siècle.
(Source Rijksdienst voor het Cultureel Erfgoed)

Qu'en déduire ? 
Que ces sculptures sont pratiquement inutilisables pour l'étude du costume XIIIe. En revanche, elles sont passionnantes pour l'étude de la compréhension de ce même costume. Certaines parties (je pense que c'est le cas pour les visages, et une bonne partie de la tête de Margaret) ont été terriblement endommagées. Les corps ont moins souffert (je ne me suis pas attardée sur les chaussures. Je pense qu'il y a à redire là aussi). Mais tout ce qui est au dessus de la poitrine est réalisé tant bien que mal, en accumulant les mauvaises lectures et les interprétations douteuses, interprétations souvent liées au costume d'époque... XVIe siècle. Les tenues de Roermond sont un improbable mélange de XIIIe et de XVIe siècle.

Peut-on les considérer comme les premières sculptures néo-gothiques ? 

Les gisants d'après un relevé de 1963. (Source Rijksdienst voor het Cultureel Erfgoed, auteur : G. Th. Delemarre)

Il reste la question de savoir si c'est une restauration sur l'original ou une recréation à partir d'une sculpture originale qui a été recyclée ensuite d'une manière ou d'une autre. La cuve est peut-être d'origine. Mais pour ce qui est sur le tombeau, les deux personnages, les coussins... Là, je penche pour du XVIe. Je crois qu'il y aurait aussi un problème concernant la pierre, qui aurait été introuvable à Roermond au XIIIe. Là, ça dépasse mes capacités. Les décors peints sur les costumes pourraient correspondre à ce qu'on voit sur certaines tenues XIIIe. Ce qui pourrait avoir été inspiré de l'original. En tout cas, je suis vraiment frappée par la différence entre les corps et les têtes. On est dans deux époques différentes.

Pour ceux qui lisent le néerlandais : http://www.historieroermond.nl/boekbespreking/nogmaals.htm
Un grand merci à Louise van Meer (qui m'a résumé quelques textes) et à Isis Sturtewagen qui a mis 5 sec. à trouver le nom de l'église en ayant la description suivante "tu sais, l'église aux Pays-Bas avec des gisants 13e qui sont hyper restaurés 16e". Quand je dis que c'est un exemple célèbre chez les historiens du costume...

jeudi 19 octobre 2017

HISTOIRE

L'ADMINISTRATION D'ALPHONSE DE POITIERS
1241-1271
Gaël Chenard

Comme le souligne l'auteur dans la 4e de couverture, la personnalité du cadet de Louis IX n'a plus été étudiée depuis la fin du XIXè siècle.
De ces anciennes études est restée une image quasi idyllique de la fratrie.
Qu'en est-il en réalité ?
Ce livre évoque tous les aspects administratifs du comte de Poitiers et de Toulouse. Comment il géra ses terres sur place (pas trop longtemps... La région n'était pas sûre pour lui...), la gestion de l'argent, avec l'aide du Temple et de l'Hôpital. Financer une croisade... Les déplacements. Bref, un travail minutieux de recherche qui nous fait comprendre l'administration des terres, souvent à distance.
L'aspect familial, parfois lié aux enjeux du royaume et de son accroissement est bien mis en valeur. Et les images d'Epinal en prennent un coup.
En gros, Philippe III n'a pas du tout respecté les voeux de son oncle. Pour Alphonse de Poitiers, les terres de sa femme n'étaient pas destinées à rejoindre le domaine royal...
Quant aux relations entre Louis et ses frères ? Si Alphonse a, après la Croisade, séjourné dans le domaine royal, et pas seulement à cause de son état de santé (il fut pendant un certain temps paralysé, et resta de santé très fragile), il ressort de la lecture de ce livre la vision d'un jeu d'évitement... Les frères devaient se croiser (dans le sens de se rencontrer, bien sûr !) parfois. Par accident. Ou si le roi l'ordonnait.

Ce livre ravira donc tous ceux qui s'intéressent à l'administration médiévale, mais, à mon sens, son grand mérite reste de remettre les pendules à l'heure quant aux rapports entre les membres de la famille royale, et de montrer les intérêts de chacun.

Gaël Chenard,
L'Administration d'Alphonse de Poitiers (1241-1271),
Paris, Classiques Garnier, 2017,
58 €

RECOMMANDE AUX PASSIONNES D'ADMINISTRATION, DE SAINT LOUIS ET SA FAMILLE, DU XIIIE SIECLE.

lundi 9 octobre 2017

MODE XIIIe

MANGE TISSU part 2

LA ROBE DU XIIIE SIECLE


Complément d'informations distribué lors de ma communication à Leeds.


Sources littéraires
Autres éléments de costume et accessoires
Aspects techniques (quantité de tissu, patrons, etc.)

Les photos ne sont pas comprises dans le document d'origine (et les légendes non plus...) Seuls 4 dessins y figurent.


ENGLISH VERSION (no pictures except for patterns), Here !




















