vendredi 25 novembre 2016

Un air d'Orient

Un air d’Orient


NB : Ceci est un ancien article. Il est basé sur des constatations qui peuvent encore être étayées. On peut penser que ce que j’ai identifié comme étant des marques d’orientalisation des costumes n’est que pure spéculation. Néanmoins, je cherche encore les exceptions pouvant infirmer cette théorie. Ne pouvant pas connaître de manière exhaustive toutes les créations carolingiennes (qui le peut ?), je remercie par avance les personnes me transmettant toute information concernant d’éventuelles exceptions. 

Le Psautier de Stuttgart (vers 820-830, Württemburgische Landesbibliothek, Stuttgart, Bibl.) jouit, auprès des reconstitueurs de la période carolingienne, d’une popularité au moins égale à celle de la Bible de Maciejowski pour le XIIIème, ou le Roman d’Alexandre et le Roman de la Rose pour le XIVème. Il faut reconnaître que ce codex s’avère d’un grand intérêt : il présente de nombreux personnages, hommes, femmes, enfants. Des riches, des pauvres, des travailleurs, des militaires. A première vue, nous avons là un reflet de ce que pouvait être la société carolingienne du second quart du IXème siècle. Aussi n’est-il pas étonnant de voir de multiples reproductions des costumes.
Mais le Psautier n’est pas le seul ouvrage carolingien à présenter des costumes. Les pages canons des Evangiles d’Ebbon, ou divers ouvrages du cercle de Charles le Chauve fournissent aussi des exemples intéressants. Mais paraissent négligés. Pourtant, nous avons des scènes de dédicaces, montrant la cour de Charles le Chauve, et présentant, ainsi, un échantillon de plusieurs costumes royaux et seigneuriaux. Charles le Chauve n’est pas le seul souverain représenté en « civil ». Nous avons des portraits de Lothaire, la petite statue équestre dite de Charlemagne, etc.


(Musée du Louvre. Photo Tina Anderlini)

Des confrontations nécessaires 
Et c’est en comparant certaines caractéristiques des vêtements du Psautier de Stuttgart avec les autres enluminures carolingiennes que le bât blesse. Les scènes de dédicaces sont notre référent principal. Et pour cause : elles représentent des personnages vivants lors de la création de l’œuvre. Nous sommes loin des illustrations des Psaumes ou de leur interprétation que nous trouvons à Stuttgart. 



 Charles le Chauve et sa cour, Bible de St Paul hors les Murs, Abbaye de St Paul hors les Murs, Vatican, f. 1r. Vers 870. Un exemple de scène de dédicaces. Les costumes féminins sont proches de ceux de Stuttgart, même si les décorations semblent renvoyer aux décorations honorifiques byzantines. Les costumes masculins, malgré les indications de richesse des tissus et de décorations empierrées, sont moins ornés que ceux du Psautier. (photo Wikimedia Commons)


Quelles sont donc les caractéristiques les plus notables du Psautier de Stuttgart : Des tenues très décorées, à ce qu’il semble : bandes sur l’avant des tuniques, des bandes sur les jambes, des pantalons larges, des bonnets phrygiens… Autant d’aspect particuliers, qui pourraient donner une idée de ce qu’étaient les tenues carolingiennes masculines. D’autant plus que ces particularités sont visibles sur d’autres œuvres carolingiennes. Mais pas vraiment sur les œuvres référentes, à savoir les dédicaces et des portraits de souverains. Là, pas de bandes sur les jambes. Pas plus que de pantalons larges. Les décorations éventuelles de col et de poitrine sont souvent cachées par le manteau. Mais, lorsque le manteau est un peu ouvert, on ne voit que rarement une bande verticale au centre, sur les hommes.