Sources littéraires
Galeran de Bretagne, de Renaut (ou Renart). Roman. Début du XIIIe siècle.
Traduction en français moderne : Jean Dufournet, avec quelques transformations (par ex., M Dufournet traduit « surcot » par « tunique », ce qui n'est pas aussi pertinent que dans les textes latins « tunica » est la cotte, le « surcot » est la « supertunica ». J'ai préféré garder les termes originaux de « robe » et « surcot ». J'ai aussi changé « broche » -traduction de « noische » par « fermail »). Ce texte « réaliste » est plein de précieuses info textiles et sociales.


Robe de soie pour noble jeune homme.
2040 Cil l'a bien de l'ueil ravisee, (concerne Frêne)
Qui est com haulx homs atournez.(Galeran)
Il est d'une robe aournez,
De cote et surcot d'un dÿapre
Ausques pour l'or et roide et aspre ;
2045 S'est la fourrure d'ermines
S'a es espaules deux sardines
En or assises du surcot,
Dont ferme la chevesce et clot.
(Il l'a longuement contemplée, habillé à la manière d'un noble personnage, il porte comme robe une cotte et un surcot de soie diaprée que l'or a rendu rêches au toucher et qui sont doublés d'hermine. Sur ses épaules deux sardoines serties d'or ferment l'encolure du surcot)


Couper une robe de drap d'or :
6747 Sus va son drap tailler et fendre : (Frêne)
Oncques ouvriers a mains de taille
Ne taille robe comme ceste.
6750 En pencee a qu'elle s'en veste ;
S'en a taillé mantel et cote
(Là dessus elle va tailler et couper son drap : jamais ouvrier ne taille de robe en si peu de coups de ciseaux. Elle a dans l'idée de s'en vêtir ; aussi y a-t-elle taillé un manteau et une cotte)


cf vers 506 etc. origine du tissu.


Accessoires :
6922 De sa robe s'est atournee, (Frêne)
Qui vault soissante mars d'argent ;
S'a un tyssu saint bel et gent,
6925 Plains de saffirs et de jagoncez ;
Es membres a plus de quatre uncez
D'or rouge, et en la boucle riche,
S'a noische dont elle s'afiche :
N'est mie povre ne petite,
6930 Qu'il y a mainte crisolite,
Et berilles, et calcidoines,
Et ametixtes, et sardoines ;
Si li ot Galeren donnee.
De blanche guymple est atournee ;
6935 S'en a repost et nez et face ;
Ne veult mie, que qu'elle face,
Que nuls si tost a court la sache ;
A sa noische ferme l'atache
De son mantel, qu'i ne se meuve.
6940 Rose vest une robe neufve, (Rose : Frêne's friend. Not a noble-born)
D'escarlete, cote et surcot
(Elle s'est parée de sa robe qui vaut soixante marcs d'argent et d'une belle et élégante ceinture, garnie de saphirs de d'hyacinthes, avec plus de quatre onces d'or pur dans les anneaux et la somptueuse boucle. Le fermail dont elle ferme son collet n'est ni pauvre ni petit, puisqu'il abonde en chrysolithes, béryls, calcédoines, améthystes et sardoines : c'est Galeran qui le lui a donné. Elle porte une blanche guimpe dont elle se dissimule le nez et le visage : elle ne veut pas, quoi qu'elle fasse, qu'on la sache si tôt à la cour. Au fermail elle fixe l'attache de son manteau, pour qu'il ne glisse pas. Rose revêt une robe neuve en écarlate, cotte et surcot.)


s'habiller dans les espaces publics et privés du château :
7354 Gente en pur le corps, sans mantel, (Gente reconnaît sa fille)
Vient à l'uis de la chambre errant
(Gente simplement vêtue, sans manteau, se précipite à la porte de la chambre)
Là, je peux sortir, j'ai tout ! Et je peux jouer avec mes doublures !
Autres éléments de costume et accessoires pour cette tenue :


L'ensemble se compose d'une chemise de lin (aux chevilles), de chausses de mérinos, sergé, rouge, à hauteur des genoux, maintenues par des jarretières en soie bleue, faites au fingerloop.
Un voile de lin, une barbette et un bandeau en lin ornent la tête. Les cheveux sont maintenus par un filet de soie blanche. Les filets du XIIIe siècle semblent surtout être de couleur naturelle ou d'une couleur imitant celle de la chevelure. (Mais ils peuvent être brodés. Le vert paraît être éventuellement envisageable. Le rouge est fortement déconseillé, suite à analyse iconographique. Cela peut changer ensuite, à vérifier soigneusement)
Une ceinture de soie à éléments métalliques est sur la cotte. 

Il y a aussi une petite bourse de soie, puisque les bourses féminines sont petites (sauf sur certaines images, quand le détail de la bourse est signifiant). Les bourses masculines peuvent être plus grosses, surtout en Allemagne (Attention en outre aux allusions sexuelles des bourses... Jeu de mot valable au Moyen Age...) La bourse est fermée et attachée à la ceinture par des liens de soie bleue (Il convient de bien fermer la bourse... Allusion sexuelle, toujours... Là, c'est vaginal...)