Charlemagne, mosaïque du Triclinium du Latran (reconstituée au XVIIIème siècle). Le costume s’avère plus simple que ceux des personnages du Psautier de Stuttgart.(Photo Tina Anderlini)






Un tour d’horizon des autres œuvres carolingiennes ne nous donne finalement que rarement des éléments correspondants à ce que l’on voit sur Stuttgart. Tout au plus trouve-t-on des bandes de jambes sur un recueil des Epitres de St Paul. Or, les personnages portant ces décorations sont des Juifs. Quelques bandes sont aussi sur la Bible de Saint Paul, toujours sur les Juifs. Rappelons que le Psautier représente majoritairement des Juifs, et leurs voisins bibliques. Quelques personnages chrétiens sont représentés. Aucun d’eux ne porte de bandes. Les bandes centrales, sur toute la hauteur ou en partie, sont parfois notables sur divers personnages, d’origines diverses (Lombards, mais nous sommes là devant une œuvre plus ancienne), Longin (attention au peuple déicide auquel Longin et Stéphaton, le porteur de l’éponge, sont parfois assimilés)… 


Crucifixion de Sta Maria Antica, VIIIème siècle, Rome. Longin porte ici une bande centrale sur la partie supérieure de sa tunique.(Photo Tina Anderlini)


















Leur existence reste très limitée. On ne semble pas en voir, par exemple, sur les images royales (hors Stuttgart où elles sont fréquemment sur les torses des souverains). Mais, il existe une fresque où on en devine une. Et le personnage est laïc.


Eglise de San Benedetto, Malles (Italie), le Donateur. L’aristocrate ici peint porte un costume décoré. On distingue une fine bande en bas, deux bandes sur les côtés, et, peut-être, une légère décoration de col, allant en s’amenuisant vers les épaules. Sous l’épée, la bande centrale demeure encore visible. S’il s’agit bien d’une bande centrale et non de plusieurs bandes plus fines… Cette fresque nous permet d’accepter les bandes centrales comme pouvant faire partie du costume carolingien, du moins pour l’élite. La bande centrale paraît cependant bien moins répandue que les deux bandes sur les côtés, certainement tissées, comme dans l’Antiquité romaine. Quant à la nature de cette décoration centrale, tissage, bande rapportée, il nous est impossible de la déterminer avec certitude.
A noter : la façon de porter l'épée dans certains contextes, qu'on voit dans plusieurs exemples carolingiens, comme la Bible de St Paul. Cette manière ne semble pas durer.

Les pantalons larges sont intéressants. Un cas a été trouvé en Occident, mais il s’agit d’une représentation des travaux des mois, celle du mois de juillet. Nous avons ici une image présentant les activités. Le mois de juillet est personnifié par un faucheur. Pieds nus. Une chose rarissime dans l’art carolingien, lorsque nous voyons des individus vêtus à ce qui semble être la mode de l’époque. Il s’agit en fait certainement des braies telles qu’elles sont sans bandes, bottes, chausses. Et le porteur est un paysan. Les braies larges du Psautier sont elles portées sur des bandes, ou autre. Il s’agirait plutôt ici d’une tenue estivale, de travailleur.


Le mois de Juillet, Les travaux de l’année, Carmina Salisburrtgensia, Vienne, Osterreichische Nationalbibliothek, lat 387, f. 90v, 809-821. Un exemple de braies portées pieds nus. Si l’effet est le même que dans le Psautier de Stuttgart, les circonstances, pourrait-on dire, diffèrent. Aucun cas de pantalon large porté avec chaussures, bandes molletières, chausses, bottes, etc… N’a pour l’instant été identifié sur un carolingien. La peinture médiévale, en revanche, montre fréquemment des paysans aux champs en tenue « légère » : chemise, braies. Cette peinture ne peut donc que difficilement être considérée comme confirmation d’un phénomène observé sur Stuttgart. En outre, elle peut être une copie d'un manuscrit antique (à vérifier)

 
Le bonnet phrygien, qu’on remarque dans le Psautier de Stuttgart, est un marqueur d’orientaux. Le placer ça et là permet de rappeler que certains personnages (voire tous selon les oeuvres) sont d’origine lointaine. Les bizarreries que l’on note sur les jambes des personnages seraient-elles elles aussi d’origine orientale ?