Montrer d'autres accessoires (patenôtres, pomander) ne paraît pas envisageable. Les patenôtres ne sont montrés que pour la prière, ou dans les mains de Faux-Semblant dans le Roman de la Rose. Il peut être dans la bourse, avec l'argent et des épingles à voile (ce qui se perd souvent...). Les pomanders ne sont connus que par les textes et de vagues descriptions. Ils ne paraissent pas avoir été en usage très tôt. Les textes fin XIIIe et début XIVe concernent le (très) haut clergé et la royauté. Des descriptions plus tardives (post Peste Noire) existent.


Petits gants de cuir blanc. Il semble que les gants plus longs sont pour chevaucher ou chasser (ou indiquer un détail signifiant). Les bagues sont portées sur les gants. D'après Pastoureau, il est préférable de ne porter que le gant gauche et de porter le droit dans la main gauche.
Et, bien sûr, les indispensables : deux fermaux, une pour fermer la cotte, l'autre sur le surcot pour tenir le las du manteau.  

On peut noter la quantité de tissu (on est fin du siècle, il y en a encore plus. Et c'est du block Style)
Attention, le port du fermail purement décoratif ne semble se voir que dans certaines zones (pays germaniques), et sur des personnages non réels (Vierges Sages et Vierges Folles). A vérifier. 
Par exemple à Strasbourg (vers 1280) : fermail porté sur une Vierge Folle.
Le groupe le plus fameux présentant des fermaux décoratifs sur personnages non négatifs (Vierges Sages) se trouve à Erfurt, et date du second quart du XIVe siècle... La position de l'Eglise aurait peut-être changé à cette date.
 
La robe, quelques aspects techniques.

Plié, ça fait pas encore trop peur...
 Quantité de tissu : 12m X 1,55 m. 18,6 m²
Ceci peut être comparé avec les informations du Roll of Cloth (London National Archives, C47/3/3) (Benjamin L. Wild, The Empress's New Clothes, Medieval Clothing and Textiles 7, 22-23)
22 : 2 robes faites dans 28 aunes d'écarlates. 14 aunes par robe. Si le lé d'écarlate était de 2 aunes (ells en anglais), (Magna Carta, article 35. Una mensura vini sit per totum regnum nostrum... et una latitudo pannorum tinctorum et russetorum et halbergettorum scilicet due ulne infra listas. L'écarlate peut être considéré comme pannorum tinctorum, sans meilleures informations) : 22,68 m². Il y avait peut-être un 4e garnement (surcot avec manches?). Comparé à item [23], cotte, surcot à manches et manteau d'écarlate , 11 ells = 17,82 (sur la base 1 aune = 0,90 m), nous sommes très proches, mais il manque l'information de la taille d'Isabelle. Si elle était de taille moyenne, sa robe était donc de proportions bien plus impressionnantes que ce qui est proposé.

Déplié, sous le doux soleil lorrain. (Si quelqu'un veut faire mon jardin, pas de problème...)
 Ce qui reste une fois la robe terminée ? Assez pour faire une seconde paire de manche, et quelques morceaux épars. Un tailleur doué aurait pu en faire une paire de chausses féminines. 
Ca prend pas de place.... Et le chat est passé par là. (essai de mise en place surcot/cotte)
Sources du patron. La robe de sainte Claire et la Synagogue de la cathédrale de Strasbourg.(Protomonastero di Santa Chiara, Assisi, Musée de l'Oeuvre, Strasbourg)
Le patron est plus ample. Il y a 4 godets sur chaque côté. Sur un côté, il y a en fait 3 godets, le plus ample, au centre, a reçu une fausse couture centrale. Ce n'est pas par souci esthétique mais c'est très important pour l'aspect général et le tombé des vêtements.


Cotte et surcot ont, plus ou moins, le même patron. La cotte a une ouverture centrale en V, fermée d'un fermail. Le surcot a une ouverture latérale sur l'épaule gauche, fermée par un lacet de soie.

IL N'Y A PAS LA MANCHE ! Je sais...
Les différentes parties de la robe sont cousues droit fil/biais, comme sur ste Claire, en partant du centre vers les godets centraux des côtés. Il y a coutures avec utilisation des lisières, en réponse à la fausse couture du godet correspondant opposé. Les godets centraux du surcot sont plissés et couverts d'une pièce sur l'envers pour les renforcer. Ces godets sont insérés plus bas que sur la cotte.
Les manches sont en un seul morceau, coupées dans le biais, des restes du manteau. Le biais offre les plis notables sur les sculptures gothiques. Cela aide aussi au resserrement sur l'avant bras. Le tissu de 155cm (lé) peut fournir 4 manches. Avec un lé de 180, et un manteau de 155cm de long, 2 manches + chausses homme, ou 2 manches + chaperon, ou 4 manches (y compris 2 tuyaux d'orgues seraient envisageables. Il semble que beaucoup de choses peuvent être envisagées une fois le manteau coupé avec un tel lé. Ce lé change totalement la manière dont on coupe une robe.



Patron général

Cotte : devant : 203 cm, dos : 210 cm. ampleur : 645.

Surcot : devant: 207 cm, dos: 212 cm. ampleur: 628 cm.

Pour une femme d'1,82m .




























 Et la version originale, avec des couleurs pour pas trop m'y perdre, et des mesures, qui, au final, ne seront pas forcément les mêmes ! 

Haut les mains !
(en fait, c'est la dégaine que doivent avoir les manches quand on pose le tout à plat...)
























Comment utiliser un tissu d'un lé de 2 aunes ? Les 4 panneaux principaux d'une robe de 3 pièces peuvent être fait sur la même ligne (chaque panneau fait 45cm). 
Les emmanchures seront coupées dans cet espace. J'ai prévu 37 cm pour la cotte et 38 pour le surcot, en ce qui concerne la carrure. Les emmanchures partent en courbe, évidemment, et peuvent se continuer sur les godets selon l'ampleur donnée au haut des manches.
Les manches viennent de la partie contenant le manteau, comme d'autres éléments : manches + larges, chausses, chaperons... Tout ceci peut être coupé dans un coupon de 5 aunes et demi. Le reste sert aux godets. Une robe de bas statut, sans manteau, peut être coupé dans un tissu de 5 ou 6 aunes.

Les robes de femmes sont plus longues que celles d'hommes, les robes de riches plus longues que celles d'artisans qui sont plus longues que celles de paysans pauvres.
Point de grébiche, en soie verte, pour les extrémités. Cela aide à faire la différence entre les couches. D'après certaines parties de la robe de ste Claire.
Coutures en lin blanchi ou fil de soie.
 
Les tissus
La robe est en laine, doublée de différentes soies. Les tissus ont été choisis afin que la robe soit « neutre » : elle peut être portée partout en Europe. Tous ces tissus ont fait l'objet d'exportation. Un tissu a été rejeté : le satin, qui paraît n'apparaître en Angleterre qu'en fin de siècle (1274)
Tenue impossible pour une noble en Angleterre. De 1, parce que le tissage diamant, c'est has-been, de 2, parce le satin n'a pas l'air d'être arrivé en Angleterre quand le tissage diamant, c'est in. (Ou alors sous un autre nom, le coquin !)
Laine
Worsted, sergé losangé 2.2. Cela pourrait correspondre au haberget des XIIe et XIIIe siècle, identifié comme tissage diamant par E. Carus-Wilson. Pour elle, il s'agit d'un tissage 2.2. Pour P. Walton-Rogers, d'un tissage 2.1. La différence est visible de près (ou à l'envers). Le plus important, pour moi, était la taille des losanges. Ce petit motif est supposé renvoyer au haubert. Pendant des siècles, ce tissu était à la mode, et un symbole de l'aristocratie. La mode passe vers 1240-1250 (Voir l'article sur le site des GMA : http://www.guerriersma.com/contenu/Articles_tutos/Tissus_13/tissus_13.html )


Le choix de ce tissu place le costume avant 1240, la forme des garnements après 1200-1215. La forme et le tissu sont cohérents.
Les couleurs (framboise et noir) peuvent être obtenues naturellement : noir avec une laine très foncée, teinte à l'indigo, framboise avec Porphyrophora hamelii (cochenille d'Arménie). Le haberget pouvait être teint au kermès. La cochenille d'Arménie est un peu moins chère, mais reste chère.
Le haberget pouvait être de différentes couleurs. Le tissu à 2 couleurs est basé sur les autres worsted : tunique de sainte Claire et surcot de sainte Elisabeth (morte en 1231), fait de 3 couleurs, dont une teinte.
Soies 
manteau doublé de samit, un sergé, noir et blanc. Plus lourd que d'autres soies. Surcot doublé d'une soie très légère, bleue.
Trèèèèèèès légère... Y en a un peu moins. Le lé est moins large (et c'est un cauchemar à coudre...)
Faire une robe XIIIe et la porter... Rions un peu.
Travailler sur ces proportions est difficile si on ne dispose pas d'une grande table, et si on a un chat. Je n'ai pas de grande table, et deux chats...

Escabeau, mon ami ! (manque l'échelle)

Ajouter à la boite à couture : un escabeau, pour y placer le mannequin, et une échelle.
Pour la doublure avec cette soie très fine : prévoir des calmants (et des mouchoirs)
Se retrouver en haut d'un escalier en colimaçon et devoir descendre... Sans filet. On apprend vite les gestes qui sauvent. 














Plus sérieux :
Le manteau ne doit pas être trop long, sauf si on aime qu'il soit piétiné par des pieds ou des sabots...