La tradition antique et paléochrétienne du costume oriental




Noble d’Hatra (Aphrahat ?) en Mésopotamie, original : Musée National de Bagdad, fac simile : Römisch-Germanisches Zentralmuseum de Mayence. Le  Parthe porte un costume particulièrement riche, jusqu’aux jambes, très décorées. (photo T.A.) 

Plusieurs représentations d’Orientaux, Parthes, Perses, Scythes, etc… Nous sont parvenues. Leur costume ne se caractérise pas uniquement par le port d’un couvre-chef particulier (le bonnet phrygien), mais aussi, comme on peut le voir sur les statues de Bagdad, par des tenues très décorées. Les peintures de la synagogue de Doura Europos, en Syrie, reprennent, de manière moins précise, certaines de ces caractéristiques : pantalons larges, bandes décorées sur les jambes, caftans, bande centrale décorative sur la tunique, bande au col, en bas, aux poignets. Les détails moins prononcés sur ces peintures les rendent relativement proches de peintures de Stuttgart…

Histoire d’Esther, fresque de Doura Europos, Damas.



Ezechiel reçoit le commandement Divin, fresque de Doura Europos, Damas Dans ces fresques du IIIème siècle, Babyloniens et le prophète juif Ezechiel (qui fut déporté à Babylone) sont vêtus de manière similaire, avec ou sans bandes décoratives sur les pantalons. Ces représentations simplifiées des costumes orientaux sont les plus proches du Psautier de Stuttgart.

Les Orientaux les plus représentés dans l’art occidental sont les mages (qui ne deviennent rois qu’à partir du XIème siècle). Les mosaïques romaines (Ste Marie Majeure) ou byzantines (Ravenne, St Apollinaire le Neuf) sont dans la lignée des œuvres antiques : personnages au riche costume, multiples bandes décoratives sur la tunique et les jambes, bonnets phrygiens, tissus que l’on devine colorés et à motifs.

Mages, mosaïque de Ste Marie Majeure, Vème siècle, Rome. L’origine des personnages se manifeste par des costumes richement ornés.(Photo Tina Anderlini)


En dehors des mages, citons les Egyptiens, présents dans les scènes de l’Exode, ou les Histoires de Joseph. Là encore, les tenues peuvent être fort décorées, et parfois à jambes larges. 

 Joseph et ses frères, siège épiscopal de St Maximien, Ravenne, Museo Arcivescocivile, VIème siècle (fac similé du Römisch-Germanisches Zentralmuseum de Mayence). Les soldats égyptiens accompagnant le Prophète portent des braies larges. (Photo Tina Anderlini)







Les costumes carolingiens selon les scènes profanes 

Qu’en est-il sur les quelques ouvrages profanes qui nous parvenus ? Les scènes présentant Charles le Chauve et sa cour, ou Lothaire (entre autres), sont pleines d’enseignements. En bref, on n’y voit aucune décoration de jambes. Les braies sont portées serrées en bas (dans des bottes, des bandes molletières, des croisillons… Même si, comme l’enluminure du mois de Juillet nous le montrait, elles peuvent être portées sans rien. Dans le Psautier de Stuttgart, on remarque que les pieds sont « protégés »), les tuniques portent parfois une bande décorative en bas, relativement fine. Pour les personnages les plus importants, on trouve des bandes aux poignets. Et peut être au col. Le manteau royal est lui très décoré, de pierreries. Si une bande centrale a été reconnue sur une tunique (voir plus haut), les poitrines sont souvent cachées par le manteau.


