Pour la chaleur, voir l'article sur le blog http://parolesdarts.blogspot.fr/2017/01/mode-ete.html

samedi 7 octobre 2017

COSTUME XIIIe

MANGE TISSU (1ère partie)
LA ROBE DU XIIIe SIECLE




ENGLISH VERSION AVAILABLE Here ! (Academia) (pdf)
Version française de ma communication au

International Medieval Congress de Leeds,

4 juillet 2016,

session 306, Distaff III, reconstructing cloth and clothing.
ATTENTION, ARTICLE COMPLEMENTAIRE SUR TISSUS, PATRON, ETC. A VENIR... 

QU'EST-CE QU'UNE ROBE ?
De nos jours, la robe est vue comme une pièce précise ou un vêtement porté par certaines professions, comme les juges. Ceci remonte au XIIIe siècle, où la robe était tout ceci.
Le terme de robe apparaît en littérature (dans Erec et Enid, ou Guillaume de Dole) à la fin du XIIe siècle ou au début du XIIIe. Jusqu'au XIVe, la robe n'était une seule pièce d'habillement mais comprenait différents éléments, les garnements, terme qui a subsisté dans l'anglais garment.
Le nombre des garnements varie. Il semble qu'à l'origine deux garnements étaient courants. Cotte et surcot, tunica et supertunica. Un troisième est souvent ajouté, pallium, une cape (manteau), ou capam (chape?), qui peut être un vêtement externe plus chaud que la cape ouverte. Il est aussi possible d'avoir deux « supertuniques ». La robe contient des garnements pour l'espace privé et la représentation sociale. Dans les descriptions, tout est fait dans le même tissu et ont des doublures de soie ou de fourrure.

Cotte, pour l'intimité.


La quantité de tissu change : de 5 à 6 aunes jusque 16 ou plus pour les personnages royaux. Cela dépend du statut, de la période, du sexe. La mode du XIIIe siècle est, comme de nos jours, unisexe. Elle était basée sur le costume féminin. Aujourd'hui, la mode est basée sur le costume masculin.
L'un des problèmes auxquels on fait face lorsque l'on travaille sur les robes et les comptes est la notion d'aunes, qui semble dépendre des lieux et des auteurs. Elle se situerait entre 0,90 et 1,15m. Nous avons aussi en tête le fait que si certains lés ont été normés par la Magna Carta, par exemple, cela ne peut être possible que pour certains tissus anglais. Ailleurs, les lés vont de 75 cm à environ 2 mètres. Les soies peuvent être encore plus larges. L'estimation pour les véritables quantités nécessaires pour une robe ne peuvent être que ce qui est annoncé : des estimations.

Qu'y a t-il dans une robe ? Dans le Roll of Cloth d'Henry III, de 1235, pour le mariage de sa sœur Isabelle avec l'empereur Frédéric II, nous trouvons mention de « robe complète » et de « robe ». Cela interfère t-il vraiment sur la composition ? Si nous considérons la même étoffe, un écarlate, pour Isabelle : 2 robes complètes sont faites dans 28 aunes, et pour une dame, femme de Robert de Bruera, la robe est faite de 14 aunes. Ainsi, le terme « complète » a-t-il vraiment un sens ? Si on regarde la « robe complète de brunette » pour Henry, elle nécessite 15 aunes. Pour le chapelain d'Isabelle, la robe est de 12 aunes. Une différence qui peut être due à une robe royale plus longue (ou à la taille des deux personnes...)La description du Roll of Cloth nous offre une clé. Les précisions concernent généralement le surcot, quand celui-ci est avec manches. Il semble que ce détail était important. Dès lors, nous pouvons considérer que la robe de 1235 est faite d'une cotte, d'un surcot sans manche et d'un vêtement comme le manteau (pallium) ou la chape (capam).
Guillaume de Tyr, Histoires d'Outremer

Trois garnements pour la haute noblesse en 1235, mais, en 1313-1317, les comptes de la comtesse Mahaut d'Artois nous apprennent que la robe était bien plus compliquée et avait 5 garnements. La robe d'écarlate de Mahaut comprenait une chape, un manteau, un surcot, un gardecorps, et une cotte fourrée de menuver. L'ordre croissant (Henry), ou décroissant (Mahaut), est en fait toujours le même. Une extrémité est proche du corps, l'autre est éloignée. Cloche (sorte de chape), chausses, ou chaperon peuvent s'ajouter. Mais la nouvelle mode courte (pour homme) et près du corps sera la fin d'un système qui tend à nier les corps et les genres.


L'APPARENCE DE LA ROBE
Le XIIIe siècle vit un changement de mode concernant les tissus. Au milieu du siècle, la mode est aux étoffes plus douces, et foulées. Les worsted comme les tissages chevrons et diamants (sergé losangé) disparaissent des plus riches garde-robes. Ceci se remarque aussi dans les œuvres d'art. Le style du début du siècle est le Muldenfaltenstill, fait de multiples plis très fins, issu de l'influence antique et de worsted légers. Vers 1240, le Block Style, avec ses plis larges et lourds, commence à dominer. Passer de l'un à l'autre a de multiples raisons. Les grands personnages gardent plus longtemps le muldenfaltenstill que les petits personnages.Les grands personnages sont plus importants. Ils sont les gardiens de la tradition. Le muldenfaltenstill est la tradition. Une fois le changement admis sur les petits personnages, le block style peut remplacer l'ancien style sur les personnages majeurs. D'autre part, un worsted comme le haberget disparaît des comptes royaux en 1235. Si nous tentons de traquer le block style, son apparition timide se produit au même moment.

La Synagogue, cathédrale de Strasbourg (Musée de l'Oeuvre). Le plus beau des muldenfaltenstil selon moi... (Mais j'adore cette sculpture, voilà, quoi...)
Si les nouveaux tissus à la mode ont un impact sur les œuvres d'art, ils en ont aussi un sur les vêtements. Le corps est plus caché.
Détail d'une Vierge de 1320, Hessisches Landesmuseum, Darmstadt. Exemple de block style.

Les inventaires, les comptes, et autres indices nous donnent l'information suivante : la robe est composée d'un seul tissu. Nous pouvons créer des combinaisons et avoir un grand nombre de « looks » différents, avec la même robe, ou en mélangeant plusieurs robes. Les images tendent à favoriser l'option « mélange ». Les images sont colorées, et riches.

C'est joli ces couleurs...


Si nous considérons que les images sont les sources les plus fiables, nous pourrions être tentés de penser que les garnements de couleurs différentes étaient l'option favorite. Mais, les couleurs médiévales sont elles une source fiables ? Regardons les moines. La règle de saint Benoît enjoint les moines de porter des vêtements de couleurs naturelles. Ceci est évident si on considère les tuniques de saint François, par exemple. Elles peuvent être de deux, ou plus, couleurs, mais elles sont toutes non teintes. En art, à la même période, les moines revêtent des vêtements colorés, incluant le vert, le pourpre, le bleu. Ces exemples nous montrent combien il est difficile de se fier aux images médiévales.

Ordo de saint Louis, BNF

Un intéressant exemple de ces couleurs non fiables peut se voir dans l'ordo de saint Louis, qui décrit le couronnement des rois français. Les vêtements sont très important, en tant que moyen visuel et symbolique d'illustrer le passage de prince à roi béni de Dieu. Les regalia sont un moyen de figurer l'immortalité du Roi, quel que soit son nom, quelle que soit son apparence. L'ordo de saint Louis nous offre deux descriptions complètes : le texte et l'image. Il est alors évident qu'elles présentent deux langages différents. Le texte peut être perçu comme une description objective. L'image est subjective. D'une image à l'autre, le roi est vêtu de couleurs différentes. Le texte mentionne bien les nouveaux vêtements du roi. Ils font partie du processus du couronnement. Mais quand le roi a reçu un nouveau vêtement, il le garde. Pas dans les images. Les couleurs différentes peuvent être perçues comme un moyen de distinguer une image d'une autre, et ainsi chaque phase du chemin menant à la royauté. Les couleurs changeantes de chaque garnement sont les preuves physiques de chacune de ces phases, la preuve physique de l'homme devenant l'élu de Dieu. Peut-on voir, dans l'ordo, une représentation correspondant au texte ? Eh bien, on voit des chausses noires, des tuniques bleu foncé ou rouges, des manteaux bleu foncé, bleu gris, ou rouges. Parfois, deux garnements sont de la même couleur, pour le roi ou sa reine. Mais que dit le texte objectif ? Le roi est vêtu d'une seule couleur, de la tête aux pieds. Un bleu hyacinthe fleur-de-lysé. Aucune image ne montre cela. Au niveau subjectif, celui de l'image médiévale, l'identification de chaque garnement est plus importante que la représentation objective... Qui est déjà dans le texte. Est-il vraiment utile de raconter deux fois la même chose ? Mais ceci changera au siècle suivant.


En tenant compte des principes de l'art médiéval, il paraît douteux d'envisager l'apparence multicolore comme une représentation réelle du meilleur du costume du XIIIe siècle.

Parfois, nous trouvons une robe en une seule couleur. En Espagne, par exemple, les enluminures nous donnent de bons exemples qui correspondent aux preuves archéologiques. Mais la mode espagnole est particulière durant ce siècle. Quoi qu'il en soit, quelques exemples isolés existent ailleurs, et nous en rencontrons de plus en plus en nous approchant du XIVe siècle. L'art médiéval est en plein changement. 
 
Guillaume de Tyr. Certains personnages portent des robes, dont une incluant la tenue de voyage.
Mais un exemple ancien comporte une forte proportion de robes en un tissu, l'Histoire d'Outremer de Guillaume de Tyr (BL, Yates Thompson 12).