Bible de Vivien, ms Lat 1., BNF, Paris, f. 423r. Cette page de dédicaces à Charles le Chauve représente des religieux, des soldats et des nobles entourant le roi. L’enluminure est pleine d’informations sur les costumes, informations qui correspondent aux autres représentations de carolingiens. On peut donc ainsi en tirer des conclusions précieuses, et voir les différences avec le Psautier de Stuttgart.(Photo Wikimedia Commons)


D’autres exemples décorés. 

En parcourant les œuvres carolingiennes, on rencontre, parfois, des personnages portant les caractéristiques visibles sur le Psautier de Stuttgart. L’élément le plus fréquent reste le bonnet phrygien. Jusqu’à présent, aucun porteur de ce bonnet n’a pu être mis en relation avec l’Europe Occidentale. On croise parfois des bandes centrales, ou des bandes de jambes.
Le cas des bandes de jambes paraît sans appel. Le cas trouvé est une enluminure de St Gall, épitres de St Paul. On y voit St Paul insulté par les Juifs. Nous retrouvons là les cas de Stuttgart. Bref, des personnages orientaux. 


St Paul insulté par les Juifs, Epitres de St Paul, St Gall, Stiftsbibliothek, cod. Sang. 64, p. 12. Les décorations de jambes renvoient à de nombreuses représentations d’Orientaux, et au Psautier de Stuttgart.










Pour les jambes larges, avec pieds chaussés, l’étude des psaumes concernés dans le Psautier de Stuttgart s’est révélée troublante. En effet, en dehors des soldats de Salomon, dans la célèbre scène du Jugement (cf psaume 72, où il est dit que « toutes les nations te serviront », allusion au règne universel du Christ dans l’interprétation du Psaume. Les jambes larges sont-elles l’illustration de cette phrase, qui se trouve un peu plus loin dans le Psaume ?), tous les porteurs sont des Orientaux, mais étrangers à Israël. On remarque même que ces pantalons sont souvent visibles sur un personnage lors d’une « réunion » des ennemis d’Israël. Un moyen de montrer les diverses origines des ennemis ? En tout cas, cela n’est pas sans nous rappeler les jambes des soldats entourant Joseph sur les ivoires du trône épiscopal de Ravenne. D’autres sont visibles sur divers personnages originaires de l’empire byzantin. Les jambes larges sont visibles, dans l’antiquité, sur les barbares. Au VIIIème siècle, on les retrouve sur des Scandinaves, qui seront parmi les plus redoutables ennemis des Francs au IXème. L’assimilation jambes larges/barbares/ennemis peut se justifier. 

Pierre runique, VIIIème siècle, Stockholm. Les Scandinaves sur le navire portent des pantalons à jambes larges.














Brassards, décorations sur toute la longueur des bras, etc. n’ont pas été vus sur des personnages non assimilables à des orientaux.

Fiable ou pas ?
Les recherches sur la possibilité de considérer les décors des vêtements du Psautier comme compatibles avec le costume des francs carolingiens ont été menées sur plusieurs milliers d’oeuvres. Sculptures, peintures, mosaïques, pièces de vaisselle. Les objets ont été vus dans divers musées, dans des livres, sur internet… Il paraît maintenant clair que pendant que je cherchais à comprendre les différents cas de porteurs de bonnet phrygien, je n’ai pas su voir les autres marques des orientaux. A l’exception du col en V masculin fermant avec une patte (voir David dans le Psautier Doré de St Gall, ainsi que Longin et Stéphaton dans une enluminure angevine).
En appliquant aux autres éléments de Stuttgart la même démarche que pour le bonnet phrygien, le résultat s’est avéré être le même (en dehors des bandes centrales). Il est aussi possible que certains éléments de ces costumes, comme les pantalons à jambes larges, aient pu faire partie d’un costume influencé par l’Orient à la fin de l’Empire romain, et durant la période mérovingienne (survivance des costumes de certains peuples barbares.). Ceci est encore à vérifier. Malheureusement, ces nouvelles recherches ont pris du temps, et ce que je croyais exact, en me basant sur Stuttgart et d’autres oeuvres au moment où j’ai écrit l’article sur la reconstitution du costume carolingien, s’est avéré douteux deux semaines plus tard, et faux -selon moi- dans la quinzaine suivante. En revanche, la confrontation avec les figures féminines orientales, et les images « neutres », comme par exemple Richilde et sa suivante dans la Bible de St Paul Hors les Murs, montre que les caractéristiques des costumes des femmes se retrouvent ailleurs (là aussi, bandes décoratives très présentes). La seule réserve que j’élèverai concerne les ceintures visibles. Les cas observés (sur Stuttgart, ou ailleurs) renvoient, pour l’instant à des personnages très particuliers, et toutes semblent liées à l’Orient (peut être une exception pour l’un des Psaumes… Mais cela reste à vérifier au niveau de l’interprétation de ce texte.) 