Toutes les combinaisons des robes à trois garnements peuvent y être trouvées. Pas sur tous les personnages, mais sur une importante proportion, inégalée dans les autres manuscrits. Certaines de ces robes ont des motifs qui pourraient indiquer de la soie ou des broderies. De riches vêtements. Ce que nous voyons souvent sur des personnages orientaux, ou sur les figures sacrées. Nous sommes effectivement en Orient. La robe d'une seule étoffe semble insister, dans un manuscrit qui est riche et coloré, sur sa richesse. La représentation parle à l'imagination. La robe d'une seule étoffe indique où nous sommes : un pays riche.

LA ROBE D'UNE SEULE ETOFFE : UN MARQUEUR SOCIAL ?

Ceci semble confirmé par la littérature. Un texte de fiction est empli d'informations : Galeran de Bretagne, par Jean Renart (ou Renaut), du début du XIIIe siècle. Ce texte est considéré comme réaliste. La robe est souvent mentionnée. Par trois fois, des mentions sont faites d'une robe faite d'une même étoffe.
La première est la description de Galeran, le héros, futur comte de Bretagne. Il a tout ce qu'un noble jeune homme doit avoir. Ceci inclus une robe faite d'une cotte et d'un surcot de soie iridescente. Pour lui, c'est un costume ordinaire. Ensuite, l'héroïne, et bien-aimée de Galeran, Frêne, qui coupe une robe, cotte et manteau, dans un coupon de soie et or brodé. Est-il besoin de préciser qu'elle sera merveilleuse ? La troisième mention est celle de Rose, l'amie de Frêne, fille d'une brodeuse. Pour le mariage de Galeran avec la sœur de Frêne, elle veut une tenue extraordinaire : une cotte et un surcot d'écarlate. La robe d'une seule étoffe est choisie pour montrer la haute noblesse d'un jeune homme et des jeunes femmes qui veulent apparaître sous leur meilleur jour.

LA ROBE COMME SYMBOLE SOCIAL

Comme nous l'avons dit, la combinaison des garnements est une chose colorée. Alors, de quelle manière une robe d'une même étoffe peut-elle être le symbole d'un statut social et un moyen d'avoir l'air fantastique ? Nous ne pouvons pas nier que la robe d'une seule étoffe est impressionnante dans sa simplicité. La robe joue aussi avec extérieur et intérieur. Que la doublure soit de soie ou de fourrure, elle augmente l'impact. La doublure est évidemment montrée sur le manteau. Sur les robes masculines, les fentes du surcot montrent l'étoffe supposée cachée. Pour les deux sexes, les ouvertures du surcot sans manche peuvent aussi la montrer.
Je peux le faire, je peux le faire ! (exemple de combinaison possible)

Pour se déplacer aisément avec ces vêtements incroyablement longs, les femmes doivent les porter d'une certaine manière qui, comme les fentes du surcot masculin, expose la doublure. Sur ces robes d'une même étoffe, les couches jouent l'une sur l'autre en utilisant la doublure. Une doublure qui est aussi faite de riches matières. Un autre aspect doit être considéré, pour les robes de laine : les points. Les pièces archéologiques montrent des points de couture faits de lin blanchi, qui sont visibles. Le point de grébiche aux extrémités de la robe de sainte Claire est à la fois utile et décoratif. Sainte Claire et sainte Elisabeth avaient des robes modestes. Il pourrait être possible, pour un vêtement plus riche, d'avoir des extrémités cousues avec de la soie de couleur, pour insister sur la différence entre les couches.
Mais pourquoi une robe faite dans le même tissu devrait-elle avoir tant d'importante ?
Quelle que soit la valeur de l'aune, et le lé du tissu, une robe en dévore beaucoup. Nous devons nous rappeler que la teinture n'était pas une science exacte. Une robe faite dans un même coupon, avec la même teinture, signifie tout simplement que le propriétaire était capable d'acheter, au même moment, la quantité nécessaire pour faire la robe.

Les proportions et compositions de plus en plus grandes de la robe, y compris des doublures, peuvent être vues comme une manifestation de plus en plus forte de richesse. Il n'est pas étonnant que les lois somptuaires régulent les robes à la fin du XIIIe siècle. Les nobles peuvent avoir plus de robes que les non nobles plus riches. La robe était un signe extérieur de richesse, même si c'était pour le privé ou la vie sociale.
Intimité

Certains garnements étaient montrés seulement dans le privé. C'est le cas de la basique cotte. Elle est portée à la maison, dans les parties privées.
La notion d'espace privé dépend aussi du statut social et de l'âge. Dans la maison d'un marchand ou d'un artisan, on peut envisager que la limite est la porte entre la maison et la boutique/atelier. Dans un château, où la dame et le seigneur ont chacun leur chambre, la limite est la porte des dites portes. Galeran de Bretagne est, encore, enrichissant. Quand Dame Gente découvre que Frêne est sa fille depuis longtemps perdue, elle se dirige vers la porte de sa chambre, demandant qu'on aille chercher son époux, sans son manteau. Ceci est précisé pour montrer l'émotion de Gente, qui en oublie les règles sociales. Un regard aux œuvres d'art semble confirmer l'importance des garnements en contexte social.

Surcot porté, je peux sortir. NB : NE PAS PORTER LE FERMAIL AINSI SI ON N'A PAS L'INTENTION D'Y ACCROCHER SON MANTEAU !

Les riches et les nobles sortent avec un surcot, un manteau, ou une chape...
Les gens de statut plus bas, travailleurs, ou des jeunes filles non mariées, ne portent que la cotte.
Une autre signification sociale de la robe se trouve dans ses proportions. Comme déjà dit, la robe mange énormément de tissu.

Depuis le XIIe siècle, les censeurs sont choqués par ces tenues portées par une seule personne alors qu'elles pourraient en vêtir deux. C'était considéré comme un gaspillage de tissu. D'une manière qui reflète une sorte de schizophrénie du costume. Les gens devaient composer avec les normes religieuses (trop de tissu est du gaspillage, trop de bijoux et d'accessoires est de la vanité) et les normes sociales. Le costume n'est pas neutre. Ce que nous portons est ce que nous sommes. Et ceci est vrai pour le XIIIe siècle. Le proverbe « l'habit ne fait pas le moine » est en fait totalement faux. Les gens montrent leur richesse. Les classes sociales doivent être reconnues au premier regard.
Le manteau est accroché, l'historicité est sauve ! Ouf ! Y a du tissu en tout cas...

Le XIIe siècle paraît avoir été un siècle d'extravagances : décoration, broderies, bijoux, longues tresses, longues manches, etc. Au XIIIe siècle, les bijoux doivent être utiles, les femmes cachent leurs cheveux, les manches sont serrées sur l'avant-bras, et la richesse est montrée par la robe d'une même étoffe, qui cache le corps. Mais les gens avaient toujours besoin de montrer deux choses : ils ont de l'argent et/ou ils sont de noble naissance. Les gens devaient être habillés selon leur statut. Un défi quand le costume est simple. Ainsi, non seulement ils avaient des robes dans un même tissu, un luxe, mais les extraordinaires proportions sont un autre moyen de montrer leur argent. S'il ne peut être converti en bijoux et broderies, il doit être mis dans l'étoffe. Et les proportions signifient aussi qu'on ne travaille pas avec ses mains, car on a besoin de ses mains pour se dépatouiller de cette masse de tissu et de doublure ! La qualité de la teinture, la longueur, la coupe, en particulier pour les manches, l'ampleur, et la qualité du tissu lui même sont les références et un code.
Les règles sociales sont importantes dans la mode. Les classes de nouveaux riches sont une menace pour la noblesse. Les règles sont un moyen de maintenir une distance entre les classes. La robe ample crée aussi une distance. Quand on est dans un escalier, les gens doivent s'écarter. En outre, la peur du fashion faux-pas est réelle. Les gens peuvent être ridiculisés à cause de leur manière de se vêtir. Ils doivent connaître les codes. Ils ne peuvent sortir sans manteau ou surcot. Les accessoires sont importants, et doivent être choisis et montrés avec goût. Les gens peuvent aller vers le « trop », mais ils doivent savoir quand le « trop » devient « trop trop ». Trouver un juste équilibre est aussi vrai pour les accessoires. La longueur de la ceinture indique le statut. Et cela est aussi vrai pour les rares et précieux matériaux. Une ceinture de soie est meilleure qu'une ceinture de laine. Il y a différents types de gants, et un code pour les porter. Et il en est de même pour les chapeaux. La taille des accessoires importe.
L'Avarice, cathédrale de Reims

Une délicate petite aumônière convient mieux. Une femme avec une grosse bourse est la Cupidité (ou une prostituée). En dehors de la bourse (attention : toute aumônière est une bourse, mais toutes les bourses ne sont pas des aumônières. Il semble que les riches aumônières sont réservées à certaines occasions.), rien ne pend à la ceinture. Tout est à l'intérieur.
BL, additional 27695, l'Envie. Manuscrit du 2e quart du XIVe siècle. Les robes sont représentées d'une même couleur. A noter, le personnage de l'Envie, reconnaissable à son patenôtre. Cet accessoire ne se montre alors que pour la prière.

Devons nous être étonnés de voir de tels codes sociaux dans le costume ? Nous avons de nos jours des tenues pour différentes occasions. Une femme est supposée sortir avec son sac à main. Un homme doit boutonner sa veste quand il se lève. Ce ne sont que quelques exemples des règles actuelles. Nous pourrions en trouver d'autres. Hélas, les indices manquent avant que la robe n'arrive dans le costume médiéval. La mode du XIIIe siècle est-elle l'origine de nos conventions actuelles ou sont-elles plus anciennes ? La dévoreuse robe est-elle l'ancêtre du costume ?

Les notes en italiques et entre parenthèses ne figurent pas dans le texte original... Soit parce que j'avais supprimé cela pour tenir 20mn (peine perdue), soit parce que les recherches effectuées depuis ont fait que...
Merci à Emilie Brustolin pour les photos prises au château de Malbrouck (Moselle)