La Prostituée de Babylone, Apocalypse de Bamberg, Bamberg, Staatsbibliothek, MS A. II. 42. Cette enluminure ottonienne reprend des caractéristiques visibles sur des oeuvres carolingiennes, et est certainement la copie réactualisée à certains niveaux d’une Apocalypse plus ancienne, comme tant de manuscrits. La ceinture de la Prostituée est, sur les deux codex, visibles. Cette caractéristique n’a été observée principalement que sur des femmes orientales (un cas litigieux, à étudier plus précisément). La ceinture ostentatoire de la Putain de Babylone et de la courtisane du Jugement de Salomon du Psautier de Stuttgart peut laisser envisager la possibilité d’une marque des femmes de petite vertu. Mais les femmes à ceinture visible de la Bible de St Paul Hors les Murs sont cependant des femmes respectables -habitante de Jérusalem et Egyptiennes de l’Enfance de Moïse. La Femme de l’Apocalypse, représentée elle aussi à Bamberg avec une ceinture, représente l’Eglise de l’Ancien Testament, donnant naissance au Christ, soit le Peuple élu de Dieu, autrement dit, les Hébreux. La symbolique de cette femme concorde avec les autres femmes à ceinture visible.

En outre, signalons ce que dit le catalogue de l’exposition « Neustrie » (Rouen) de 1985, au sujet du contexte de la création du Psautier de Stuttgart : réalisé à l’époque d’Hilduin qui en devint abbé (de st Germain) en 824. Savant théologien pétri de culture hellénique. Cela n’est pas sans rapport avec les influences byzantines qui « se manifestent dans le cycle iconographique de ce manuscrit » (Marie-Thérèse Gousset). Une confirmation de notre hypothèse concernant le caractère orientalisant des enluminures… (d’autres auteurs insistent sur des pistes quant à une éventuelle origine orientale des dessins. F. I. Mütherich, Die Stellung der Bilder in der frühmittelalterlichen Psalterillustration, dans l’ouvrage collectif, Der Stuttgarter Bilderpsalter, II Untersuchungen, Stuttgart, 1966, p. 152 sq. et p. 197-200 où l’auteur reconnaît des modèles gréco-italiens dans le cycle de ce psautier)
Bref, suite à toutes ces vérifications, j’en suis arrivée à la conclusion que le Psautier de Stuttgart est un ouvrage remarquable par son orientalisme, version carolingienne, et est donc à manipuler avec d’innombrables précautions. A mon avis, on ne peut pas en tenir compte pour en déduire les caractéristiques du costume masculin carolingien. Il reste cependant utile pour certains accessoires.

L’antijudaïsme au Haut Moyen Age.
Traiter de ce sujet en détail serait long, très long. Et la question est ô combien délicate. Néanmoins, on note, pratiquement dès les premiers siècles de la Chrétienté, un antijudaïsme basé essentiellement sur le fait que les Juifs n’ont pas su (pour les plus virulents n’ont pas « voulu ») reconnaître en Jésus le Messie. Ce fait explique l’importance prise par la notion de peuple déicide, qui se manifeste par la judéisation de Longin et Stéphaton, par exemple. Sans nom chez St Jean (le seul apôtre présent à la Crucifixion) qui ne mentionne que des « soldats », ils prennent rapidement un nom et des légendes leur sont associées (le sang du Sauveur rendant la vue à Longin…). Les deux plus identifiables participants romains de la Crucifixion finissent par devenir les illustrations du peuple déicide, par une pirouette iconographique dont nous pouvons voir de nombreux exemples. Mais cet antijudaïsme dont nous trouvons quelques manifestations iconographiques (la scène des Epitres de St Gall nous semble significative dans ce qu’elle illustre une hostilité supposée des Juifs envers l’enseignement de St Paul) est réel chez certains. Et pas seulement dans l’Empire byzantin (voir Théodose ou Héraclius…) Ainsi, l’archevêque Agobard de Lyon reproche t-il dans une lettre à Louis le Pieux de se montrer trop clément envers les Juifs. L’archevêque en profite pour énumérer ce qu’il reproche aux Juifs, et l’on doit bien y voir une manifestation d’antijudaïsme, avec préjugés, rumeurs, etc… (cf Les Sociétés du Haut Moyen Age en Occident, textes et documents rassemblés par Laurent Feller et Bruno Judic, Publications de la Sorbonne, 2010, pp. 30-32). Nous ne sommes pas encore dans un antijudaïsme aussi virulent qu’il le sera à partir des Croisades. Pas d’obligation d’un couvre-chef particulier, comme cela sera le cas à partir du XIIIème siècle. Ni même de représentation d’un couvre-chef spécifique (antérieure à l’obligation). Le bonnet phrygien qu’on octroie aux Juifs est un signe partagé avec différents personnages d’origine orientale jusqu’à la fin du XIème siècle. La tolérance était plus importante (en règle générale) au Haut Moyen Age, mais cela ne signifie pas qu’un antijudaïsme ponctuel, et souvent limité à certains individus, ou lieux, ne pouvait se manifester.

Psautier de Stuttgart, f. 7v

Propositions typologiques de l’ « orientalisme » carolingien : Il semble en outre qu’on puisse envisager une sorte de hiérarchisation des personnages orientaux, basée principalement sur les types de personnages présents dans l’œuvre.
Chrétiens (Francs) opposés aux non-chrétiens : orientalisme possible sur les non-chrétiens
Juifs opposés aux non-juifs (hors chrétiens, évidemment) : orientalisme possible sur les 2 (cas de Stuttgart, mais pas d’Utrecht où les Juifs semblent porter les mêmes costumes que les Chrétiens), plus marqué sur les non-juifs.
Occidentaux opposés aux Orientaux.
Francs opposés au reste du monde connu : barbarisme se manifestant par les pantalons à jambes larges. (Plusieurs exemples de peuplades non franques portant ce type de tenue. Tenue, signalons le, incompatible avec la description que fait Eginhard du costume franc.)

Les principales marques orientalisantes et barbarisantes étant :
Bonnet phrygien
Bandes sur les jambes
Pantalons à jambes larges (aussi barbarisant)
Caftan
Bande centrale sur la tunique (Mais ce détail peut être présent sur les très hauts statuts chez les Francs. Elle est rarissime sur les Francs -une occurence -aristocrate- à peu près sûre- alors qu’elle est fréquente sur les Orientaux)
Ceinture visible pour les femmes (hypothèse à vérifier plus en détail).

Personnages occidentaux portant des attributs orientalisants :
Longin (porteur de la lance)
Stéphaton (porteur de l’éponge)
Gardes du tombeau lors de la Résurrection
Soldats se partageant la Tunique du Christ
> allusions, en fait, au peuple déicide, ces personnages sont assimilés aux Juifs.




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